Patricia Connell : La TVA de 20 % sur les frais de scolarité au Royaume-Uni “une taxe injuste et déstabilisante”

Patricia Connell : La TVA de 20 % sur les frais de scolarité au Royaume-Uni “une taxe injuste et déstabilisante”

Nos expatriés français au Royaume-Uni sont, depuis quelques semaines, confrontés à une difficulté nouvelle : l’application de la TVA de 20 % sur les frais de scolarité des écoles indépendantes au Royaume-Uni. En effet cette mesure n’épargne ni le Lycée Français Charles de Gaulle, ni les autres établissements internationaux. C’est pourquoi, la colère gronde sur place. Et c’est dans ce contexte que Lesfrancais.press a interrogé Patricia Connell, membre du parti Renaissance présidé par Gabriel Attal. Pour l’élue à l’Assemblée des Français de l’étranger et présidente du Conseil consulaire à Londres, cette mesure est d’ailleurs « injuste et déstabilisante », et « comprend aussi l’exaspération face à une perception de manque de soutien de la part de la France ».

Dans cet entretien, elle revient également sur les effets du Brexit qui a entrainé une transformation du profil des expatriés français. Elle évoque également la visite d’État d’Emmanuel Macron prévue en juillet. Un moment clé, selon elle, pour rouvrir le dialogue sur des dossiers cruciaux : reconnaissance des diplômes, mobilité des jeunes, coopération bilatérale… et image de la France outre-Manche.

Éducation

Lesfrancais.press : « Patricia Connell, comme nous le soulignions dans notre article du 10 mai dernier, la modification des taux de TVA au Royaume-Uni a un impact direct sur les frais de scolarité des écoles françaises à Londres, notamment au lycée Charles de Gaulle. Les parents d'élèves expriment leur mécontentement face à cette situation et le dialogue avec la direction de l'établissement semble compliqué. Quelle réponse pouvez-vous apporter à leurs préoccupations ? »

Patricia Connell : « Je comprends profondément la colère des parents face à l’application brutale de la TVA de 20 % sur les frais de scolarité des écoles indépendantes au Royaume-Uni. Cette décision concerne toutes les écoles privées, y compris les établissements français, allemands, espagnols, japonais, et même les petites écoles FLAM.

Et je les comprends d’autant mieux que j’ai moi-même, par le passé, scolarisé mes trois enfants au Lycée Charles de Gaulle et que mes deux petites-filles sont actuellement élèves au Lycée International Winston Churchill. Si j’étais encore dans leur situation aujourd’hui, je ressentirais exactement la même chose. Cette taxe est injuste et déstabilisante – elle n’aurait, à mon sens, jamais dû être adoptée.

L'Ambassadrice de France au Royaume-Uni, Hélène Tréheux-Duchêne avec Patricia Connell
L'Ambassadrice de France au Royaume-Uni, Hélène Tréheux-Duchêne avec Patricia Connell

« Je comprends aussi l’exaspération face à une perception de manque de soutien de la part de la France. »

Pourtant, elle l’a été : le 6 novembre 2024, la Chambre des communes a voté en faveur de cette mesure. 383 députés ont voté pour et 184 contre : un soutien massif, porté par le Parti travailliste, avec l’appui des Libéraux-démocrates, des Verts, de Plaid Cymru, du SDLP et de plusieurs indépendants. Il faut en conclure que cette mesure est, politiquement, plutôt populaire… vous ne trouvez pas ?

Depuis, le ministre délégué au commerce extérieur et aux Français de l’étranger, Laurent Saint-Martin, les élus, les représentants des parents d’élèves, l’AEFE et les services de l’ambassade se sont pleinement mobilisés pour tenter de trouver une solution. Le ministre a même tenu une visioconférence avec les parents afin de leur expliquer les démarches en cours et les contraintes auxquelles nous faisons face.

Toutefois, une hausse de 20 % des frais de scolarité représente une charge considérable – plusieurs milliers de livres par an – pour des familles qui, souvent, font déjà des sacrifices importants pour maintenir leurs enfants dans le système français.

Je comprends aussi l’exaspération face à une perception de manque de soutien de la part de la France. Mais rappelons que le réseau d’enseignement français à l’étranger est un outil unique au monde. Et même si l’AEFE n’est pas parfaite, elle joue un rôle essentiel dans 139 pays pour assurer la continuité du service public français et le rayonnement de notre culture. Un exemple concret : pour l’année 2025-2026, près de 1,7 million d’euros ont été alloués à Londres sous forme de bourses scolaires pour les familles les plus modestes.

« Les écoles du réseau AEFE n’étaient pas la cible du gouvernement travailliste. La cible, ce sont les écoles privées britanniques »,

J’ai également lu dans votre dernier article que certains parents comparent les frais de scolarité à ceux des meilleures écoles privées britanniques. Il faut rétablir la réalité : les frais annuels de la section française du Lycée Charles de Gaulle s’élèvent à environ 13 000 £. C’est une somme importante, bien sûr, mais cela correspond à un seul trimestre dans des écoles comme St Paul’s ou King’s College Wimbledon, où les frais dépassent 40 000 £ par an. On ne parle donc pas du tout des mêmes budgets. Et n’oublions pas que la grande majorité d’entre nous ne paie que peu ou pas d’impôts en France. »

Lesfrancais.press : « À l'occasion d'une visite d'État au Royaume-Uni, prévue du 8 au 10 juillet prochain, le Président de la République, Emmanuel Macron, rencontrera le Premier ministre britannique Keir Starmer. Ce sujet lié à l’impact de la TVA sur les écoles françaises pourrait-il être abordé lors de cet entretien, en effet des solutions sont encore possibles pour atténuer les hausses enregistrées ? Quels autres dossiers concernant directement nos expatriés au Royaume-Uni seront susceptibles d'être discutés lors de cet échange officiel ? »

Patricia Connell : « Oui, bien sûr, je pense que ce sujet devrait être évoqué lors de la visite d’État du Président Emmanuel Macron, prévue du 8 au 10 juillet 2025. C’est une illustration très concrète des conséquences du Brexit sur notre communauté, et une atteinte potentielle à la diversité éducative dans une capitale aussi internationale que Londres.

Patricia Connel pour le groupe IDP
Patricia Connel pour le groupe IDP lors de la dernière session de l'AFE à Paris

À noter cependant que cette taxe n’impacte pas uniquement les écoles françaises, mais toutes les écoles internationales indépendantes. Il serait donc légitime d’envisager des discussions pour explorer des exemptions ciblées ou des mécanismes de transition, notamment pour les établissements à but non lucratif comme le Lycée Charles de Gaulle. Mais je vous avoue ne pas être très optimiste. À mon humble avis, les écoles du réseau AEFE n’étaient pas la cible du gouvernement travailliste. La cible, ce sont les écoles privées britanniques. Nous en sommes les victimes collatérales.

Par ailleurs, d’autres dossiers essentiels pour nos compatriotes devraient figurer à l’ordre du jour : la reconnaissance des diplômes et l’équivalence des qualifications professionnelles ; la coordination des régimes de retraite et des droits sociaux post-Brexit ; la mobilité des jeunes : des discussions sont en cours pour créer un visa « jeunes professionnels » pour les 18–30 ans, avec un soutien populaire (près de 65 % des Britanniques y sont favorables, selon YouGov) ; le retour potentiel dans le programme Erasmus pour les étudiants britanniques et bien sûr, la coopération en matière de défense, renforcée depuis les accords de Lancaster House. Mais attention : plusieurs de ces sujets ne pourront être réglés dans un cadre strictement bilatéral. Certains relèvent du dialogue entre le Royaume-Uni et l’Union européenne. »

Circulation et installation

Lesfrancais.press : « Alors que le Royaume-Uni fut longtemps un passage quasi obligé pour la jeunesse française comme fille ou fils au pair ou comme serveurs dans un bar londonien, pour des études ou à la City, le Brexit effectif depuis le 1er février 2020et les nouvelles règles en vigueur ont-elles changé la composition de la communauté française ? Qu’en est-il des nouveaux arrivants ? »

Patricia Connell : Le Brexit a profondément transformé notre communauté. Avant 2020, le Royaume-Uni était une destination quasi naturelle pour de nombreux jeunes Français : au pair, serveurs, stagiaires, étudiants… C’était simple, fluide, accessible. On se souvient de ces jeunes – et moins jeunes – qui débarquaient à St Pancras, sans travail ni logement. Le centre Charles Péguy jouait alors un rôle essentiel pour les accompagner dans la recherche d’un emploi et d’un toit. Ce centre n’existe malheureusement plus.

« Le retour éventuel du Royaume-Uni dans Erasmus serait un signal fort»

Aujourd’hui, les visas ont tout changé. Le nombre de jeunes Français venant pour des séjours courts a chuté de plus de 60 %, selon les estimations du consulat. À l’inverse, la très grande majorité des Français déjà installés ont régularisé leur situation via le EU Settlement Scheme.

Malgré ces bouleversements, nous comptons à ce jour plus de 150 000 Français inscrits au registre consulaire à Londres, ce qui témoigne d’un attachement fort à ce pays. Quant aux nouveaux arrivants, ils sont souvent plus qualifiés, avec des projets professionnels structurés. Cela modifie la sociologie de notre communauté, qui reste dynamique, mais moins spontanée. Ce n’est pas nécessairement un mal, mais il faut s’y adapter. Je suis optimiste : des accords de mobilité sont à l’étude, notamment pour les jeunes Européens. Le retour éventuel du Royaume-Uni dans Erasmus serait un signal fort. Nous devons faire tout notre possible pour que la jeunesse européenne retrouve sa place ici.

La France vue du Royaume-Uni

Lesfrancais.press : « En évoquant des changements, l’instabilité politique que la France a connue ces derniers mois a-t-elle modifié l’image que les Britanniques ont de notre pays ? Comment est-il aujourd’hui perçu outre-Manche ? »

Patricia Connell : L’instabilité politique que traverse la France depuis près d’un an – dissolutions, tensions sociales, polarisation – a bien sûr été observée au Royaume-Uni. Elle suscite des interrogations, parfois de l’incompréhension.

Marche pour l’Europe - Londres - Septembre 2016 ©Patricia Connell
Marche pour l’Europe - Londres - Septembre 2016 ©Patricia Connell

Mais la France conserve une image forte. Elle est perçue comme une puissance stratégique, influente, autonome, engagée sur la scène internationale. Son rôle dans la crise ukrainienne, sa place au Conseil de sécurité de l’ONU, son autonomie de défense : tout cela impressionne.

« Il nous appartient de faire vivre cette image moderne et positive de la France »

La vision portée par le président de la République d’une France forte dans une Europe forte n’a pas changé. Les accords de Lancaster House, signés en 2010 par David Cameron et Nicolas Sarkozy, ont marqué un tournant majeur dans la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni. Ils témoignent de la profondeur de la relation franco-britannique. Et dans le domaine militaire, le Royaume-Uni est notre partenaire numéro un en Europe. C’est une réalité que personne ne conteste.

Enfin, les débats passionnés autour de l’Europe, de la transition écologique et du numérique montrent que la France reste un moteur du projet européen. Et cela inspire aussi le respect. Il nous appartient, à nous les élus, mais aussi à tous les citoyens français résidant au Royaume-Uni, de faire vivre cette image moderne et positive de la France. Et dans cette mission, les Français de l’étranger sont nos meilleurs ambassadeurs.

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