Bien que le pass Culture ait été déployé avec succès en France, il semble peu probable qu’il soit un jour accessible aux jeunes Français de l’étranger. Pourtant, cette mesure figurait parmi les promesses de campagne d’Emmanuel Macron, et sa création avait même été actée en Conseil des ministres en février 2023. Si des obstacles techniques et opérationnels ont compliqué son extension hors de l’Hexagone, les contraintes budgétaires pourraient également expliquer ce blocage. Face à cette situation, comment faire évoluer ce dispositif ? Nous avons interrogé plusieurs élus représentant les Français de l’étranger pour connaître leur position, et envisager avec eux des solutions afin d’adapter cet engagement présidentiel aux expatriés.
Un Pass Culture critiqué
Lancé en 2019 en France, le pass Culture vise à démocratiser l’accès des jeunes à la culture en leur attribuant un crédit utilisable pour des activités artistiques. Pour l’obtenir, il faut être âgé de 15 à 18 ans, et résider en France métropolitaine ou dans les outre-mer.
Si l’idée première partait sans doute d’une louable intention, celle de rapprocher les jeunes du monde de la culture, ce pass a fait l’objet de nombreuses critiques. Ainsi son utilisation massive pour l’achat de mangas, par exemple, a provoqué un certain émoi. Par ailleurs, son coût n’a cessé d’augmenter, passant de 93 millions d’euros en 2021 à 244 millions en 2024, sans compter les 80 millions supplémentaires alloués aux établissements scolaires.
En décembre 2024, c’est un rapport de la Cour des comptes qui alerte les autorités. L’institution située rue Cambon dresse alors un bilan négatif de ce pass Culture. Outre le coût élevé de ce mécanisme, la juridiction financière indique que celui-ci ne répondrait pas aux objectifs d’accès aux offres culturelles souhaités à l’origine.
Si bien que depuis le 1er mars 2025, les montants accordés aux jeunes ont été fortement modifiés. Alors que le crédit annuel individuel était de 20 € à 15 ans, 30 € à 16 et 17 ans et 300 € à 18 ans, aujourd’hui l’application est différente : les jeunes de 15 à 16 ans ne reçoivent plus de crédits, mais des offres gratuites. Les jeunes de 17 ans bénéficient de 50 euros contre 30 euros auparavant, et 150 € sont accordés aux jeunes âgés de 18 ans contre 300 € lors de la mise en place du Pass culture.
Pass Culture : quelle évolution possible pour les Français de l’étranger
Dans ce contexte, quel avenir peut être envisagé pour le pass Culture à destination des Français de l’étranger ? Comment tenir une promesse électorale qui, à la lumière des nombreuses critiques formulées, rencontre de telles difficultés ?
Dès la mise en place du pass Culture en France, plusieurs parlementaires représentant nos compatriotes à l’étranger avaient exprimé leur inquiétude face à l’absence de calendrier précis concernant son déploiement à l’international. La sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret, ainsi que sa collègue apparentée Les Républicains et membre de l’Alliance Solidaire des Français de l’Étranger (ASFE), Évelyne Renaud-Garabedian, avaient alors interpellé le gouvernement à ce sujet. Dans sa réponse, le ministère de la Culture invoquait des obstacles d’ordre technique et juridique pour justifier ce retard. Toutefois, d’autres considérations, davantage budgétaires, semblent également compromettre la mise en œuvre de ce dispositif à destination des jeunes expatriés.
Tenir compte des spécificités des expatriés
Cependant, son utilité n’est pas forcément remise en cause par les élus des Français de l’étranger. Ainsi Alexandre Barrière Izard, conseiller des Français d’Afrique du Sud, proche de l’ASFE, et membre de l’Assemblée des Français de l’étranger trouve que le « pass Culture est, sur le principe, une excellente initiative. Il est difficile de contester l’intérêt social de garantir un accès élargi à la culture pour toutes et tous ». Toutefois, ajoute-t-il « les objectifs initiaux ne sont clairement pas atteints, comme l’a souligné la Cour des comptes ». Et « si une extension du pass Culture aux Français établis hors de France devait être envisagée, (…) elle devra impérativement tenir compte des réalités spécifiques que vivent nos compatriotes à l’étranger » précise-t-il dans un échange que Lesfrancais.press a pu avoir avec lui.
Depuis Londres, Samy Ahmar, élu des Français du Royaume Uni, siégeant également à l’AFE sur les bancs du groupe de la gauche appelé « Ecologie & Solidarité est aussi favorable à « un pass Culture pour les jeunes établis hors de France ». Mais, selon lui, « l’attention doit être portée sur la mise en œuvre ». En effet, pour cet élu consulaire, « le pass Culture en France est très critiqué, car très coûteux et ne réussit pas à démocratiser l’accès à la culture chez les jeunes notamment issus des classes populaires ». Toutefois des solutions existent : « il faudrait des partenariats avec les alliances, librairies, instituts, bibliothèques du réseau, mais aussi une offre numérique riche et accessible, et un travail de sensibilisation avec les familles. »
D’autres élus vont aussi en ce sens. Ils souhaitent que l’idée de ce pass Culture ne soit pas abandonnée pour les Français de l’étranger. Ainsi, le sénateur PS Yan Chantrel estime que « ce serait une bonne idée que les jeunes français établis hors de France puissent accéder ainsi à une offre culturelle française via notamment nos bibliothèques françaises, instituts, alliances ». Et il propose aussi une nouveauté pour faire évoluer ce dispositif : « Il faudrait même pousser pour un pass Culture francophone afin de faire découvrir la diversité de l’offre culturelle au sein de la francophonie. »
Une offre vers du contenu en ligne sécurisé ?
Sa collègue sénatrice, représentant également les Français établis hors de France, Samantha Cazebonne, membre de Renaissance, estime que le pass Culture, « c’est une usine à gaz à mettre en place à l’étranger », aussi, elle « n’y croit pas beaucoup ». En revanche, la proposition de faciliter l’accès à une offre culturelle ne devrait pas être mise de côté. « C’est important de trouver la meilleure manière pour que les Français de l’étranger puissent bénéficier de ce dispositif. Il faudrait, par exemple, que l’on puisse proposer une offre littéraire via Culturel Tech (contenu en ligne sécurisé) » avance-t-elle.
Pour Ellen Bouveret, enseignante, et également conseillère des Français(es) de Bavière, Bade-Wurtemberg en Allemagne et qui siège aussi à l’AFE, « ce pass répond à une demande de plus de démocratie ainsi qu’à la démocratisation de la culture : on oublie trop vite que l’accès à la culture est un droit universel et qu’il ne doit pas s’arrêter ni aux frontières ni au portefeuille » Pour cette élue, membre du Parti socialiste, « ce pass Culture est une formidable initiative du gouvernement », mais qui « ne doit pas être réservée aux seuls enfants français de France. » insiste-t-elle. Ainsi, poursuit-elle, à l’étranger, il permettrait, entre autres, « aux enfants français et binationaux, souvent non scolarisés dans un établissement scolaire français un accès à toute une gamme d’activités locales culturelles et socio-culturelles offertes par les Instituts français, les alliances (…) les réseaux FLAM, (…) ou bien encore pour des projections filmographiques en français dans les cinémas indépendants. »
C’est aussi dans cette direction que s’oriente Marianne Magnin, la présidente du Mouvement Démocrate des Français à l’Étranger (MDFE). Elle estime notamment que « l’enjeu principal au-delà de l’octroi ou non du pass Culture, c’est d’établir des mécanismes d’inclusion culturelle pour les 3/4 des jeunes Français non scolarisés dans le réseau AEFE, qui lui bénéficie de contacts avec les institutions culturelles françaises ».
Lier pass Culture et inscription au registre des Français de l’étranger ?
À l’heure où l’avenir du pass Culture est également en jeu sur le territoire national, les réflexions et propositions des élus des Français de l’étranger offrent au gouvernement une matière à réflexion pour faire évoluer ce dispositif et l’étendre enfin aux jeunes expatriés.
Christian Le Maître, élu LR des Français de Roumanie et Moldavie avance même une autre possibilité pour faire d’une pierre deux coups. S’il déplore ce « mal français des promesses non tenues », il reste convaincu de l’intérêt d’étendre ce mécanisme aux Français de l’étranger. Cela pourrait être « un formidable moyen d’inciter nos jeunes à s’inscrire sur les registres consulaires, et donc à pouvoir voter » – une démarche encore trop peu suivie.
En effet l’inscription de nos ressortissants vivant à l’étranger au registre des Français établis hors de France reste un casse-tête pour les autorités. Ainsi, lier l’accès à un pass Culture hors de France à une inscription consulaire pourrait être une piste à creuser. D’autant plus que Laurent Saint-Martin, le ministre délégué au Commerce extérieur et aux Français de l’étranger, souhaite proposer prochainement des incitations pour que nos expatriés fassent la démarche de cet enregistrement consulaire. Cette idée pourrait donc déjà toucher les plus jeunes d’entre eux. Message envoyé !
Auteur/Autrice
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Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.
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