Les vagues technologiques, les ruptures économiques interviennent souvent sur des petits territoires comme la Silicon Valley ou la Route 128 à Boston. La Silicon Valley a donné au monde, entre autres, Hewlett-Packard (fondé à Palo Alto en 1939), Intel (Mountain View, 1968), Apple (Los Altos, 1976), Google (Menlo Park, 1998) et Uber (San Francisco, 2009). Durant plusieurs années, cette vallée a capté une grande partie des financements de capital-risque. San Francisco abrite 136 licornes (start-up de moins de dix ans valorisées au minimum un milliard de dollars), dont 220 dans l’ensemble de la vallée, plus que dans tout autre endroit dans le monde.
Le monde compte plus de 1 000 licornes dont près de la moitié sont situées en dehors des États-Unis
Aujourd’hui, de nouveaux centres se créent tout autour de la planète. 45 pays ont des licornes qui se concentrent dans quelques villes ou territoires. En France, Paris et le plateau de Saclay sont les principaux lieux d’accueil. Au total, le monde compte plus de 1 000 licornes dont près de la moitié sont situées en dehors des États-Unis. L’internationalisation s’accélère. Le poids du capital-risque investi dans les start-up américaines est passé de 84 % il y a deux décennies à moins de la moitié en 2021. La diffusion du capital-risque reflète la croissance de la technologie ces dernières années. En Inde, Bangalore, capitale de l’État de Karnataka et plus important pôle de la haute technologie du pays, accueille un nombre important de start-up et de licornes. En 2021, les 26 licornes de la ville ont attiré pour plus de 13 milliards de dollars de financement. Parmi les lieux phares de la scène des start-up, figurent Pékin, Londres ou Tel-Aviv, dont le rayonnement est mondial. En France, le plateau de Saclay émerge comme un des principaux pôles de création de richesses en région parisienne.
Une nouvelle agglomération prend forme autour des grandes écoles et des centres de recherche. Elle attire de nombreux cadres à la recherche d’emplois à forte valeur ajoutée et de conditions de vie agréables. Parmi les autres agglomérations phares pour les start-up, il faut citer également Singapour ou São Paulo. La carte de l’innovation mondiale se redessine, plus dispersée, plus diversifiée et plus compétitive. L’interconnexion de ces centres de création est importante sauf en ce qui concerne la Chine qui développe une politique de développement technologique plus écocentrée.
Les entreprises de la haute technologie se localisent essentiellement dans les pôles les plus dynamiques de chaque pays. Près de 40 % de ces licornes sont rassemblées dans les pôles leaders. Entre 2011 et 2021, la part de la première ville dans le financement national du capital-risque est passée de moins de 50 % à près de 70 % pour Londres, de 24 % à 60 % pour Berlin et de 15 % à 34 % pour Bangalore.
L’arrivée de générations « Digital Natives » formées aux nouvelles technologies
Les start-up et les licornes se développent dans des bassins d’emploi interconnectés, ouverts sur l’extérieur et dotés d’établissements d’enseignement supérieur et de centres de recherche. Bangalore possède plus de 70 grandes écoles. Le plateau de Saclay accueille HEC, Polytechnique, l’Université d’Orsay et bien d’autres établissements renommés. La Silicon Valley bénéficie de la proximité de Stanford ou de l’Université de Californie à Berkeley. Tel-Aviv compte à la fois des universités et des centres de recherche des services de renseignement israéliens. La multiplication des centres d’accueil des start-up et licornes est facilitée par la diffusion de l’Internet à haut débit et par l’arrivée de générations « Digital Natives » formées aux nouvelles technologies. Les investisseurs sont, par ailleurs, à l’affût des opportunités de peur de manquer une bonne opération. La notion « d’économies d’agglomération » joue à plein.
Malgré les apports d’Internet, du cloud, la concentration sur un petit territoire demeure une voie clef du succès en raison des rendements d’échelle croissants. Il est plus facile de faire des affaires et de recruter quand les fournisseurs et les viviers de talents (universités, grandes écoles, centres de recherche) sont sur place. Les idées circulent plus facilement lorsque les employés d’entreprises rivales fréquentent les mêmes lieux (restaurants, bars, salles de sport, écoles des enfants). L’essor du télétravail ne devrait pas modifier la donne.
Les fondateurs ou les dirigeants de start-up et de licornes sont souvent des immigrés de plus ou moins fraîche date
La présence d’universités et de centres de recherche ne suffit pas pour créer un pôle d’accueil et de développement de licornes. Tokyo, malgré l’existence d’établissements d’enseignement supérieur de renom et d’entreprises technologiques comme Sony, ne figure pas parmi les villes phares pour les start-up. Le contexte économique marqué par la domination des keiretsu (conglomérats) n’est pas propice à la naissance des start-up. Par ailleurs, le pays demeure peu ouvert aux cultures extérieures. Le pays s’est classé 53e au monde en termes de maîtrise de l’anglais, moins de 8 % des Japonais le parlent couramment. Les étrangers ont du mal à s’imposer dans les milieux d’affaires tokyoïtes. Les capital-risqueurs extérieurs ne sont pas les bienvenus.
Les fondateurs ou les dirigeants de start-up et de licornes sont souvent des immigrés de plus ou moins fraîche date. 60 % des entreprises technologiques américaines les plus importantes ont été créées par des immigrants ou par leurs enfants. Les centres européens tels que Berlin, Londres et Paris ont d’importantes populations d’immigrants. La Chine manque de fondateurs étrangers, mais ses pôles de création de start- up comme Shanghai et Shenzhen attirent de nombreux rapatriés qui ont étudié ou travaillé à l’étranger notamment aux États-Unis.
Dans certains cas, les administrations publiques peuvent apporter un soutien direct pour faciliter le développement des start-up avec des résultats contrastés. En 1999, l’Allemagne a versé 1,5 milliard d’euros pour créer un cluster bavarois qui n’a pas donné naissance à des licornes. La France a lancé un grand programme national en 2005 visant à créer des pôles de compétitivité sur tout le territoire. Comme chaque région voulait son ou ses pôles, il en a résulté un saupoudrage improductif des crédits alloués. Le soutien accordé par l’État, la Caisse des Dépôts et par des régions à Qwant afin que la France puisse posséder son moteur de recherche national n’a pas été couronné de succès. Le moteur de recherche est désormais hébergé par Microsoft et la filiale destinée à concurrencer Apple Music ou Spotify a été fermée.
En 2009, Josh Lerner de la Harvard Business School concluait que « pour chaque intervention gouvernementale efficace, il y a eu des dizaines, voire des centaines, d’échecs, où des dépenses publiques substantielles n’ont pas porté leurs fruits ».
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