Né un quatorze juillet

Né un quatorze juillet

Prise la Bastille, Fête de la Fédération, voilà ce que l’on célèbre le 14 juillet. On fête aussi le Cardinal de Mazarin, un binational, né, comme Lino Ventura, un quatorze juillet, un des meilleurs Premier ministre que la France ait connu. Louis XIII régnait, lui gouvernait. À sa mort que Louis XIV dériva vers l’absolutisme, entraînant la France à la poursuite de la gloire dans la guerre et la misère, puis la Révolution. La concentration du pouvoir aboutit toujours à sa perte; c’est la pente des tyrannies et des empires. L’histoire a des lois : on le voit aujourd’hui en Russie, on le verra demain en Chine.

Inutile de faire, à la suite de Mazarin, la liste des binationaux qui ont bien mérité de la patrie, foule d’inconnus et de célébrités comme  Gambetta, Zola, Apollinaire, Marie Curie, Charpak, Mandelbrot, Yersin, Grothendieck, Schuman, Joséphine Baker, Romy Schneider, Dalida, Kandinsky, Gao Xingjian, Kundera, Aznavour, Picasso, Chagall, Cardin, liste bien incomplète à laquelle il faut ajouter la majorité des reines de France, d’Anne de Kiev à l’impératrice Eugénie (de Montijo). Chaque année, la France accueille environ 2500 scientifiques étrangers : beaucoup resteront en France, « Et tout ça, ça fait d’excellents Français, d’excellents soldats, qui marchent au pas » chantait Maurice Chevalier en … 1939.

Marchent au pas ? Eh oui : le quatorze juillet est un beau défilé. Et l’invention de la conscription, la levée en masse, les soldats de l’an II qui crient « Vive la Nation ». C’est beau, le sentiment d’unité national, cette ferveur, ce compagnonnage des tranchées.

Cette douleur vit aujourd’hui en Ukraine, où résistent ceux qui prétendent mourir pour une « nation ukrainienne », qui selon l’ancien Président Medvedev, candidat à la succession de Poutine, n’existe pas.

Si l’on regarde la carte des « peuples », elle correspond peu à celles des « nationalités ».  

Difficile de définir une nation. Au début, la nation, c’est le pays du paysan, l’endroit d’où l’on est, où l’on naît. Une dérive permit de l’assimiler à l’identité d’un peuple. Ce qui n’amène pas loin, puisque de peuple, il en est beaucoup, assez, peu, selon les définitions et les variations de l’histoire. Peuples et nations se reconstruisent. Encore aujourd’hui, difficile de définir ce qui fait l’identité d’un Russe (25% des Russes ne sont pas « russes »), des Chinois, Espagnols, Slaves, Suisses, Indiens, Iraniens, Turcs, Canadiens… Si l’on regarde la carte des « peuples » plus ou moins bien répertoriés par les langues, lois et coutumes communes, elle correspond peu à celles des « nationalités ». Même le Luxembourg ne passe pas la double grille de lecture.  Superposer les cartes du monde des peuples et des nations réserve donc bien des surprises à ceux qui croient que « les Nations font l’histoire ». À Liège, on fête le 14 juillet. C’est que la nationalité s’est mariée avec la citoyenneté. D’où la conscription.

L’histoire fait les nations. Ou plutôt, le pouvoir. Qui fait la Nation ? L’État. Pourquoi le 14 juillet ? Parce qu’entre ces mois de juin et de juillet 1789, les députés du Tiers-Etat se sont constitués en « Assemblée nationale » (17 juin), puis Constituante, (9 juillet). Ce n’est pas la prise de la Bastille qui fait la Révolution, mais le Serment du Jeu de paume (20 juin), dont la représentation en un gigantesque bronze mural est scellée dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale.  

Ce jour-là, la souveraineté passe du roi, par la grâce divine, à « la nation », le peuple. Qu’est-ce que le peuple ? L’ensemble des nationaux, des citoyens. D’où Valmy.  Quand le roi, le 17 juillet, traverse la foule des gardes, ils ne crient plus « Vive le Roi », mais : « Vive la Nation ». Ce n’est pas de l’histoire, mais de l’actualité, pas seulement en Ukraine, dans le monde entier.

Aujourd’hui, la majorité des États membres des « Nations-Unies », sont des Etats créés par … les colonisateurs.

La construction de l’état moderne a sa légitimité dans cet « État-nation », Etat du peuple, de l’impôt pour tous à l’Etat-providence, avec un « E » majuscule comme Dieu et le Roi. Ce qui conduit surtout à forger une « identité nationale ».

Aujourd’hui, la majorité des États membres des « Nations-Unies », sont des Etats créés par … les colonisateurs. Il a fallu créer l’identité argentine, pakistanaise, jordanienne, algérienne, sud-africaine, etc… 110 états sur 197 sont « décoloniaux ». Chacun reprenant la rhétorique du nationalisme d’autant plus fortement que la nation est peu historique.

La preuve en Afrique, où les guerres, ni nationales ni tribales, sont civiles pour l’accaparement de richesses auxquelles donne accès le pouvoir.  Guerres de prévarication qui se multiplient et se multiplieront plus encore à l’avenir.

La preuve en Amérique où les « nations » sud-américaines partagent langue et culture communes, mais où l’exercice du pouvoir se fit à partir d’îlots, multiples centres à partir desquels se firent les Etats « nationaux », malgré Bolivar. À tel point que, malgré Morazan, l’Amérique centrale est divisée en petits Etats, qui exaltent chacun un nationalisme exalté, jusqu’àprovoquer une guerre entre le Salvador et le Honduras, dite « guerre du football ».

Le nationalisme est un dévoiement du patriotisme; il gomme, dans la construction de l’État-nation, ce moteur : la liberté.  

La Nation s’affiche et se partage dans la joie, au grand jour, dans les cérémonies et rites sportifs : Coupe d’Europe, où les fans pleurent et crient, Jeux Olympiques, où se décomptent les médailles par nation, au point de triches étatiques. Qui ne vibre, pour son équipe, pour son club ? Sentiment naturel d’identification, qu’il serait stupide de nier ou d’étouffer.

« Pourquoi nous sommes patriotes et ne sommes pas nationalistes » écrivait le prix Nobel, inventeur de l’enseignement laïc et député, Ferdinand Buisson. Le nationalisme est un dévoiement du patriotisme; il gomme, dans la construction de l’État-nation, ce moteur : la liberté. Il entend soumettre le citoyen au souverain, en fait à l’Etat.

En attribuant la souveraineté, qui n’est rien d’autre que la légitimité, du « Ciel » au « Peuple », la Révolution libère, donnant à chacun le beau titre de citoyen, faisant de chaque citoyen l’égal de l’autre.

Sublimer les différences, dans un combat idéaliste qui touche non pas à « la francité » mais à l’humanité.

Trois questions très actuelles se posent pour la prochaine Assemblée « nationale » :

  1. Comment construire l’Etat moderne, non plus l’Etat-nation des XIXème et XXème siècle, mais celui du XXIème ? À l’ère de la révolution digitale, de la « citoyenneté numérique » accordée par Google ou Huaweï ? L’Europe est une partie, une partie seulement, de la réponse.
  2. Comment renforcer la liberté de tous, y compris la liberté des peuples qui se veulent libres, face aux menaces toujours résurgentes des vieux impérialismes ? Le combat contre les tyranneaux, grands et petits, brûle. C’est aussi une bataille intérieure. Les tyranneaux ont des complices.
  3. Comment favoriser l’unité « nationale » dans le respect des diversités ? Unir, sans uniforme. Et comment animer le respect dû aux autres mais aussi à la « Patrie » ? Question qui touche à l’identité de chacun, des enfants d’immigrés aux Kanaks et Caldoches. La France est cette capacité à sublimer les différences, dans un combat idéaliste qui touche non pas à « la francité » mais à l’humanité.

Peut-être un nouveau Mazarin saurait le faire, lui qui traversa le mépris pour construire une France moderne. Il suffit de trouver des politiciens qui se transforment en hommes ou femmes d’Etat. On en trouve toujours quand il y a vraiment péril en la demeure. Le pays va bien. Donc on n’en a pas besoin. Vive le 14 juillet !

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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