Alors que sa mission s’achève, Jean-Marie Bockel, l’envoyé spécial du président Macron pour l’Afrique, dresse, pour Lesfrancais.press, un bilan de celle-ci. Nommé en février 2024, l’ancien ministre de la coopération a dû, entre autres, gérer le retrait de nos troupes militaires de ce continent. Durant cette période, il a également fait face à des tensions diplomatiques importantes. Au moment de tirer les conclusions de son action, notre invité est sans ambages : « Mission accomplie » nous dit-il. Et pourtant, un rapport sénatorial publié ces derniers jours pointe les manques de la politique africaine d’Emmanuel Macron. Mais aujourd’hui, la parole est à la défense.
Jean-Marie Bockel : un homme expérimenté pour négocier le retrait des militaires
Depuis plusieurs années le positionnement de la France en Afrique fait débat. L’histoire entre notre pays et ce continent oscille entre amour et rejet, au rythme des événements et des déclarations. En février 2024, lorsque le Président Macron nomme Jean-Marie Bockel pour être son représentant pour cette partie du monde, les tensions ne cessent de croître entre la France et certains Etats. On se souvient d’ailleurs qu’en 2023, nos soldats avaient été chassés du Niger, du Burkina Faso et du Mali.
Voulant sans doute éviter de nouveaux camouflets, notamment avec le Tchad, le Benin, la Côte d’Ivoire ou bien encore le Sénégal, Emmanuel Macron avait alors confié à l’ancien parlementaire et Maire de Mulhouse la négociation des retraits de nos autres troupes militaires françaises dans ces pays. En homme politique d’expérience, celui qui fut député, puis sénateur, et plusieurs fois ministres, a dû notamment faire face à diverses tensions diplomatiques, une véritable mission entre concertation et surprises.
« Je partage le point de vue du Président Macron, le bilan est positif, notamment au Gabon et en Côte d’Ivoire. »
Jean-Marie Bockel, représentant d’Emmanuel Macron pour l’Afrique
Mais « j’ai le cuir épais » nous dit-il au cours de l’entretien téléphonique que notre média a pu avoir avec Jean-Marie Bockel. À l’heure ou sa mission d’envoyé spécial du président Macron en Afrique s’achève, quel bilan en tire-t-il ? Comment se sont déroulés ces retraits militaires ? Et ou en est aujourd’hui l’influence française sur ce continent ? C’est ce que nous avons voulu savoir.
Retrait militaire de la France : entre concertation et annonce surprise
Pour l’ancien ministre, son action au cours des 12 derniers mois, a connu de nombreuses réussites. C’est en effet sans retenue que celui-ci nous déclare : « je partage le point de vue du Président Macron, le bilan est positif, notamment au Gabon et en Côte d’Ivoire ». Le chef de l’Etat a en effet mis en avant le succès de cette mission au cours du discours prononcé le 6 janvier dernier lors de la conférence des Ambassadrices et Ambassadeurs, tout en remerciant personnellement l’action de son envoyé spécial en Afrique.
« On a été surpris au Tchad. On ne s'attendait pas à une annonce de la fin de nos accords de défense. »
Jean-Marie Bockel, représentant d’Emmanuel Macron pour l’Afrique
Toutefois, si le départ des soldats tricolores a pu et peut encore se mener en concertation avec Abidjan et Libreville, le Sénégal, et surtout le Tchad ont bousculé les calendriers. « On a été surpris, on ne s’attendait pas à ce que le Tchad annonce la fin de nos accords de défense » nous confie Jean-Marie Bockel. Mais, s’adaptant, « la France a pris acte » indique-t-il lors de notre échange. Souhaitant nous assurer aussi, « on garde une relation normale avec ce pays ».
« Changer c’est aussi pérenniser ce que nous avons en partage. Cela participe à l’influence de la France. »
Jean-Marie Bockel, représentant d’Emmanuel Macron pour l’Afrique
Et pourtant, le président tchadien Mahamat Idriss Deby a, de son côté, célébré, il y a quelques jours « le départ définitif et complet » des forces françaises stationnés dans son pays.
Au cours d’une cérémonie organisée dans la capitale N’Djamena, ce dernier a même parlé de « retrait historique » vivant cette situation comme une sorte de soulagement de voir partir (définitivement) les troupes militaires du Président Macron. Si bien que les relations entre nos pays seront sans doute à réchauffer ces prochains mois. Et que le retour à des relations « normales » sera peut-être plus compliqué. Mais en diplomatie, la vérité de façade n’est parfois pas celle de l’arrière-cour.
« Pour assurer la sécurité de nos compatriotes, les plans d’évacuations, en cas d‘urgence, sont actuellement revus. »
Jean-Marie Bockel, représentant d’Emmanuel Macron pour l’Afrique
Interrogé sur la position évolutive du Sénégal quant aux échéances de retrait des soldats français, Jean-Marie Bockel regrette que « le calendrier électoral du Sénégal » ne lui ait pas permis de se rendre directement à Dakar. Le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a, de son côté, dernièrement annoncé lui-même le retrait de toutes les troupes étrangères, y compris les militaires français, d’ici fin 2025.
Or, dans son discours du 6 janvier dernier devant les ambassadeurs français, le président Macron avait indiqué : « nous avons proposé aux chefs d’État africains de réorganiser notre présence. Comme on est très polis, on leur a laissé la primauté de l’annonce. » A ce jeu d’annonce, depuis Dakar, le premier ministre sénégalais avait alors répondu à la France : « je tiens à dire que, dans le cas du Sénégal, cette affirmation est erronée (…) la décision prise par le Sénégal découle de sa seule volonté. » Une fois n’est pas coutume, la vérité diplomatique doit se trouver entre les deux déclarations. Et après la joute verbale, il s’agit aussi de se tourner vers l’après, et de trouver des axes pour maintenir une influence française dans cette région du globe.
Quel avenir de la France en Afrique ?
En effet, sous l’égide de guerre de position, ces positionnements diplomatiques alimentent dans le même temps un sentiment de rejet de la France. Celui-ci ne cesse de croire sur le continent africain. Pour Jean-Marie Bockel « ce climat anti-français est aussi manipulé par ceux qui ont besoin de trouver des boucs émissaires ». La puissance russe est notamment visée, et aussi celle de la Chine ?
« La France en Afrique : tourner la page du monde d’hier »
Jean-Marie Bockel, représentant d’Emmanuel Macron pour l’Afrique
Aujourd’hui, constate aussi l’envoyé spécial du Président Macron en Afrique le « symbole de la présence militaire française est devenu mauvais ». Ainsi, dans ce contexte, « on redéfinit nos positions » argumente-t-il. Cela permet également de « tourner la page du monde d’hier » ajoute Jean-Marie Bockel au cours de notre échange par téléphone. Ces nouvelles positions ne doivent pas non plus compromettre la sécurité de nos compatriotes vivants sur place. Ainsi, « les plans d’évacuations (en cas d’urgence) sont actuellement revus » rassure notre interlocuteur. Tout en rappelant, qu’« il y a des pays ou la France n’a pas de bases militaires et dans lesquels les plans de sécurité sont plutôt efficaces. » .
Entre la France et l’Afrique, cette relation historique commune peut aussi être un gage d’avenir. Si bien que pour Jean-Marie Bockel, « l’histoire de la France coloniale nous est reprochée. Mais nous l’avons en partage avec l’Afrique. On peut se faire des reproches, mais aussi exprimer ensemble de la fraternité, de la fierté ». Certains pays n’ont pas ce passé commun précise-t-il. Une nouvelle fois, l’envoyé spécial du Président Macron vise les nouvelles puissances qui s’implantent sur le continent africain. Avec un message diffusé en sous-entendu : la France était présente, et elle le restera.
Divergence nationale sur la position de la France en Afrique
C’est pourquoi, consciente qu’une page se tourne, notre pays ne baisse donc pas les bras et souhaite conserver une présence sur ce continent stratégique. « Changer c’est aussi pérenniser ce que nous avons en partage. Cela participe à l’influence de la France », souligne alors l’ancien parlementaire français.
« La France ne sera jamais très loin en cas de crise. »
Jean-Marie Bockel, représentant d’Emmanuel Macron pour l’Afrique
Si une nouvelle forme de relations émerge entre la France et l’Afrique, ce sont vers des partenariats plus économiques et également éducatifs et universitaires que l’avenir peut se dessiner. « L’objectif de ces pays est de répondre aux besoins de leurs populations, et notamment de leur jeunesse. » souligne Jean-Marie Bockel. La France souhaite y participer activement. Et des propositions seront faites en ce sens. Et puis, comme, il le glisse au cours de notre conversation, « la France ne sera jamais très loin en cas de crise. »
Un rapport sénatorial dénonce l’action du Président Macron en Afrique
Mais dans l’hexagone, la polémique s’ouvre quant à la réelle influence de la France en Afrique et l’action du président de la République sur ce continent est remise en cause. Un rapport sénatorial sur « l’architecture de sécurité africaine et le renouveau des relations de la France avec les pays africains », produit par François Bonneau (Union centriste) Marie-Arlette Carlotti (parti socialiste) et Ronan Le Gleut (Les Républicains) pointent les manques dans la stratégie présidentielle. Au moment de notre échange, Jean-Marie Bockel nous affirme n’avoir pas lu ce document provenant du Sénat. Il n’a d’ailleurs pas pu participer aux discussions ayant conduit à la production de ce texte « pour des raisons d’agenda » justifie-t-il.
Et après cette mission en Afrique ?
En conclusion, celui qui durant 12 mois a été le représentant d’Emmanuel Macron, dresse un bilan positif. « C’était en engagement bénévole » rappelle-t-il. Et aucun doute, il a effectivement donné de ses heures sur un sujet qui l’avait auparavant profondément marqué personnellement. En effet, son fils, Pierre Bockel avait trouvé la mort au Mali dans la collision accidentelle de deux hélicoptères, alors qu’il faisait partie des militaires engagés dans l’opération Barkhane. Quand cette mission lui a été proposée, il n’a pas hésité : « je suis toujours là pour mon pays » affirme-t-il.
Mais que deviendront les travaux de sa mission à l’heure où celle-ci s’achève ? Souhaite-t-il continuer son travail, le faire évoluer ou bien tourner la page ? En guise de confidence, il nous dit qu’il y a quelques jours, il a glissé à l’oreille du président Emmanuel Macron « si tu as besoin de moi… tu sais où je suis. » En attendant, c’est à son association « Solidarité défense » qu’il va consacrer ses prochaines semaines. « Ceux qui nous defendent ont parfois besoin de nous… » est-il inscrit sur la première page du site internet de cette organisation. Comme un écho à cette question : qui aujourd’hui a-t-il le plus besoin de l’autre entre la France et l’Afrique ?
Auteur/Autrice
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Jérémy Michel est rédacteur en chef adjoint du média Lesfrancais.press. Il est également coach en développement personnel et formateur en communication. Jérémy a auparavant travaillé au sein de diverses institutions politiques françaises et européennes. Il a aussi été en charge des affaires publiques d’un grand groupe spécialisé dans la santé.
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