« Mille milliards de sabords ! » jurait le capitaine Haddock. Que dirait-il à Medvedev, Lavrov et quelques autres qui ressortent leur panoplie de missiles, pour effrayer le chaland. C’est vrai, c’est effrayant. Moins les missiles que le délire des stratèges et la crédulité de la foule. D’un côté le combat contre l’Occident des Russes et des Chinois, de l’autre la haine religieuse : « Frappez les Juifs et les Chrétiens, leurs foules et leurs convois, dans les rues et sur les routes d’Amérique et d’Europe, et en particulier en France. » recommande le Djihad Islamique dans sa presse semi-clandestine. Les spécialistes appellent cela la stratégie des « mille entailles », des petites attaques solitaires pour affaiblir le pays et le corps social. D’un côté mille missiles, de l’autre mille entailles. Guerre totale ? Non. Pour l’heure, guerre subliminale.
L’anonymat donne vie aux robots d’opinion. Erreur. La liberté suppose la responsabilité.
De nombreux niais, pacifistes, réalistes ou subtils, innocents parmi les traîtres, – mais « l’innocence est une forme de démence »[1]– mâchonnent la propagande russe. L’esprit collabo s’infuse. Alors que drones et avions russes ont violé cinquante fois les frontières de l’OTAN, que des cyberattaques paralysent les aéroports de Berlin, Londres, Bruxelles, que des câbles sous-marins sont sabotés, que 70 cyberattaques ont ciblé des entreprises françaises de haute technologie, des intelligences expliquent qu’il faut éviter de provoquer les Russes. Bien tapi en Europe, dans les gouvernements, les médias et quelques partis politiques, l’ogre se fait renard, ou putois. Pour quelques euros, de faux roumains, bulgares, albanais déposent des têtes de porc devant des mosquées, impriment des mains sanglantes sur les murs de Paris, balafrent les tombes juives de croix gammées. Comment exciter l’antisémitisme, l’anti-islamisme, la haine du voisin, le dégoût de soi, l’anti tout, animer dans l’anonymat des réseaux asociaux la haine sociale, politique, religieuse ? Sous couvert de liberté, l’anonymat donne vie aux robots d’opinion. Erreur. La liberté suppose la responsabilité.
Ceux qui ont déposé des têtes de porc et ceux qui appellent au djihad sont les mêmes. Ils veulent allumer le feu dans la cité. Notamment en France, parce que la France compte encore. Poutine veut effrayer avec ses menaces nucléaires, comme le Djihad (si c’est le djihad), car la peur est un instrument de propagande. Qui marche, hélas. Le Hamas, avec la bêtise autodestructrice du gouvernement israélien, a beaucoup gagné avec ses massacres. Et ses commanditaires.
[1] Selon Graham Greene
Le succès du Hamas est la division dans les sociétés, la haine progressive déclenchée contre les Juifs à travers le monde.
Le plus important n’est pas la reconnaissance d’un État palestinien, – il est reconnu par deux tiers des pays de l’ONU et inscrit dans la déclaration de l’ONU sur le partage de la Palestine ayant donné naissance à Israël. Il est légitimé par Israël depuis les accords d’Oslo- le seul succès du Hamas est la division dans les sociétés, la haine progressive déclenchée contre les Juifs à travers le monde, l’engouement d’une partie de la jeunesse occidentale contre Israël, germe extraordinaire qu’on ne retrouve dans aucune université du monde islamique. Qui expliquera un jour aux religieux fanatiques du gouvernement israélien, que s’il est écrit que le dieu des armées donne la victoire c’est parce que celle-ci n’est pas dans les armes mais dans les cœurs ? Qui gagne le cœur, ou l’affole, gagne sa guerre.
Parler de guerre hybride ou de guerre informationnelle n’est que la resucée savante des évidences anciennes : Viser la tête, mieux encore : arracher le cœur.
La stratégie des mille entailles, celle des terroristes et des guérillas, aussi sauvage se veut-elle, n’a jamais réussi.
Et pourtant, la stratégie des mille entailles, celle des terroristes et des guérillas, aussi sauvage se veut-elle, n’a jamais réussi, Jamais, nulle part, en aucun pays, en aucun siècle. Elle permet de justifier les répressions. La lutte clandestine se résout par des moyens clandestins que savent pratiquer les États. Il y a plus à craindre des pouvoirs de l’ombre des agences d’état que des illuminés, aussi démoniaques et sadiques fussent ils. Et les meilleurs services de renseignement ne sont ni russes ni chinois, ni turcs. Ils sont anglais, français, américains.
La stratégie de l’effroi nucléaire ne marche pas non plus. L’URSS s’est écroulée sous le poids des dépenses militaires. La Russie de Poutine s’écroulera aussi. L’Europe a gagné la guerre froide sans un coup de feu. Et aucun ne sera tiré pour que le régime oligarchique de Poutine ne s’effondre.
Le danger, comme d’habitude est intérieur. Intérieur aux démocraties, intérieur à la Chine, à la Russie, à l’Iran. C’est en cela que la partie est difficile. Pour la stratégie géopolitique, tout est sur la table pour qui veut y jeter un œil. La partie est plus complexe dans le fonctionnement interne des régimes. Et si la France est attaquée, c’est qu’elle est considérée comme forte, et fragile.
Si l’on regarde calmement l’état des forces et des atouts, les régimes autoritaires et oligarchiques n’ont aucune chance. Aucun n’a jamais gagné un conflit direct face à une démocratie. Le coût d’un appareil répressif est un handicap considérable. A la longue, la propagande des régimes autoritaires, grotesque, se retourne contre eux. Viendra un moment où les Chinois ne seront plus fiers de leurs dirigeants. C’est cela que les dirigeants chinois surveillent le plus. Dans une démocratie, le mépris des dirigeants est une donnée.
À la démagogie de masse, la télévision, se substitue celle des mots doux, personnels, via les écrans.
On parle beaucoup de puces, de terres rares, de monnaies de missiles, mais la vraie bataille se joue dans les nouvelles connexions de neurones, nouvelles modes, nouvelles idées, nouveaux réflexes. La vague populiste a ému les élites, mais elle n’est pas mortelle ; pas plus que la wokiste. Vient le temps de la personnalisation des messages. À la démagogie de masse, la télévision, se substitue celle des mots doux, personnels, dans des sociétés de solitude, via les écrans. Les escrocs de l’intelligence et du sentiment s’organisent ; voici le temps des arnaqueurs, de la démagogie personnalisée, à la carte. Dans ce domaine aussi, les systèmes ouverts, agiles, divergents, seront plus efficaces que les systèmes fermés. Il peut y avoir des fermes d’esclaves influenceurs en Asie du Sud Est, des robots de trolls électeurs en Russie, ils n’auront jamais l’agilité des polytechniciens du marketing des démocraties consuméristes.
À moins que les élites elles-mêmes, désabusées, ne se sabordent elles-mêmes, ce qui est possible. « Il y a de tels moments où l’adoration des niais vous fait envier le pilori. »[1] Alors revenir à Tintin le globe-trotter, et jurer face aux démons de la lassitude, à la gueule des mille missiles et au supplice annoncé de milles entailles, « mille milliards de sabords ». Le risque, c’est la démission.
[1] Bernanos, Sous le soleil de Satan.
Laurent Dominati
a.Ambassadeur de France
a.Député de Paris
a.Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app de paiements des Français expatriés, France Pay.
Auteur/Autrice
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Député de Paris de 1993 à 2002, Ambassadeur au Honduras de 2007 à 2010, puis au Conseil de l'Europe de 2010 à 2013, il a fondé le media lesfrancais.press dont il est le Président.
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