Mercato gazier et indépendance

Mercato gazier et indépendance

Pied de nez princier de MBS, le Saoudien, aux Etats-Unis et à l’Europe : au lieu d’augmenter la production de l’OPEP, il la réduit. Ben Salman, vexé d’avoir été justement soupçonné d’avoir découpé Kashoggi, voudrait-il son indépendance ? L’Arabie peut-elle se passer des Etats-Unis ? Risqué. Une situation qui accouche d’un mercato gazier au niveau mondial. L’origine ? Les Américains devenus, grâce au pétrole de schiste, premier producteur mondial, les pays du Golfe sont moins en mesure d’exercer leur chantage. Le gendarme s’étant éloigné, ils paient d’ailleurs leur or noir par la guerre, civile et externe. 

Pétrole et gaz enchaînent l’Europe à ses fournisseurs. Aimerait-on tant les Qataris s’ils n’étaient parfumés de gaz ? Et l’Iran, sa police religieuse et ses centrifugeuses, serait-elle seulement tolérée ? La sécurité de l’Europe, son approvisionnement, est assurée par les États-Unis. Double dépendance. 

Le plan « Repower Europe », adopté quelques semaines après l’attaque russe, prévoit d’investir 210 milliards d’euros pour faire passer la part d’énergies renouvelables à 45% en 2030. Derrière l’ambition d’atteindre la neutralité carbone en 2050, l’autonomie énergétique. 

De l’eau dans le gaz à tous les étages 

L’Europe parie sur les énergies renouvelables, et allume des cierges pour que des technologies nouvelles, comme l’hydrogène vert, voient le jour. En espérant que cela n’induira pas de nouvelles dépendances à des métaux, rares ou non, contrôlés par d’autres, comme les Chinois.

La transition énergétique pouvait être plus douce. Il y a peu, l’UE faisait entrer gaz et nucléaire dans sa taxonomie « verte », liste des investissements qui pouvaient bénéficier du plan de relance européen. Poutine en a conclu qu’une nouvelle dépendance était née, et, sans même que Nord Stream 2 soit mis en service, attaqua l’Ukraine. Et dire que certains le prenaient pour un stratège. 

Aujourd’hui, il ne suffit pas que Nord Stream 1et 2 soient coupés, ils sont sabotés. Une fuite de gaz montre qu’un gazoduc est fragile. Cela vaut aussi pour la Russie : des services secrets pourraient songer à une fuite de gaz sur le fleuve Amour… La règle diplomatique est la réciprocité. Le pont de Kertch saute.

La toile d’araignée gazifère s’étend

Coïncidence, au même moment, la Norvège inaugure son gazoduc polonais, substitution bienvenue. La France croise en Baltique, l’Allemagne envoie ses patrouilleurs, les Italiens surveillent le TransMed d’Algérie. 

La Russie exportait 155 milliards de gaz en 2021. Les Européens veulent réduire leur consommation de -15%. La Russie fournit encore 4% la consommation européenne. Si elle a coupé l’approvisionnement du gazoduc polonais Yamal, via la Biélorussie, elle continue d’exporter à travers le gazoduc Brotherhood qui passe par … l’Ukraine ! (qui n’a donc pas coupé les vannes). Le gaz russe alimente aussi l’Europe par le Turkish Stream. Elle a inauguré « Power of Siberia » vers la Chine et annonce un « Power of Siberia 2 » pour compenser la fermeture du marché européen.  

Le gaz azéri approvisionne la Bulgarie, qui s’affranchit des Russes, grâce à un nouveau gazoduc gréco-bulgare branché sur le Tanap/TAP. Les opérateurs bulgares, roumains, hongrois, slovaques, ont signé un accord avec les Azéris pour doubler le volume de gaz acheminé vers l’Europe. Tout cela sous supervision de la Commission européenne qui a aussi conclu un accord en juin avec l’Egypte et Israël. La toile d’araignée gazifère s’étend.

Israël, qui a passé un accord avec la Syrie pour cesser de bombarder ses aéroports à condition qu’ils ne reçoivent plus d’armes des Gardiens de la Révolution, arrive ainsi à un accord avec le Liban pour délimiter ses champs gaziers : le Hezbollah n’ose plus s’y opposer. France, Israël, Chypre, Grèce s’allient contre la menace turque. Ces derniers concluent un accord avec le vrai/faux gouvernement libyen, aussitôt dénoncé.

Seize ministres à Alger pour parler de tout sauf du gaz

L’Algérie a coupé le gazoduc qui transitait par le Maroc. Elle s’est entendue avec l’Italie (et la France) pour augmenter ses livraisons. Elisabeth Borne emmène seize ministres avec elle à Alger pour parler de tout, sauf du gaz. Hélas les capacités algériennes, faute d’investissements, sont réduites. 

Le Maroc signe un accord avec la Mauritanie et le Nigeria pour construire le Nigeria-Morocco Gas Pipeline (NMGP), (5 660 km, une partie en offshore, 25 milliards de dollars). Il sera plus long (et plus cher) que le Trans-Saharan Gas Pipeline (TSGP), (4 128 km, 13 milliards de dollars) vieux projet qui devait arriver en Algérie mais qui n’arrivera jamais à cause des guerres du Sahel et des incertitudes à Alger.

Incohérence d’investir dans les projets d’énergie fossile quand on veut s’en débarrasser 

Autre vieux projet, le MidCat, entre la France et l’Espagne, revient. Espagnols, Allemands, Portugais font pression sur la France pour relier la péninsule ibérique et le reste de l’Europe. Cela donnerait de nouveaux débouchés au Gaz Naturel Liquéfié, américain ou qatari. Les importations européennes de GNL explosent : +60%.  Il faut des méthaniers, et des terminaux. Il en existe six en Espagne, quatre au Portugal, aucun en Allemagne, d’où l’intérêt du MidCat. Mais il y en a cinq en France, un sixième bientôt au Havre. 

Les Allemands, Portugais, Espagnols font valoir que ce gazoduc pourra aussi transporter de l’hydrogène vert. La France y investit dix milliards, sans compter l’apport du… nucléaire pour en fabriquer. Pourquoi favoriser la concurrence ?

La France s’oppose au Midcat, expliquant qu’il coûterait 3 milliards, et qu’il y a une certaine incohérence à investir dans les projets d’énergie fossile quand on veut s’en débarrasser. 

Comme il y a incohérence certaine à interdire toute recherche et exploitation nationale d’énergie fossile sur le territoire national et à importer du gaz de schiste. Comme il est incohérent de surtaxer le carburant et de le subventionner, de fermer Fessenheim et de relancer le nucléaire, de sauver Edf et de l’obliger à vendre à perte, etc.

L’incohérence est la marque des politiques énergétiques, parce que l’énergie, c’est la vie, et que la vie s’affole 

Incohérence toujours : le ministre allemand de l’énergie, un Vert, accuse la France de mauvaise gestion de son parc nucléaire, ce qui oblige le vert ministre à maintenir deux centrales en marche au-delà de ce qui était prévu. Le ministre allemand n’a pas tort ; si la France était à la hauteur, la crise énergétique ne serait pas aussi violente. Et si les Allemands étaient cohérents ils ne fermeraient pas le nucléaire au profit du charbon. Hélas, la France n’est plus, avec les faillites d’Areva et d’EDF, la référence qu’elle était il y a peu. La moitié de son parc nucléaire est en panne. 

L’incohérence est la marque des politiques énergétiques, parce que l’énergie, c’est la vie, et que la vie s’affole dès qu’elle manque de quoi que ce soit. C’est pourquoi ingénieurs et politiques méritent indulgence. C’est pourquoi l’avenir de l’énergie est au local, au petit, à l’autonome, et pas au grand plan de la grande politique du grand ingénieur. 

Tout cela renvoie à la question de fond : l’Europe peut-elle construire son indépendance énergétique ? Si elle y arrive, avec le nucléaire, le solaire, la géothermie, la maréthermie, les nouveaux matériaux de construction, alors, le prix du gaz s’effondrera… ce qui rendrait les nouvelles énergies à nouveau trop chères.  

La lutte contre le réchauffement climatique : une bataille économique pour l’indépendance des Européens 

D’un côté la crise du gaz réhabilite le nucléaire. Selon l’AEIA sa capacité devrait doubler d’ici 2050. De l’autre elle renforce les besoins d’une « autonomie stratégique énergétique ». Alors la lutte contre le réchauffement climatique, dans laquelle on engage les peuples européens, prend un autre sens : celui d’une bataille économique, géopolitique, pour l’indépendance des Européens. De quoi, en quelque sorte, faire passer la pilule, celle des efforts, restrictions, taxes, et incohérences multiples, qui ne manqueront pas de jalonner la route.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

Auteur/Autrice

Laisser un commentaire

Laisser un commentaire