Manifestations des agriculteurs contre le Mercosur

Manifestations des agriculteurs contre le Mercosur

Les agriculteurs entendent s’opposer à la signature de l’accord entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, mais les manifestations sont aussi l’occasion pour les syndicats agricoles de se tester, avant les élections professionnelles de janvier 2025 et alors que la toute puissante Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) pourrait être contestée.

Les manifestations qui dénoncent la signature de l’accord avec le Mercosur cachent une autre guerre plus discrète : celle que se livrent les principaux syndicats agricoles avant les élections professionnelles de l’année prochaine.

Le 15 janvier 2025, les agriculteurs français éliront leurs représentants au sein des chambres d’agriculture départementales et régionales et les enjeux sont essentiels pour le secteur. En effet, le scrutin décidera quel syndicat représentera le monde agricole auprès des pouvoirs publics, accordant au vainqueur un poids politique prépondérant.

Or, si l’opposition à l’accord entre l’UE et le Mercosur fait l’unanimité, les divisions sont palpables dans les rues.

« Les manifestations de l’hiver dernier étaient déjà marquées par la campagne électorale et la surenchère s’accroît depuis, car tout le monde cherche de la visibilité », analyse pour Euractiv Véronique Lucas, sociologue rurale au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE).

Lors des élections de 2019, la FNSEA était arrivée en tête avec 54 % des voix, suivie par la Coordination rurale — une organisation adepte des blocages et des opérations « coups de poing », proche de l’extrême droite — et la Confédération paysanne — proche des milieux de gauche —, avec respectivement 21 % et 20 % des suffrages.

La FNSEA, syndicat libéral, proche de l’agro-industrie et favorable aux exportations, domine l’agriculture française depuis les années 1950.

« Cette hégémonie se retrouve dans d’autres pays européens, comme les Pays-Bas », continue Véronique Lucas. La situation est en revanche différente dans des États décentralisés comme l’Espagne et l’Italie, où l’on retrouve davantage de pluralisme parmi les organisations agricoles.

Guerres syndicales et surenchères

Au sein des manifestations qui s’intensifient cette semaine, « chacun mène son combat »souligne pour France bleu Rémi Dumaure, président de la Coordination Rurale de Dordogne. Ce dernier explique ainsi refuser de s’allier aux autres syndicats agricoles.

La rivalité entre la FNSEA et la Coordination rurale est d’autant plus forte que cette dernière a gagné en notoriété l’hiver dernier, ses membres participant à de nombreux blocages et multipliant les actions parfois violentes, notamment lors de la visite d’Emmanuel Macron au Salon de l’Agriculture en février.

Lors des dernières élections en 2019, la FNSEA est arrivée en tête avec 54 % des voix, suivie par la Coordination rurale — adepte des blocages et des opérations « coups de poing » — et la Confédération paysanne — proche des milieux de gauche —, avec respectivement 21 % et 20 % des voix. ©Getty Images/Adnan Farzat_NurPhoto]
Lors des dernières élections en 2019, la FNSEA est arrivée en tête avec 54 % des voix, suivie par la Coordination rurale — adepte des blocages et des opérations « coups de poing » — et la Confédération paysanne — proche des milieux de gauche —, avec respectivement 21 % et 20 % des voix. ©Getty Images/Adnan Farzat_NurPhoto

« La Coordination rurale a obtenu beaucoup de voix lors des dernières élections, et a depuis gagné en visibilité dans les médias », note encore Véronique Lucas, qui souligne la couverture complaisante du mouvement par des chaînes d’information comme CNews ou BFM TV.

La Confédération paysanne tente de son côté de se faire entendre sur le Mercosur au niveau européen, par le biais de son allié à Bruxelles, la Via Campaesina, et avec le soutien de partis écologistes et de gauche.

Ces deux organisations ont manifesté à Bruxelles le 13 novembre dernier, à l’appel de l’organisation wallonne Fédération Unie de Groupements d’Éleveurs et d’Agriculteurs (FUGEA).

La bataille s’annonce donc féroce d’ici les élections, et elle risque de s’intensifier, alors que le corps électoral est en rétractation, du fait de la diminution du nombre des agriculteurs en France et alors que l’abstention est en progression, près de 55 % en 2019 contre 45 % en 2013.

Changement des équilibres ?

Ce contexte peut-il déboucher sur un changement au sein des équilibres syndicaux ? Cela devrait dépendre de la capacité de la FNSEA à maintenir un discours mobilisateur lors des manifestations, surtout sur la question du Mercosur. Une conclusion de l’accord avant janvier 2025 étant peu probable, les mobilisations pourraient donc se poursuivre jusqu’au début de l’année prochaine.

Pour l’heure, la FNSEA reste catégoriquement opposée à l’accord « tel qu’il est »« Si demain on nous explique qu’on a un accord avec lequel il y aura à la fois le respect des accords de Paris, la traçabilité, pas de matières actives qui sont interdites en Europe, nous ne nous fermons pas la possibilité de faire du commerce avec le Brésil ou d’autres pays du monde », a toutefois précisé Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA sur BFM TV.

Une position violemment attaquée par la Coordination rurale, qui reproche au syndicat majoritaire son « double langage » sur le Mercosur, alors qu’Arnaud Rousseau fait partie du conseil d’administration du groupe agroalimentaire Avril, lequel « investit massivement » au Brésil.

La Confédération paysanne ne retient pas non plus ses attaques contre la FNSEA. Si une alliance entre « la Conf’ » et la Coordination rurale n’est pas d’actualité pour bloquer leur rival, les deux formations ont déjà ponctuellement uni leurs forces, comme en avril dernier pour demander à Emmanuel Macron des avancées sur les revenus des agriculteurs et, déjà, pour bloquer l’accord avec le Mercosur.

Peu probable cependant que la FNSEA perde sa position majoritaire lors des prochaines élections, selon les experts contactés par Euractiv, tant son ancrage territorial et sa capacité de mobilisation sur le terrain restent solides. Une victoire aux élections, aussi ténue soit-elle, suffit à maintenir une position hégémonique sur le monde agricole.

Difficile de savoir pour le moment ce qu’il adviendra d’ici au 15 janvier prochain, car de nombreux facteurs peuvent intervenir d’ici là. « Le climat de l’hiver peut jouer sur l’évolution des maladies animales qui inquiètent les éleveurs, cela dépendra aussi de la réponse du gouvernement aux préoccupations des agriculteurs », conclut Véronique Lucas.

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