Mafia, Kremlin et Maison Blanche

Mafia, Kremlin et Maison Blanche

Peut-être n’est-ce pas si grave. Peut-être n’est-ce pas certain, ce serait malgré tout dangereux que des groupes criminels s’installent à la Maison Blanche; surtout s’ils sont étrangers. Jusqu’à présent, dans l’histoire des États-Unis, les liens de la Maison Blanche avec la Mafia étaient réservés à la Mafia américaine[1].  Elle choisit Franklin Roosevelt contre Al Smith en 1932, y gagnant le contrôle des ports. Lucky Luciano sera libéré pour aider l’approvisionnement de l’Italie. Truman doit sa carrière à la Mafia de Kansas City. Recommandé à Roosevelt par les syndicats, notamment celui du crime, il devient son vice-président. Kennedy joue avec et contre la mafia, ce qui lui vaut son assassinat. Nixon est chaperonné dès sa première élection en Californie, tout comme Clinton en Arkansas. Quant à Trump, son ascension immobilière, ses faillites, ses casinos, s’expliquent moins par le talent que par la mafia. Dans son cas, les mafias : américaine, et… russe[2].

10 millions de dollars. Un petit geste de Poutine.  

« Il avait essuyé des pertes avec ses casinos et d’autres entreprises en faillite À l’époque, les oligarques russes ont cherché à diversifier leurs placements et Donald Trump avait besoin de cet argent » confie Kenneth McCallion, procureur anti-mafia à New York de 1978 à 1992. La mafia russe est une alliée du KGB devenu FSB, complicité née du Goulag pour tenir les camps. Trump a maintenu ses « conversations secrètes » avec les Russes pendant sa présidence. Depuis sa défaite, il n’a cessé de discuter avec Poutine. Le FBI a démantelé un réseau d’influenceurs contre Harris financé par les Russes pour 10 millions de dollars. Un petit geste de Poutine.

Rien par rapport aux contributions d’un Elon Musk, intéressé par les contrats publics et les milliards y attenant.  Si la Silicon Valley, bastion démocrate, devient trumpiste, c’est qu’une législation anticartels menace les nouveaux oligarques de la révolution digitale.

Les vieux oligarques de la vieille économie du pétrole, eux, étaient à Kazan, pour le sommet des Brics. Combien de barils prendrez-vous au cocktail ? Poutine y accueillait une vingtaine de chefs d’État, une sorte de rendez-vous du crime désorganisé. Les politologues sans politique y voient la revanche du Sud global, la mise en cause du dollar, le déclin de l’Occident et autres banalités depuis la conférence de Bandung de 1955.  Soit, les empires coloniaux ont disparu, la Chine est redevenue impériale, les Brics émergent. Ils patinent aussi.

Kazan : le rendez-vous du crime désorganisé.

La Russie n’en finit pas de s’abîmer, alors que la faible Europe s’unit et s’élargit. Et ce sont encore les Etats-Unis mènent la révolution mondiale. Difficile de détrôner le dollar avec du Yuan ou du Rouble, personne n’a confiance dans une monnaie contrôlée par un pouvoir tyrannique. Au rendez-vous de Kazan, on a parlé gros sous, commissions, pétrole, mais pas d’alliance politique, encore moins idéologique, ou commerciale. Elles n’existent pas.

Erdogan, lié à la mafia turque, y a peaufiné ses circuits de contrebande. Narendra Modi, qui a fait assassiner il y a peu un opposant sikh au Canada, a mis de côté ses diatribes antimusulmanes pour négocier des ristournes sur le pétrole. Le vrai patron, à Kazan, ce n’était pas ce malheureux Antonio Guterres, chef de l’ONU qui a perdu le nord, mais Xi Jinping, maître de l’atelier du monde qui fournit l’Occident. Qui dépend de qui : Le fournisseur ou le client ? Même si elle aspire à s’en défaire, la Chine a encore besoin de l’Occident décadent.  

Ces chefs de gangs gouvernementaux n’expriment en rien les vœux du « Sud global ». Les habitants de ce que l’on appelait le Tiers-monde aspirent à plus de bien-être et de liberté. Les vraies gens, d’Asie, d’Amérique, d’Afrique, veulent imiter l’Occident opulent. A contrario, leurs dirigeants ont peur de ce qu’il transporte : l’idée, illusion ou non, de liberté.

La nouvelle « classe moyenne » mondiale veut décider de son avenir, se sentir libre. Elle n’est en aucune manière représentée par les assassins de Kazan.

Pourquoi les vraies gens persévèrent dans le productivisme et le capitalisme oppresseur ? Pour de basses considérations matérialistes. La ration calorique par personne dans le monde a augmenté de 35% en 60 ans. Dans les pays pauvres, elle est passée de 2000 à 2500 calories par jour. De 1960 à aujourd’hui, la population a été multipliée par 2,5, mais la production de céréales par 3,5. Les surfaces cultivables n’ont augmenté que de 10%, parce que la surface nécessaire pour nourrir une personne a baissé de 58% (source FAO). L’espérance de vie moyenne mondiale est passée de 50 ans, en 1960, à 70 ans aujourd’hui. Incroyable : Le « Sud » aime vivre et aimerait même vivre bien.

En 1990, 40% de la population mondiale vivait dans l’extrême pauvreté. Aujourd’hui, moins de 10%. Progrès fulgurants, inouïs, révolutionnaires. Le productivisme est laid, mais il nourrit. Il est moins laid que les famines, la maladie et la mort. Favelas et bidonvilles sont-ils plus beaux que les faux gratte-ciels?

La nouvelle « classe moyenne » mondiale veut s’exprimer, décider de son avenir, voyager, dépasser les frontières, se sentir libre. Elle n’est en aucune manière représentée par les assassins de Kazan.

La bataille de demain pourrait permettre à ces peuples de changer de régime. Alors les potentats se serrent les coudes. Les femmes iraniennes, les Vénézuéliens, les Syriens exilés, les Ukrainiens préfèrent la démocratie à l’européenne plutôt que l’internationale des mafias et des polices politiques.

C’est un combat, aussi, dans nos sociétés. Notamment dans l’Amérique riche, obèse, divisée, déchirée. Comment la moitié des Américains peuvent-ils choisir un Trump ?

Comment voir en Trump, l’allié des mafieux américains, russes, un patriote ?

L’ancien chef d’état-major des armées, Mark Milley, le décrit comme un fasciste. Son ancien vice-président comme un danger public. Comment voir en l’allié des mafieux américains, russes et géorgiens, un patriote ? Il y a bien une bataille contre la démocratie au sein des démocraties.

Quand Poutine réunit vingt chefs d’État, c’est un exploit. Le même jour, Macron, l’esseulé, l’insulté, l’inconstant,  rassemble 70 Etats à Paris pour le Liban. Et récolte 1 milliard de fonds alors que personne ne sait ce que deviendra le Liban dans un mois.

Le débat n’est pas entre l’Occident et on ne sait quel Orient ou Sud global. Il n’est même pas entre régimes autocratiques et démocraties libérales, il est entre le crime, l’assassinat, la contrebande, la police mariée à la pègre, et le droit, la société de confiance. Le combat est en Ukraine, en Syrie, en Turquie. Aujourd’hui,  il est aux États-Unis.

Les États-Unis sont certes assez puissants pour résister aux folies. Mais le reste du monde ? Faut-il en faire l’expérience ? La chance des braves gens, c’est que le crime organisé, même quand il est au pouvoir, est moins organisé qu’on ne le croit. Le président iranien, tué dans une chute d’hélicoptère par temps maussade, a dû le penser très fort. Un criminel trouve toujours un plus criminel qui l’affranchit. Tout système de corruption se corrompt lui-même. Comme Prigogine a trahi Poutine, tous se trahiront. Cyril Ramaphosa, président sud-africain, ex-syndicaliste devenu milliardaire par la grâce de MacDo et Coca Cola, peut embrasser Poutine, il croit d’abord au roi dollar. Les traits communs de ces pays sont la contrebande, de drogue, d’armes, de pétrole.

Il serait terrifiant que les Etats-Unis s’ajoutent à la liste des « Gangsters states ».

Chine, Russie, Syrie, Venezuela, Iran, Nicaragua, Afrique du Sud, ne sont pas les seuls pays minés par la corruption et les réseaux politico-criminels mais le personnel d’Etat y est directement mêlé, et, surtout, le crime organisé y déborde les frontières, il devient un outil géopolitique.   

Ces pays fonctionnent mal, la corruption permanente y crée un Etat parallèle, avec un nouvel impôt, une administration de passe-droits, une justice expéditive. Il serait terrifiant que les Etats-Unis s’ajoutent à la liste des « Gangsters states ».

Le risque est grand. Demain, la démocratie sera dans la main de quelques électeurs du Michigan. Heureusement,  la démocratie va bien au-delà de l’électeur. Elle repose sur l’idée que le citoyen est vertueux. Bien sûr, c’est un mythe. Qui l’est ? Mais, curieusement, ça marche, souvent. Beaucoup y croient, cela suffit. Cela met des barrières, impose des réflexes, oblige à des génuflexions.  Cela marche moins bien, évidemment, lorsque les princes sont les compagnons des voleurs.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et France Pay


[1] Jean François Gayraud, la mafia et la maison Blanche, Plon.

[2] Voir « Opération Trump » Antoine Vitkin, France5.

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