L’Europe met en place de nombreux projets de recherche et de partage de méthodes pour améliorer la lutte contre les incendies qui devraient s’accentuer dans les années à venir.
Le sud de l’Europe s’embrase. Ces derniers jours, plusieurs centaines d’incendies ont frappé l’Espagne, le Portugal, l’Italie ou la Grèce. Dans le Sud-ouest de la France, deux gigantesques incendies ont réduit en cendres quelque 15 000 hectares de forêt – plus que la surface de Paris intra-muros.
Chaque année en Europe, près de 500 000 hectares disparaissent sous les flammes, essentiellement dans les pays méditerranéens. Partout, ces méga-incendies laissent derrière eux des terres détruites, des populations sinistrées et des puissances publiques à bout de force.
« Ce qui se passe au Portugal ou en Grèce est la préfiguration de ce qui est susceptible de se passer en Europe du Nord. Les modèles sont très clairs depuis 10 ans, nous avons une extension des zones à risque vers le nord et en altitude » prévient Eric Maillé, ingénieur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
Culture du feu
Afin de mieux prévenir, lutter, et encaisser ces incendies, l’Union européenne mise sur des transferts de pratiques. « Nous devons prendre ce qu’il y a de bon dans certains pays, certaines régions d’Europe et les partager » ajoute le scientifique qui travaille sur l’un de ces projets, Med-Star, impliquant le territoire maritime du sud-est français et italien.
La culture du feu, par exemple, encore présente dans certaines régions transalpines ou au Portugal, manque cruellement à la France. « Les Italiens ont beaucoup travaillé sur les « firewise communities », ces communautés du feu, un concept canadien à l’origine. En Toscane, les communautés villageoises prennent collectivement des mesures pour se protéger, par exemple en débroussaillant » poursuit le chercheur. Une pratique – pourtant obligatoire dans les zones exposées -, encore difficile à imposer aux Français, dont l’approche reste très individualiste, dans l’autogestion du risque.
À l’inverse, la France est performante sur l’information des usagers des espaces naturels (touristes, visiteurs). Une compétence des territoires, régions ou communautés de communes qui parviennent à faire passer les messages de prévention, l’un des leviers les plus importants selon Eric Maillé. 90 % des départs de feu sont d’origine humaine, dont la moitié liée à une négligence : un mégot jeté sur le bord de la route, un feu de camping mal éteint, une braise de barbecue qui s’échappe… « Il faut encore travailler sur la culture du risque, il y a une marge de progrès énorme » poursuit-il.
Lutte et résilience
Sur la lutte contre les feux, les pays transfrontaliers tentent d’améliorer les échanges d’informations et de méthodes, par exemple entre les salles opérationnelles et les postes de commandement. D’après le chercheur, les patrouilles aériennes françaises, capables de se déporter rapidement sur les zones d’alertes, pourraient être transférables en Italie.
Des initiatives portées par Med-Star se focalisent également sur la résilience. Que se passe-t-il une fois l’incendie éteint ? « Les interventions ne sont pas toujours couronnées de succès, car c’est très compliqué d’intervenir sur des espaces brûlés, en tout cas dans les régions du Sud. Et si on laisse faire, la masse végétale très fine qui repousse peut s’embraser facilement. »
Des travaux de recherche portent actuellement sur le transfert d’espèces végétales dans de nouveaux territoires. Comme le climat se déplace très vite, les plantes locales n’ont pas le temps de s’adapter. Des expérimentations ont lieu sur du chêne vert, une essence méditerranéenne particulièrement résiliente face aux incendies, que nous pourrions aider à s’installer dans les régions plus septentrionales.
D’autres projets européens de recherche sont en cours, mobilisant des chercheurs, comme FIRE-RES, qui court de 2021 à 2025. 34 partenaires scientifiques dans de nombreux pays tentent de rendre les territoires plus résilients aux feux extrêmes.
Dernièrement, le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), en collaboration avec l’Université d’Evora (projet CILIFO) a réalisé plusieurs simulations numériques afin de comprendre l’apparition des incendies de 2017 ayant fait plus de cent morts au Portugal. De son côté, l’Inrae développe un système de prévision grâce à des images satellites en Europe du Sud.
Harmonisation
Selon les chercheurs de l’Inrae qui se sont réunis fin juin à l’occasion d’une table ronde sur le sujet, les politiques de prévention et de lutte ont démontré une grande efficacité ces dernières décennies. À tel point que les surfaces brûlées ont diminué. « En France, on est passé de 45 000 hectares par an dans les années 70-80 à 11-12 000 hectares depuis 2006 », explique Jean-Luc Dupuy, Directeur de recherche à l’Inrae.
Avec la hausse des températures globales et la baisse des précipitations, nous sommes entrés dans une nouvelle séquence. La végétation est plus sèche, les incendies battent des records sur le plan de la vitesse de propagation, de l’intensité, de l’impact.
« D’après les projections faites à partir des scénarios climatiques du GIEC, les surfaces pourraient augmenter d’un facteur deux à trois d’ici la fin du siècle en Europe du Sud, la zone à risque va s’étendre vers le nord de l’Europe et en altitude », annonce Jean-Luc Dupuy. Ces trente dernières années aux Etats-Unis, les feux sont montés de 252 mètres en moyenne, étendant ainsi la surface forestière vulnérable de 11%.
Dans ce contexte, les services de luttes auront du mal à tenir, d’où la volonté européenne de miser sur la prévention et la résilience.
D’autant que, pour Eric Maillé, nous sommes arrivés au bout de nos moyens aériens en France. « On ne va pas investir dans des centaines de Canadairs. Ils ne servent que quelques jours par an, leur coût de revient est très élevé. Nous avons besoin d’une force d’action plus européenne, il faut harmoniser nos moyens pour pouvoir intervenir simultanément sur les différents théâtres. »
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