L'Ukraine, l'UE et les agriculteurs

L'Ukraine, l'UE et les agriculteurs

Alors que l’Union européenne envisage l’adhésion de l’Ukraine, les inquiétudes se multiplient au sein des États membres quant aux répercussions possibles sur la politique de cohésion et les financements agricoles, deux piliers de la solidarité européenne. En Hongrie, ces préoccupations sont particulièrement marquées.Les dirigeants agricoles hongrois, soutenus par les principaux organismes agricoles de l’UE tels que le COPA-COGECA, ont organisé une manifestation à Bruxelles, avertissant que l’adhésion de l’Ukraine pourrait réduire le financement actuel de la Politique agricole commune (PAC) jusqu’à 25 %.

Selon Zsolt György Papp, président de la Chambre nationale d’agriculture de Hongrie (NAK), cela menacerait gravement les moyens de subsistance des agriculteurs de Hongrie et d’autres pays d’Europe de l’Est.

« Nous devons protéger le système de soutien agricole de l’UE des conséquences de l’adhésion de l’Ukraine », a déclaré Zsolt György Papp, soulignant que la sécurité alimentaire et la durabilité rurale, qui représentent quelque 400 milliards d’euros, sont en jeu.

La manifestation a coïncidé avec des révélations de plans de la Commission européenne suggérant que le financement de l’agriculture pourrait être intégrée dans un « mega-fonds » plus large comprenant les dépenses de cohésion et de défense.

Les critiques affirment que cela diluerait les fonctions essentielles de la PAC, à savoir l’aide au revenu de base, l’investissement dans l’agro-technologie et les mesures de durabilité.

Tibor Cseh, vice-président de la NAK, a mis en garde contre les « efforts législatifs furtifs » visant à fusionner les fonds de la PAC et de la cohésion, qui pourraient réduire considérablement la part de l’agriculture dans le budget de l’UE.

L’impact de l’agriculture hongroise

Les responsables hongrois se sont fait l’écho de ces préoccupations. L’eurodéputé du Fidesz, Csaba Dömötör, a accusé Bruxelles de se préparer à démanteler la PAC pour réaffecter des fonds à l’adhésion de l’Ukraine et à d’autres programmes idéologiques.

« La première victime sera l’aide à la surface », a-t-il déclaré à Bruxelles, faisant référence à l’aide directe au revenu dont dépendent plus de 150 000 agriculteurs hongrois.

Csaba Dömötör a affirmé que la vaste base agricole de l’Ukraine — plus de 40 millions d’hectares — pourrait inonder les marchés de l’UE avec des produits moins chers, dont beaucoup sont traités avec des substances interdites dans l’UE, ce qui aurait pour effet d’affaiblir les producteurs locaux.

Il a averti que la politique de cohésion pourrait également être compromise. S’exprimant lors d’un forum du Fidesz à Zalaegerszeg, il a déclaré que les fonds de cohésion et les fonds agricoles de la Hongrie pourraient être considérablement réduits, tandis que l’ouverture des marchés aux produits ukrainiens pourrait avoir lieu avant même l’adhésion à part entière. Il a affirmé que cela aurait de « graves conséquences » pour l’économie rurale hongroise.

Le tournant agricole

Ces points de vue s’inscrivent dans le cadre d’un débat politique plus large à Bruxelles. Une note d’information du Service de recherche du Parlement européen (EPRS) souligne le rôle de la politique de cohésion dans le soutien aux jeunes agriculteurs et au développement rural par le biais d’instruments tels que le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Bien que le rapport ne mentionne pas spécifiquement la Hongrie, il souligne à quel point la PAC et le financement de la cohésion sont conjointement essentiels pour lutter contre le déclin démographique et les disparités économiques dans les zones rurales.

Une récente analyse de la Fondation Robert Schuman renforce ces inquiétudes. Des pays comme la Hongrie, la Pologne et la Roumanie ont vu leur production chuter fortement en 2024 — parfois de plus de 15 % — au cours d’une année que la fondation décrit comme un « tournant » pour l’agriculture européenne, marquée par des extrêmes climatiques, des ralentissements économiques et des incertitudes géopolitiques.

L’analyse souligne que ces difficultés ont aggravé les conditions économiques dans les zones rurales et suscité un mécontentement politique. Dans certaines régions, les politiques de l’UE sont perçues avec méfiance, rappelant les souvenirs douloureux du contrôle extérieur passé. Il en résulte une frustration croissante à l’égard de ce qui est perçu comme des réglementations uniformes qui ne tiennent pas compte des réalités locales.

Grande moissonneuse-batteuse récoltant les cultures et remplissant une remorque tracteur, vue aérienne. Capturée par un opérateur de drone autorisé avec une autorisation pour le travail aérien.

Des dés à forts enjeux

Alors que des pays occidentaux comme la Suède et le Luxembourg sont parvenus à stimuler leur production grâce à des investissements stratégiques et à des mesures d’adaptation, de nombreux agriculteurs d’Europe centrale et orientale peinent à suivre le rythme.

Ils se sentent coincés entre les règles environnementales et les pressions du marché, d’autant plus que les importations bon marché et les accords commerciaux inégaux, tels que l’accord controversé avec le Mercosur, sont perçus comme sapant leurs efforts.

La Commission a promis de simplifier les réglementations et de soutenir les petites exploitations agricoles, mais ces promesses doivent être soutenues par des financements et adaptées aux conditions diverses de l’Europe centrale et orientale. La technologie et l’innovation — y compris les outils numériques et l’agriculture de précision — sont considérées comme la clé de l’avenir. Mais les petites exploitations de la région risquent de ne pas disposer des ressources nécessaires pour les adopter rapidement.

Cet article fait partie de l’édition spéciale de notre partenaire, le média référence de la sphère européenne, Euractiv, Cohésion sous pression : la Hongrie teste les lignes rouges de l’UE.

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