Samedi 22 février, triste anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, des dizaines de manifestations pour l’Ukraine ont eu lieu dans toutes les villes de France, la Tour Eiffel était en jaune et bleu. Quelques jours auparavant, Joe Biden, à Kiev, embrassait Zelensky. Un voyage surprise qui rappelle celui de Kennedy lors du blocus de Berlin, avec un message simple : l’Ukraine peut disposer à volonté de « l’arsenal des démocraties ».
Quels soutiens ? En premier lieu, celui des États-Unis. Le Congrès a voté 112 milliards de dollars d’aides, dont 67 d’aide militaire. 73 milliards ont déjà été donnés. Ensuite, les Européens : l’UE a promis 35 milliards. En plus de ce que chaque pays donne directement, aide humanitaire ou militaire. L’Allemagne s’est engagée pour 6.15 milliards, la Pologne 3.55 Mds, la France 1.7 Mds. Si l’on ajoute, pour chaque pays, les sommes de l’Union européenne, en fonction de la population et du PIB de chaque Etat, payées par eux, la France est le quatrième soutien de l’Ukraine, après les Etats-Unis, l’Allemagne, et le Royaume-Uni ; raison pour laquelle les critiques sont malvenues.
Le fait, pour la France, de vouloir maintenir un dialogue, même impossible, n’est pas absurde : comme les États-Unis, les Turcs, les Indiens, les Chinois, et de nombreux autres pays. A condition de montrer une détermination sans faille : faire comprendre que Poutine n’a aucune chance de l’emporter, que tout sera fait pour renforcer l’armée ukrainienne et finir la guerre. Frapper et parler est le principe de toute action dans un conflit qui ne peut être résolu par la capitulation.
Deux tiers des pays du monde exigent le retrait des troupes russes
A l’ONU, 141 des 193 Etats ont voté une résolution exigeant à la Russie de quitter tous les territoires qu’elle occupe en Ukraine. 141, comme il y a un an, ce n’est pas « l’Occident », mais plus des deux tiers des pays du monde.
Sept ont voté contre : Russie, Bélarus, Syrie, Corée du Nord, Mali, Nicaragua, Érythrée, sept dictatures illégitimes plus ou moins sanglantes.
32 pays se sont abstenus, dont l’Inde (le commerce avec la Russie a augmenté de 400%) et la Chine, qui a proposé des « principes de paix » et veut se poser en médiatrice. Les « 12 points » chinois reconnaissent l’intangibilité des frontières, mais demandent un retrait des sanctions, ce qui parait logique puisque les sanctions ne furent prises qu’à la suite des invasions. La Chine est sans doute le seul pays qui peut exercer une influence sur la Russie.
Plusieurs dizaines de pays réclament un tribunal pour juger les « crimes de guerre » commis en Ukraine par l’armée russe ou ses supplétifs. 65.000 cas ont été répertoriés.
« Il faut que des politicards, des salauds, des ordures, apposent leur signature ».
Pendant ce temps, à Moscou, Poutine se pose en défenseur de la civilisation et « des textes sacrés » de la Russie. Signe de sa popularité, pour l’écouter avant un concert, les étudiants étaient recrutés 7 euros. C’est plus cher que les manifestants recrutés par « Wagner » au Mali ou au Burkina Faso pour conspuer la France. Plus loin, son ancien serviteur devenu milliardaire, Prigogine, accusait l’armée russe de saboter sa troupe mercenaire : « Des obus, il y en a. Mais il faut que des politicards, des salauds, des ordures, apposent leur signature ». Prigogine s’y connait en salauds. Il a aussi montré les cadavres à la télévision, en accusant les généraux. Ils ont signé. Les failles s’affichent.
180.000 militaires morts ou blessés côté russe ; 100.000 côté ukrainien, auxquels il faut ajouter 40.000 civils tués. 8 millions de réfugiés en Europe. Selon les Russes, 5 millions d’Ukrainiens auraient quitté leur pays pour la Russie, dont 200 000 enfants qui doivent être « russifiés », ce qui donne lieu à une plainte pour génocide devant la Cour Pénale Internationale : http://abientotlesenfants.com.
Beaucoup prédisent une guerre longue. D’autres qu’une triple pression militaire, diplomatique, intérieure, conduira le régime à négocier pour éviter un effondrement. Personne ne sait.
Le contrôle de l’Europe et de l’Afrique, dont les sorts sont mêlés
Chacun a compris que l’enjeu est le contrôle de l’Europe et de l’Afrique, dont les sorts sont mêlés : la majorité des pays africains ont condamné la Russie mais la moitié des pays qui se sont abstenus à l’ONU sont africains.
De nombreux pays restent dans l’entre-deux, à commencer par la Chine, l’Inde, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’Arabie saoudite, l’Algérie, soit par ressentiment anti-occidental, soit par intérêt, l’un servant l’autre. Les opinions publiques mondiales sont partagées, en Inde, en Turquie, dans les pays arabes, en Afrique. La Russie, anti-américaine, serait anti-impérialiste. C’est le pari chinois : que la violence russe déstabilise l’ordre international, en fasse apparaître un autre, plus favorable à ses vues. C’est aussi le non-dit d’autres pays émergents ou qui se rêvent tels, comme le Brésil, l’Afrique du sud, l’Arabie, la Turquie.
Pourtant, toute crise renforce les plus forts : la dette des 30 pays émergents explose, en dollars de l’Oncle Sam : 98.000 milliards, +30% en trois ans. Egypte et Pakistan sont au bord de la faillite. Turquie, Argentine, en crise inflationniste. Sri Lanka, Zambie, Ghana ont fait défaut. La Chine, au ralenti, ne veut pas rééchelonner les dettes des pays pauvres.
L’Europe souffre de la guerre, elle bénéficiera de la nouvelle Ukraine, voire de la nouvelle Russie.
Alors que l’Europe retourne sous le patronage des États-Unis, c’est elle qui a la meilleure perspective, le plus grand défi. D’une part parce qu’elle n’est en rien une puissance néo-impériale. D’autre part, parce qu’elle sera le pivot de la reconstruction de l’Ukraine, du nouveau système de sécurité avec la Russie, quel qu’il soit. Elle souffre de la guerre, elle bénéficiera de la paix, de la nouvelle Ukraine, voire de la nouvelle Russie. Elle aura renforcé son unité et son autonomie énergétique. A quelques conditions :
1 Qu’elle renforce sa direction politique ; ce qui passe par l’axe franco-allemand, quoi qu’on dise, plutôt que par la Commission.
2 Qu’elle élabore une politique extérieure, à commencer par son entourage proche : la Méditerranée, l’Afrique.
3. Qu’elle renforce l’industrie militaire européenne.
4. Qu’elle suive une attitude cohérente vis-à-vis de tiers, Serbie, Turquie, Algérie, Chine, Libye, Iran et bien d’autres qui profitent de la disharmonie européenne.
5. Que la candidature de l’Ukraine ne déstabilise pas l’UE, son intégration pourrait être sa fin.
« Vaincre », ce n’est pas vaincre la Russie. C’est vaincre la guerre comme mode de résolution des conflits.
6. Qu’elle renoue avec la Russie dès la paix venue. Il ne faut pas abandonner les Russes ni à ceux qui les exploitent, ni au ressentiment.
7. Qu’elle renforce les liens avec l’Asie : Vietnam, Corée, Inde, Indonésie, Japon veulent une position équilibrée vis à vis de la Chine, comme l’Europe. La France est le seul pays européen présent en Asie et aux Amériques, le seul qui a une marine.
La guerre d’Ukraine est un des premiers éléments du nouvel ordre international. « Vaincre », ce n’est pas vaincre la Russie. C’est vaincre le recours à la guerre comme mode de résolution des conflits. Qui le pourrait mieux que l’Europe ?
Quels que soient les thèmes et les indices, -paix, justice, inégalités- les démocraties européennes sont toujours dans le haut du classement. Les peuples ne veulent pas renverser « l’ordre occidental », ils veulent prospérité et liberté, comme les Ukrainiens, selon la voie européenne. Ce sont les dirigeants qui s’y refusent, parce que les autocrates n’y ont pas intérêt : cet « ordre » des démocraties libérales recommande qu’ils ne restent pas installés au pouvoir à perpétuité.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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