L’eau et le feu. Hawaï flambe. Une soixante de morts. Touristes et habitants se jettent dans l’océan pour échapper aux flammes. Le Canada brûle. Plus de 13,5 millions d’hectares, le double du précédent record de 1989. 168 000 Canadiens ont fui, 90 jours d’alerte maximale. Bilan carbone des mégafeux : un milliard de tonnes, soit les émissions annuelles du Japon. Dans l’Union Européenne, le feu a déjà détruit fin juillet 200 000 hectares, 50% de plus que l’année dernière.
En Grèce, 37 000 hectares ont brûlé en deux semaines à Corfou, dans l’Eubée, à Rhodes, où les touristes ont été évacués d’urgence. En Sicile, les feux ont menacé Palerme. Au Portugal, 10 000 hectares de forêt sont partis en quatre jours. 1500 personnes évacués. En Algérie, 34 sont mortes dans les incendies. En juillet, le record de températures a été battu en Chine, + 52,2°C dans le Xinjiang. Un autre record -de froid- avait été relevé à -53°C à Mohe en janvier. Pékin a connu en quelques jours de juillet plus de précipitations que durant une année moyenne.
Quels que soient les milliards dépensés, nous ne deviendrons pas maîtres des nuages.
D’aucuns y voient les effets du dérèglement climatique. Selon l’OMM, la moyenne mondiale de température de janvier à juillet 2023 serait la troisième plus élevée jamais enregistrée, après 2016 et 2020. Et le mois de juillet le plus chaud enregistré.
Au-delà du réchauffement climatique, le nombre des humains, leur consommation, leurs habitudes de vie, provoquent une pression sur l’énergie, le feu, l’eau. Quels que soient les efforts et les milliards dépensés, nous ne deviendrons pas maîtres des nuages. En revanche, il ne tient qu’à nous de maîtriser cette richesse que l’on cherche dans toutes les exoplanètes de l’univers pour y retrouver les conditions initiales de la vie : l’eau.
Constat stupéfiant : l’essentiel de l’eau se perd. Cet or, qui nous habite (notre corps est fait d’eau), est méprisé.
Le gouvernement français a présenté un « Plan eau » il y a quelques mois. Objectif : diminuer de 10% la consommation des prélèvements d’ici 2030.
La France ne manque pas d’eau, elle la gaspille.
Pourtant, la France ne manque pas d’eau, elle la gaspille. En France, il pleut 510 milliards de m3 par an. Plus de la moitié retourne au ciel, s’évaporant. Le reste alimente fleuves, plantes, et nappes phréatiques, soit 200 milliards de m3 par an. Chaque année, il en est prélevé 32 milliards. L’eau douce, c’est-à-dire traitée, en représente 17%. Sur les 5 milliards de cette cette eau traitée, 30% se perdent dans les tuyaux, en fuites. De la pluie, il ne reste presque rien. Insouciance de l’abondance.
Le nouveau « plan eau » du gouvernement prévoit 500 millions pour les agences de l’eau, dont 180 pour résorber « en urgence » les fuites d’eau dans les points les plus sensibles. À ce rythme, il faudrait 150 ans pour renouveler les réseaux d’eau des villes moyenne. Urgence, donc. En 2023, des arrêtés préfectoraux ont été pris dans 90 départements pour limiter l’usage de l’eau, dont plus de soixante-dix en état de crise.
La réglementation française interdit le « stockage de confort ». La France stocke peu d’eau : 4,7% du flux annuel. Le Sénat recommande une politique inverse, avec des retenues d’eau, à usages multiples, et non réservées aux besoins agricoles, comme les fameuses « bassines », qui, elles, pompent dans la nappe phréatique. Inutile de pomper si on stocke les flux.
La Tunisie, semi-aride, elle, stocke les eaux récoltées pendant la saison des pluies dans le nord du pays puis les transfère dans le sud.
Des usines à gaz règlementaires.
Autre solution, classique, la plus facile : augmenter le prix de l’eau. Celui de l’eau agricole est beaucoup plus bas. Les impératifs économiques pèsent. À la fin, c’est le consommateur qui paie. D’où l’idée d’augmenter le prix de l’eau pour les particuliers en fonction de leur consommation, et de passer des contrats de modération avec les entités économiques. Des usines à gaz règlementaires.
En dehors des investissements nécessaires pour colmater les fuites, la meilleure solution est celle de la récupération des eaux usées. Pour les maisons individuelles, les bâtiments collectifs, les villes.
Le règlement européen de 2020 sur la réutilisation des eaux usées a été adopté par tous les États, à charge pour eux de le mettre en œuvre. Objectif : passer de 1,7 milliard de mètres cubes d’eau réutilisée par an à 6,6 milliards, ce qui réduirait 5 % le stress hydrique de l’UE en 2025. Objectif déjà hors d’atteinte.
En France, 0,6% des eaux usées sont retraitées. En Espagne, 14%. En Israël, 90%.
En France, 0,6% seulement des eaux usées sont retraitées. En Italie, 8%. En Espagne, 14%. En Israël, 90%. Ce n’est pas une question de technologie. Ce sont les moyens qui manquent le moins.
À l’île de Ré, les nappes phréatiques, à force de pompage, sont devenues salines. Les agriculteurs réutilisent les eaux usées. Le prix de l’eau a été divisé par trois. Dans de nombreuses petites communes, les eaux usées sont traitées avec des techniques extensives, souvent des filtres plantés de roseaux. Il en existe plus de 5 000 en France, avec des coûts d’investissement et d’exploitation faibles.
À Orléans, la station d’épuration va fournir 100 000 m3 d’eaux usées par an le parc floral. À Cannes, 200 000 m3 serviront au nettoyage des rues. A Nice, Haliotis 2 est une station d’épuration qui, au-delà du traitement des eaux, permet de produire de l’eau réutilisable, du biogaz et de l’électricité. Un investissement de 700 millions pour une population de 680 000 habitants.
L’eau réutilisée peut aussi être retransformée directement en eau potable.
En Namibie, Windhoek (500 000 habitants), a été la première ville à se doter d’un tel système, en 1968. 30 % est recyclé en eau potable en moins de dix heures. Bangalore, en Inde, Los Angeles, Big Springs et Wichita Falls au Texas, Singapour, développent le même processus.
Le dessalement de l’eau de mer, très en vogue il y a un temps, est moins intéressant : le recyclage des eaux usées consomme moins d’énergie : un écart de 1 à 4 kwh par m3. Le dessalement produit des déchets salins rejetés directement dans la mer et nuit aux écosystèmes marins.
La géopolitique de l’eau n’en est qu’à ses débuts, elle peut être tragique.
La géopolitique de l’eau n’en est qu’à ses débuts, elle peut être tragique. En Asie centrale, partout en Afrique, partout au Moyen-Orient.
En Asie centrale, Tadjikistan et Kirghizstan abreuvent le Turkménistan (90% de l’eau) l’Ouzbékistan (77%) et le Kazakhstan (40%). Du temps de l’URSS, le pilotage centralisé répartissait (et gâchait) l’eau, ce qui a conduit à la quasi-disparition de la mer d’Aral. Aujourd’hui, les pays sont indépendants, les accords fragiles, les populations augmentent, les tensions s’accroissent.
En Afrique, l’augmentation de la population défie les progrès pour l’accès à l’eau. Les eaux souterraines, que ce soit en Afrique du Nord ou en Afrique de l’est, sont répertoriées ; mais il faudrait savoir les exploiter, elles représentent 100 fois les ressources annuelles stockées dans les barrages et les rivières. Cela ne suffirait pas. Sans la réutilisation des eaux usées, insuffisant.
La transition écologique a un effet négatif sur les besoins en eau.
La transition écologique elle-même, en intensifiant les besoins en métaux rares, a un effet négatif sur les besoins en eau. En Australie, la consommation pour l’extraction des terres rares représentera en 2050 11% de l’eau totale prélevée. Au Pérou, 16 fleuves sur 21 sont contaminés par les extractions minières.
Une thématique monte, celle de considérer l’eau comme un « bien commun ». Essentiel à la vie de tout un chacun : cela paraît logique. Comme l’air. Or l’eau, comme le pain, le blé, le riz, se fabrique, se vend, nécessite des investissements.
La proportion de la population mondiale ayant accès à l’eau potable a augmenté. Progrès, mais lent.
Garantir l’accès de tous à l’eau potable et à des services d’assainissement est le sixième objectif du millénaire des Nations unies fixé en 2015 pour 2030. Il ne sera pas atteint, malgré des progrès. Entre 2016 et 2020, la proportion de la population mondiale ayant accès à l’eau potable a augmenté, passant de 70 % à 74 %. L’accès aux services d’assainissement est passé de 47 % à 54 %. Progrès, mais lent.
Il faudrait, selon, l’ONU, multiplier les investissements car 4,2 milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, 4,6 milliards n’ont aucun accès à des services d’assainissement. Dans les pays pauvres, 99 % des eaux usées retournent dans la nature sans être traitées.
L’eau potable n’existe pas « naturellement »
Comme pour le pain, il faut des paysans, des meuniers, des boulangers. L’eau potable n’existe pas « naturellement ». Le réutilisation des eaux usées suppose un traitement.
Au grand scandale de beaucoup, face à la pénurie d’eau en Californie, la bourse de Chicago a créé un marché à terme de l’eau en 2020. Financiarisation de l’eau, négation d’un droit humain, disent les uns. Les autres disent que cela permet d’investir, d’économiser l’eau, et de réguler les besoins et la distribution, de sécuriser l’approvisionnement et les prix pour les municipalités. Si l’on prend l’expérience du blé, ce sont évidemment les seconds qui ont raison.
Il ne manque pas d’eau, il manque de savoir la traiter, la stocker, la gérer, la purifier, la réutiliser, la distribuer, avec le moins de pertes possibles. Si l’on veut plus d’accès à l’eau potable, moins de ponction dans les nappes phréatiques, moins de sècheresse, moins de feux, il faut plus d’eau.
La réutilisation des eaux de Windhoek se fait avec Veolia. La station de retraitement de Nice avec Suez. Selon l’Unesco, les financements privés mobilisés pour l’approvisionnement en eau et l’assainissement étaient de 4,6 milliards de dollars entre 2016 et 2020. Totalement insuffisant. La population urbaine en manque d’eau atteindrait entre 1,7 et 2,4 milliards de personnes en 2050. On sait y répondre.
La France est leader dans le domaine de l’eau par ses entreprises spécialisées. Elle a une carte à jouer.
Entre 1900 et 2010, les prélèvements au niveau mondial ont été multipliés par plus de 7 alors que la population n’a été multipliée sur la même période « que » par 4,4.
La Suisse, qui recueille 6% des réserves d’eau en Europe, et traite déjà 20% de ses eaux usées, s’attend à une augmentation de 30% de la demande mondiale. Elle développe des start-ups. Elle se prépare à répondre à une explosion mondiale de la demande en eau par différentes technologies.
La France est leader dans le domaine de l’eau par ses entreprises spécialisées. Elle a une carte à jouer, si elle veut bien commencer sur son propre territoire ; elle pourrait exporter son savoir-faire, pour son intérêt, et le plus grand bien de l’Humanité.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
Laisser un commentaire