Loi immigration : la France suit une « tendance générale » à limiter l’accès au droit d’asile en Europe

Loi immigration : la France suit une « tendance générale » à limiter l’accès au droit d’asile en Europe

La loi immigration, considérée par ses opposants comme restrictive et raciste, s’inscrit en réalité dans une tendance européenne marquée par des politiques migratoires répressives, particulièrement en ce qui concerne l’accès au droit d’asile, a confié un expert à Euractiv.

La loi française sur l’immigration est qualifiée de raciste par l’opposition de gauche et la société civile, et de « victoire idéologique » par la présidente du groupe parlementaire d’extrême droite du Rassemblement National (RN), Marine Le Pen.

Au-delà des controverses et accusations de racisme, la loi, promulguée vendredi (26 janvier) après que le Conseil constitutionnel a censuré 35 des 86 articles, s’ancre dans un durcissement général des politiques migratoires partout en Europe.

« La France n’a pas une loi plus difficile que les autres pays européens en matière d’immigration. C’est une tendance générale », a déclaré Smaïn Laacher, directeur du Fait migratoire à la Fondation Jean Jaurès, lors d’un entretien avec Euractiv France.

Députés et sénateurs s’étaient accordés sur un texte de loi en décembre largement durci par rapport au projet initial du gouvernement. Avec comme objectif de s’assurer les voix des élus Les Républicains (LR) — et, au passage, ceux du RN — l’exécutif avait fait adopter un texte qui remettait le principe du droit du sol en question, limitait l’accès aux prestations sociales non contributives, et rendait l’accès au regroupement familial plus complexe.

« L’effort qui gouverne cette loi c’est comment faire pour expulser le maximum de personnes en situation irrégulière », poursuit M. Laacher.

Des mesures similaires existent dans d’autres pays en Europe, où les droits des demandeurs d’asile ont été récemment restreints.

Exemple en Italie, où la Première ministre Giorgia Meloni, cheffe de file du parti postfasciste Frères d’Italie, a fait campagne en 2022 en promettant de mettre fin à l’immigration dans son pays.

Le 3 janvier 2023, le gouvernement Meloni a décrété un nouveau « code de conduite » à l’attention des navires des ONG qui viennent au secours des embarcations de migrants qui met fin aux opérations de secours « simultanées ».

En clair, si le navire d’une ONG porte secours à un bateau de migrants, il doit rejoindre un port de débarquement attribué par les autorités italiennes dans les plus brefs délais, sans faire de détour pour aider une autre embarcation en perdition.

Au Danemark, la politique migratoire autorise les autorités à saisir les biens personnels des demandeurs d’asile pour financer leurs frais d’accueil.

Plus récemment, en août, l’Autriche a déclaré vouloir réduire l’accès aux prestations sociales pour tous les immigrés habitant depuis moins de cinq ans dans le pays.

« Les politiques migratoires des pays de l’UE, et le Pacte asile et migration, marquent bien la tendance lourde qui est de freiner les demandes d’asile », ajoute M. Laacher.

Loi immigration
Fait assez rare pour être relevé, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a reconnu que certains articles de la loi étaient « manifestement contraires à la Constitution ». [EPA/Mohammed Badra]

Murs et clôtures de barbelés

La montée des discours anti-immigration des États membres se vérifie aussi sur le terrain, alors que 13 % des frontières externes de l’UE sont désormais clôturées, selon le Parlement européen.

« Un nombre croissant d’États membres ont progressivement entrepris d’ériger des murs ou des clôtures aux frontières afin d’empêcher sans distinction les migrants et les demandeurs d’asile d’accéder à leurs territoires nationaux », estiment les députés européens dans une note publiée en octobre.

Au total, douze pays sur 27 ont érigé des barrières physiques, pour tenter de mettre un frein à l’immigration, dont la Hongrie, la Pologne, l’Estonie, la Grèce, l’Espagne mais aussi la France, à Calais.

Toutefois, M. Laacher a déclaré qu’Emmanuel Macron ne pouvait pas être comparé au Premier ministre hongrois Viktor Orbán, qui a été le fer de lance de l’opposition à la migration en 2015.

À Grenade, en Espagne, lors d’un sommet de l’UE organisé le 6 octobre, la Pologne et la Hongrie se sont farouchement opposées au Pacte sur la migration et l’asile, et particulièrement au mécanisme de solidarité de répartition des demandeurs d’asile.

Le Pacte souhaite notamment renforcer la solidarité entre les États membres, afin de mieux repartir l’accueil des réfugiés, alors que certains pays, comme l’Italie ou la Grèce, font face à un afflux massif de demandeurs d’asile.

Les États membres refusant d’accueillir un certain nombre de demandeurs d’asile seraient tenus de payer 20 000 euros pour chaque réfugié non relocalisé.

« C’est un dossier qui touche aux fondements de l’identité européenne », estime M. Laacher.

Le Pacte, présenté en septembre 2020 par la Commission européenne, vise à freiner l’immigration irrégulière en Europe et à accélérer la reconduction des personnes en situation irrégulière aux frontières.

Les règles actuellement en vigueur doivent être simplifiées, selon un député Les Républicains (LR) contacté par Euractiv, qui juge que « le système est tellement complexe qu’il a des avantages pour les demandeurs d’asile », à l’image de la « lenteur administrative ».

Les demandeurs d’asile ne peuvent être expulsés avant que les États n’aient examiné leurs demandes. En moyenne, les personnes attendent dix-neuf mois en Allemagne, dix-sept mois en Espagne et quinze mois en France, selon Alternatives Economiques.

Parallèlement au Pacte, dont le vote est attendu en février, l’UE a signé un accord avec la Tunisie en juillet qui a été vivement critiqué. Le mémorandum prévoit notamment de réduire le nombre de départs de migrants depuis la Tunisie, en échange d’une aide européenne de 675 millions d’euros.

« La Commission européenne doit suspendre tout accord signé et ne peut fermer les yeux sur les graves atteintes aux droits humains en Tunisie, notamment à l’encontre des migrants », avait écrit dans un communiqué de presse la députée européenne française Sylvie Guillaume (Socialistes & Démocrates européens).

L’Allemagne, l’Espagne et la France en tête des pays d’accueil

En France, en 2023, le nombre de demandeurs d’asile a augmenté de 8,6 %, pour atteindre 142 500 demandes, dont 124 000 premières demandes, selon les premiers chiffres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).

Des chiffres à relativiser toutefois puisqu’en 2023, l’Allemagne a enregistré plus de 350 000 demandes, soit une augmentation de 51 % par rapport à 2022, d’après Le Monde.

De son côté, l’Espagne arrive en deuxième position en termes d’augmentation des demandes d’asile, avec 163 000 demandes, soit une augmentation de 37 % par rapport à 2022.

« La hausse de la demande d’asile devrait atteindre de 15 % à 20 % en Europe en 2023 », a estimé le directeur de l’Ofpra Julien Boucher, alors que les chiffres définitifs sont attendus prochainement dans un rapport.

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