Une explosion ne peut pas détruire un pays, même 2750 kilos de nitrate d’ammonium. Peut-elle le sauver ? Plus de 150 morts. Des milliers de blessés.Trois hôpitaux évacués. Le réseau électrique coupé, comme l’eau. Beyrouth n’a plus de port. Plus de silos pour stocker la farine. 300.000 personnes sont sans abri.
Le Liban était déjà ruiné. En un an, la Livre libanaise a perdu 90% de sa valeur. Il est en défaut de paiement depuis février. Sa dette atteint 250% du Pib. Un tiers de la population est au chômage, la moitié sous le seuil de pauvreté. Le Liban n’a plus d’argent, ni d’Etat. Les seules organisations qui subsistent sont des organisations factieuses. Chaque chef ne vit que par la solidarité de son clan contre les autres.
Ingérence ?
Plusieurs pays sont au chevet du Liban. La France la première. Elle est aussi présente au Liban avec près de 700 soldats dans le cadre de force des Nations unies (la Finul, depuis 1978) La présence du Président français 24 heures après l’explosion est un acte fort. 60.000 Libanais ont lancé une pétition pour que le Liban revienne sous la tutelle de la France. Hélas pour le Liban, l’influence et la force de la France ne sont plus ce qu’elles étaient. Est-ce pour autant de l’ingérence ? Hélas, pas assez, regrettent les Libanais. Curieux d’entendre ceux qui dénoncent l’ingérence manifester tant d’admiration pour les Russes, Iraniens, Syriens, Chinois, Américains, etc… Le French bashing est d’abord français.
Sans la France pas de Conférence de donateurs, pas de mise en cause internationale du gouvernement libanais, lui-même sous influence étrangère. La Conférence des donateurs a promis 250 millions. Moins que la dernière qui avait promis 11 milliards, qui n’ont pas été donnés, parce que le gouvernement libanais n’en a jamais accepté les conditions.
Le hangar n°12, où était stocké le nitrate, est sous contrôle du Hezbollah. Comme le port. Comme l’aéroport. Il n’était pas destiné à l’agriculture, mais à de possibles actions contre Israël, ou les rebelles syriens. Il n’est pas le seul entrepôt d’armes et d’explosif du Hezbollah en pleine ville. La tactique du bouclier civil est intégrée depuis longtemps. Beyrouth est constellé de caches d’armes, pas vraiment cachés. Il y en a une près d’un Hôpital, d’autres dans les quartiers chiites, comme ces 23 batteries anti missiles bien en vue, soi disant contre Israël. (Les batteries peuvent être détruites en un rien par Israël. Elles sont plutôt un piège humanitaire et un élément de prestige).
Aoun, De Gaulle devenu Pétain
Le Hezbollah a pour allié le Président Aoun, un De Gaulle devenu Pétain. Sa gloire venait d’avoir résisté aux Syriens, il l’utilisa pour s’allier au Hezbollah, poursuivant ceux du parti chrétien qui ne le suivaient pas dans sa collaboration. Maintenant, le vieux Président veut voir son gendre, Gibran Bassil, lui succéder. Voilà pourquoi il maintient son alliance, voilà pourquoi le mouvement citoyen le conspue.
Le Hezbollah ne dirige pas le Liban. Le Hezbollah vit du conflit, au Liban, en Syrie, dans tout le Moyen-Orient. Le Hezbollah, qui s’est fait connaitre par des attentats terroristes, tient ses ordres et ses armes de Téhéran. Pour son chef, Hassan Nasrallah, l’appartenance et la hiérarchie religieuse valent bien plus que les Etats ou la citoyenneté.
Que dit Nasrallah ? Que désormais le Liban doit abandonner l’Occident et les pays arabes et se tourner vers la Chine. Parce que la Chine, dans sa rivalité avec les Etats-Unis, soutient Téhéran. Il attend un éventuel accord stratégique entre la Chine et l’Iran. Raison pour laquelle Trump soutient l’initiative de Macron et demande une enquête internationale, ce que refusent Aoun et Nasrallah.
Qu’essaient de faire croire Nasrallah et Aoun ? Qu’Israël est derrière tout cela. Ils ont raison : Israël est en arrière plan. Parmi les pays qui ont offert leur aide au Liban, trente-cinq, l’offre d’Israël est la plus significative. Parce qu’Israël, au delà de l’offre, propose la paix, et que le Liban meurt de la guerre. Depuis 1982 et Béchir Gemayel, chacun sait que les Israéliens n’ont pas d’intérêt à une guerre avec le Liban. Qu’en revanche, ils y ont des ennemis, hier les Palestiniens, aujourd’hui le Hezbollah. Chacun sait que le temps joue contre les Chrétiens. Qu’ils sont divisés. Désarmés. De plus en plus minoritaires.
Désarmer le Hezbollah ?
Chacun sait que la crise ne vient pas seulement de la corruption ou de la rivalité entre clans -elle a toujours existé et existe dans bien des Etats sans mettre leur existence en cause- la crise vient de l’abandon du Liban par les protecteurs occidentaux, France et Etats-Unis, les banques arabes, celles qui soutenaient la communauté sunnite. Entre 2005 et 2015, 95 milliards de dollars sont entrés au Liban. Depuis, les Saoudiens ont abandonnés un pays passé sous le contrôle de leurs ennemis. L’aide du FMI, des autres pays, banques et institutions arabes est liée non à des réformes de gestion, mais à une question de fond : Le respect des accords de Taëf (1989) qui mit fin à la guerre civile, et des résolutions de l’ONU : les milices doivent être désarmées.
« Le maintien d’armes non autorisées en dehors du contrôle de l’Etat par le Hezbollah et d’autres groupes armés non étatiques constitue une violation persistante de la résolution 1701 (adoptée en 2006) et est très préoccupant » écrivait Antonio Gutterez, le Secrétaire général de l’ONU dans un rapport publié une semaine avant l’explosion. C’est la clé.
La seule milice qui n’est pas désarmée est celle du Hezbollah. Le Chef du gouvernement peut bien proposer des élections, elles ne serviront à rien. Peut-être à chasser Aoun. Tous les Chiites voteront Hezbollah, qui s’est organisé pour faire vivre ses villages et ses quartiers. De toute façon, sa force ne vient pas des urnes et de la mathématique démographique qui lui donne ses députés. Elle vient de ce que personne n’ose ou ne peut le désarmer.
Le Hezbollah n’a aucun intérêt à ce que le Liban vive dans la paix. Il a intérêt à maintenir un semblant d’état de guerre avec Israël, il doit maintenir cette pression à la demande à l’Ayatollah Khomeiny.
Israël et l’opportunité de la paix
Comme le dit si bien le patriarche maronite, Mgr Raï: « Le Hezbollah fait ses guerres et entraîne le Liban avec lui en Syrie et au Yémen. Cela n’est pas normal. […] Malheureusement la mainmise du Hezbollah sur la politique et le gouvernement fait que nous sommes délaissés par les pays arabes, par l’Europe et les États-Unis ».
La France est aux cotés du Liban. Naturellement aux cotés de toutes les victimes. Politiquement aux cotés de ceux qui dénoncent un gouvernement asservi. Aux cotés de ceux qui refusent encore de quitter le Liban, notamment les Chrétiens libanais. Faire semblant d’être ami avec tous ne sert à rien. Le Hezbollah n’est pas l’ami de la France et travaille à la destruction du pays. Elle doit œuvrer à renouer les liens entre Chrétiens, Sunnites et Druzes, – comme l’avait fait Jacques Chirac-, et ouvrir la voie pour émanciper les Chiites du Hezbollah.
La France devrait pouvoir compter sur une majorité de Libanais. Ensuite sur les Pays du Golfe. Sur les Etats-Unis aussi. Enfin sur Israël, dont l’intérêt est la paix et la stabilité au Liban
Le Liban ne peut renaitre que dans la paix. Et la paix passe par le désarmement du Hezbollah et un accord avec Israël. Un tel accord ferait sauter un tabou dans le monde arabe, et donnerait une chance à une nouvelle donne bien au delà du Liban. Ce qui est possible, compte tenu de la nouvelle géopolitique au Moyen-Orient et de l’axe de fait entre Israël, l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Etats-Unis.
La France a pris une initiative louable. Elle ne peut réussir que si elle ose encore aller plus loin. La survie du Liban dépend des Libanais, mais pas seulement, comme toujours.
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