Du sommet de Madrid (OTAN) à celui de Lisbonne (sur la santé des océans), de celui de Versailles (pour l’Europe) à celui de Los Angeles (sur les migrations interaméricaines), de Rio (sur la biodiversité) à Brest (les océans), sans compter le « petit » sommet des BRICS, passé presque inaperçu (Chine, Inde, Russie, Afrique du sud) qui a répondu à l’ « arrogance » du G7, l’humanité vole de sommet en sommet, pour ne pas dire de cime en cime. Naviguerait-elle sur des volcans ?
La terre brûle, l’océan se dilate, les mers se plastifient, le pétrole manque, la Russie terrifie, la Chine menace, la biodiversité s’étiole, à chaque fois, les dirigeants du monde, surtout du monde occidental, cherchent la parade. Transition énergétique, renforcement des coopérations militaires, aides et dons, protection des aires marines, tout est sur la table.
Tout cela est bel et bon. Et dans les bas-fonds ?
50 millions de personnes viendraient s’ajouter cette année aux 276 millions qui souffrent déjà d’insuffisances alimentaires, alertent conjointement l’ONU, le PAM et la FAO. La désorganisation des circuits de distribution et la guerre en Ukraine en sont la cause. Démondialisation malheureuse. Le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) estime que pour la première fois dans l’Histoire, le nombre de réfugiés et déplacés pour cause de conflits internes et de guerres dépassera les cent millions. Avec 5 millions en Ukraine et 4,5 au Venezuela, la cause n’en est pas la pauvreté, mais l’appétit. De pouvoir. L’Office des Migrations internationales (OMI) recense lui 280 millions de migrants, soit 3,9% de la population mondiale. Eux fuient la pauvreté et sont attirés par les lumières lointaines des pays riches. Suffirait-il de donner pour que les pays pauvres deviennent riches ? L’Asie (Chine, Corée, Japon, Taïwan) s’est développée en s’ouvrant.
Aujourd’hui, le système multilatéral se meurt.
Le droit international, les règles sont menacées comme rarement depuis la seconde guerre mondiale. Même durant la guerre froide, le respect des engagements importait, les traités étaient respectés. Les enceintes internationales représentaient plus que des lieux de rencontre et des théâtres d’influence : des espérances de paix, de culture, de diffusion du savoir, de multiplication des échanges commerciaux et financiers. Aujourd’hui, le système multilatéral se meurt. D’autant qu’il est méprisé ouvertement ou insidieusement par les plus grandes puissances, Chine et États-Unis, qui ont intérêt à la constitution d’un condominium.
La crise de la Covid a révélé les faiblesses de la coopération internationale. L’ONU regardait l’OMS chanceler. Même l’Union Européenne voyait les pays se recroqueviller. Avant de se reprendre et de sauter le pas d’achats groupés, de financements conjoints et d’emprunts communs. Cela correspondait plutôt à un réflexe de solidarité et de regroupement. Chacun entend se protéger, se réassurer. Sans l’isolationnisme de Trump, sans l’expansion chinoise, sans les agressions russes, l’Europe serait-elle restée unie ? La planète se fragmente.
Les mots comptent. Xi Jinping appelle « démocratie » le régime de plus en plus policier qu’il a mis en place à Hong Kong.
G7 contre BRICS, OTAN contre OCS (Organisation de Coopération de Shanghai), l’Occident s’interroge sur son déclin face à une Chine dressée dans sa superbe, tandis que la Russie viole quatre conventions internationales et quelques autres traités, que l’Afrique, entre coups d’états et guerres civiles, fleurit de mercenaires et de d’emprunts chinois, et que le Moyen-Orient n’en finit pas d’imaginer de nouvelles guerres. La Chine mate les océans, produit des navires de guerre à la chaine, construit des îles dans cette mer que l’on appelle du sud (pour les Chinois), ou orientale (pour les Vietnamiens) ou encore « des Philippines », selon les revendications des uns et des autres (les Paracelse étaient pourtant françaises, pourrait-on les réclamer, en droit ?)
Les mots comptent. Il est interdit d’appeler « guerre » l’invasion russe en Ukraine (c’était pareil pour la guerre d’Algérie). Xi Jinping appelle « démocratie » le régime de plus en plus policier qu’il a mis en place à Hong Kong. Une façon de s’asseoir sur les mots et ce qu’ils pourraient dire, de se moquer aussi de l’accord de rétrocession de Hong Kong. En droit, la Couronne pourrait constater, comme le fait d’ailleurs le Quai d’Orsay, que le traité n’est pas respecté. De quoi faire regretter le bon temps de l’empire britannique. Et si l’on osait déclarer le traité nul et non avenu ? Et reconnaitre l’indépendance de Taïwan ! Face à un grand dragon, raison garder. Et regarder chez soi.
Aucune capacité d’anticipation et d’imagination du futur
En Europe, on ne sait qui de l’OSCE ou du Conseil de l’Europe disparaitra le premier, tandis que l’Unesco, qui a raté la révolution digitale, que l’Unicef, qui a raté la révolution de la connaissance, se congratulent réciproquement, sans aucune capacité d’anticipation et d’imagination du futur.
Alors que les systèmes de distribution mondiaux et les marchés se grippent, l’OMC reste en panne. La seule chose qui fonctionne, dans une injustice aussi impérialiste qu’efficace, c’est le système des banques centrales. Il a tenu en 2008, il a tenu pendant la Covid, il réagit -bien ou mal- à l’inflation. Ce n’est pas la compétence des grands argentiers ou des banquiers qui le sauve, mais la mainmise du dollar, la crédibilité de la monnaie américaine. Dans la guerre des monnaies, il s’impose. Comme dans toute guerre.
Pourvu qu’il tienne. Une crise, des crises, comme d’habitude, s’annoncent. Les hausses de prix affolent, les mesures prises pour les juguler pourraient être plus néfastes encore. L’augmentation des taux, notamment en Europe (qui n’est pas dans la situation américaine) pourrait étouffer encore un peu plus la croissance. Et accroitre le poids des dettes. Et fracturer les sociétés européennes, entre elles, au sein de chacune d’elles. L’Europe répond par un pari énergétique : s’affranchir du carbone et de la Russie. Pourvu que l’hiver soit doux ! Après avoir fermé quelques centrales nucléaires, on ouvre celles à charbon. La réalité s’impose ainsi, à coups de crises : pas de transition énergétique sans nucléaire, pas d’indépendance non plus.
Refondre le système international et des institutions qui tournent de plus en plus en circuit fermé. Ce pourrait être un projet porté par la France.
Pour l’instant, sur fond de défiance vis-à-vis de l’Occident, les rangs se resserrent. Par la peur, à cause des affrontements. Cela n’évitera pas de repenser, de refondre le système international et des instituions qui tournent de plus en plus en circuit fermé, des institutions que l’on écoute de moins en moins. Ce pourrait être un projet porté par la France.
C’est d’ailleurs pour cela que les sommets se multiplient. Ce qui inquiète, c’est le reflux, alors que l’on croyait avancer. Les régressions, sociales, économiques, scientifiques, démocratiques, réapparaissent, s’installent, s’affichent. Les outils manquent. Pour trouver la bonne architecture internationale, il ne faut pas se moquer des sommets. Il en faut plus, pas moins ! Sans attendre, à chaque fois des miracles, mais des petits pas. In fine, si l’avenir est inquiétant, il n’est peut-être pas aussi sanglant et meurtrier que le passé. Rien n’est sûr, pas même le pire.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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