L’Europe se renforce dans la crise énergétique 

L’Europe se renforce dans la crise énergétique 

L’Europe doit faire face à une menace de pénurie énergétique et à une vague d’inflation, inédite depuis quarante ans, sur fond de reprise de l’épidémie de covid-19 et de sécheresse sur une grande partie du continent. 

Malgré la succession de crises, l’économie européenne demeure néanmoins relativement solide avec un taux de chômage de 6,6 %, ce qui signifie presque le retour au plein-emploi. Le pouvoir d’achat des ménages ne se contracte que légèrement. Les salaires sont orientés à la hausse. La chute de la confiance des consommateurs n’a pas entraîné celle de la consommation. Le moral des chefs d’entreprises reste élevé.

De 100 à 1000 euros par mégawattheure 

En cette rentrée 2022, le marché de l’énergie est sous tension en Europe, même si le cours du baril de pétrole est retombé au-dessous de 100 dollars. La production d’électricité est devenue le problème numéro un de l’Union européenne. L’arrêt des livraisons de gaz russe et les problèmes des centrales nucléaires françaises ont provoqué une vive augmentation des contrats à terme pour l’électricité. En 2021, les contrats français et allemands d’électricité à un an se négociaient à environ 100 euros par mégawattheure quand ils ont dépassé, fin août, 1 000 euros. Ce prix est une indication de l’état du marché au printemps 2023 en cas de persistance des problèmes actuels. 

Le 5 septembre, la Russie a annoncé qu’elle fermerait son gazoduc Nord Stream tant que les sanctions occidentales seraient en place, entraînant une augmentation de 30 % du cours du gaz. Ce cours a atteint l’équivalent de 400 dollars le baril de pétrole, contre 100 euros avant la guerre en Ukraine. 

La dépréciation de l’euro accentue la hausse des prix de l’énergie. Aux prix à terme actuels, les dépenses annuelles en électricité et en gaz des consommateurs et des entreprises de l’Union européenne pourraient atteindre 1 400 milliards d’euros, contre 200 milliards d’euros avant 2020, selon les experts de Morgan Stanley.

Au Royaume-Uni, plus de 14 % des ménages n’acquittent plus leur facture énergétique 

La crise énergétique a des répercussions de plus en plus importantes sur l’ensemble du continent européen. En Italie, des usines de gazéification de l’eau ont fermé, le coût du gaz étant devenu prohibitif. ArcelorMittal a décidé de fermer une usine à Brême en Allemagne. Il en est de même pour la verrerie de Duralex de La Chapelle-Saint-Mesmin (Loiret). 

Au Royaume-Uni, où aucun bouclier tarifaire n’avait été institué jusqu’à la nomination de Liz Truss, plus de 14 % des ménages n’acquittent plus leur facture énergétique. La Pologne et la République tchèque sont également exposées aux menaces de pénurie d’énergie. 

Face à cette situation, la Commission européenne entend modifier le fonctionnement du marché de l’énergie et en particulier celui de l’électricité. Le prix du mégawattheure était jusqu’à maintenant déterminé par les coûts du producteur marginal, qui est souvent alimenté au gaz. La hausse du prix du gaz se répercute ainsi sur l’ensemble de la production d’électricité qu’elle soit d’origine renouvelable, nucléaire ou liée à l’utilisation d’hydrocarbures. Cette situation aboutit à la constitution de profits importants de la part de certaines entreprises énergétiques, profits que la Commission entend taxer de manière spécifique. 

Pour compenser les effets de la hausse de l’énergie, tous les gouvernements européens, et désormais le Royaume-Uni, ont décidé de soutenir les ménages et les entreprises. L’Allemagne va dépenser 65 milliards d’euros supplémentaires, soit 1,8 % du PIB pour des mesures comprenant un plafonnement des prix pour une quantité de base d’électricité pour les ménages et les entreprises. Liz Truss, la nouvelle Première ministre britannique, a annoncé un plan de gel des prix pendant deux ans, évalué à plus de 100 milliards de livres sterling (115 milliards d’euros), soit 4,3 % du PIB.

Treize États européens ont supprimé des droits sur le carburant 

En France, l’État consacrera plus de 30 milliards d’euros en 2022 pour le bouclier tarifaire et la ristourne sur les carburants. 

De nombreux pays atténuent la répercussion des prix de gros en réduisant considérablement les taxes. Treize États européens ont supprimé les droits sur le carburant, allant d’une remise de six centimes le litre en Grande-Bretagne à 30 centimes en France. Beaucoup ont également réduit les taux de TVA, dont les Pays-Bas et la Pologne. La Grèce couvre 94 % des hausses du prix de l’électricité auxquelles les ménages sont confrontés, une mesure qui devrait coûter près de 2 milliards d’euros au contribuable. L’État norvégien acquitte 90 % des factures d’électricité supérieures à 700 NkR (70 euros, soit environ la moitié du prix actuel) par mégawattheure jusqu’en mars 2023. La France a limité, jusqu’à la fin de l’année, l’augmentation des tarifs réglementés de l’électricité à 4 % et oblige EDF à vendre plus d’électricité à perte à ses concurrents. La Roumanie plafonne les factures de gaz et d’électricité jusqu’à certains niveaux de consommation. Le Portugal et l’Espagne financent une partie des coûts de carburant des centrales électriques. 

Des chèques énergie dans toute l’Europe

Les gouvernements multiplient les chèques en faveur des ménages. Les salariés allemands qui paient l’impôt sur le revenu devraient recevoir une allocation unique de 300 euros quand les familles bénéficieront d’une prime de 100 euros par enfant. Plus de 8 millions de ménages britanniques accéderont à une prime de 650 livres qui s’ajoute à un versement universel de 400 livres. Le Danemark, l’Italie et d’autres ont également réservé des transferts aux plus touchés. 

Au total, l’Europe, Royaume-Uni compris, dépensera plus de 450 milliards d’euros pour réduire les effets de la crise énergétique. 

Les politiques de soutien des gouvernements génèrent néanmoins des effets pervers. Le plafonnement des prix favorise le maintien de la demande d’énergie. La consommation de gaz augmenterait en Espagne depuis l’introduction des ristournes. Il est surtout difficile de mettre un terme au bouclier par crainte d’une hausse brutale des prix. Pour autant, les États sont condamnés à intervenir. Les entreprises qui ont bien résisté à la crise sanitaire grâces aux aides publiques sont confrontées à des problèmes de production plus graves avec la guerre en Ukraine.

La politique de soutien n’est pas tenable à long terme 

Afin d’éviter l’effondrement en mode domino des compagnies d’électricité, certaines peuvent avoir besoin de lignes de crédit temporaires de l’État, comme les banques en ont bénéficié en 2008 lors de la crise financière. 

Pour éviter la multiplication des fermetures d’usines, les gouvernements pourraient être contraints de renouer avec la politique des prêts garantis. En Allemagne, toute l’industrie chimique, sidérurgique et de l’automobile est menacée. Après l’épidémie de covid-19 qui a accru la dette publique de 20 points de PIB pour les États membres de l’OCDE, la guerre en Ukraine occasionne une nouvelle progression des dépenses publiques. Ces dernières ont comme conséquence le maintien des déficits publics autour de 5 points de PIB. 

Des déficits plus importants en période d’inflation obligent les banques centrales à augmenter encore plus leurs taux directeurs, ce qui accroît par ricochet le coût de la dette. La politique de soutien global n’est pas tenable sur le long terme du fait de la dérive des finances publiques qu’elle entraîne.

La taxation des bénéfices liés à l’énergie pourrait atteindre près de 300 milliards d’euros 

De plus en plus d’experts estiment que le recours aux prélèvements obligatoires est incontournable tant pour équilibrer les comptes publics que pour refroidir les économies. La taxation des bénéfices liés à l’énergie est devenue le fil rouge de l’été. En Europe, ces derniers pourraient atteindre près de 300 milliards d’euros. L’instauration de prélèvements exceptionnels nuit néanmoins à la neutralité fiscale et peut dissuader les entreprises d’investir.

Les entreprises énergétiques doivent investir dans de nouvelles infrastructures 

Les besoins financiers pour les énergies renouvelables, pour le stockage de l’énergie, comme les batteries, se chiffrent en milliers de milliards d’euros pour l’ensemble de l’Union européenne. Pour faire face à la crise, les entreprises énergétiques doivent investir dans de nouvelles infrastructures pour le gaz liquéfié et accélérer leurs programmes de développement des énergies renouvelables. 

Le recentrage des aides sur les ménages modestes est avancé pour limiter la progression des dépenses publiques. Il permettrait au mécanisme de marché de freiner la demande, tout en soutenant les personnes les plus vulnérables. Selon le FMI, cette politique serait plus efficace que celle actuellement en vigueur. 

La deuxième priorité est d’augmenter l’offre. Les gouvernements multiplient les contrats avec des producteurs de gaz que ce soit l’Algérie ou le Qatar. L’amélioration des interconnexions gazières transfrontalières est également une nécessité. Après vingt ans de sous-investissement, les États sont contraints de rattraper leur retard même si la crise actuelle n’a pas totalement effacé les divisions au sein de l’Union européenne comme la traditionnelle hostilité de la France pour la réalisation d’un gazoduc en provenance de l’Espagne et qui rejoindrait l’Allemagne.

La pénurie souligne l’interdépendance énergétique en Europe

Cette crise devrait renforcer les institutions européennes. Le risque de pénurie souligne l’interdépendance énergétique sur le vieux continent. Avec l’arrêt de plus de la moitié de son parc nucléaire, la France a besoin de l’électricité allemande quand, de son côté, l’Allemagne souhaite avoir accès au gaz que la première a acheté.

La Commission pourrait proposer des prêts à faible taux pour financer la transition énergétique 

La Commission européenne entend réguler le marché de l’énergie et éviter que les États surendettés en soient privés. Elle a décidé d’utiliser son fonds de relance pandémique de 807 milliards d’euros pour venir en aide aux États membres. Ce fonds mis en place en 2021 n’a été utilisé pour le moment qu’à hauteur de 15 %. Les versements pour les projets énergétiques pourraient être accélérés et la Commission pourrait proposer des prêts à faible taux pour assurer le financement de mesures en faveur de la transition énergétique. La BCE s’est engagée de son côté à limiter les écarts de taux entre les États membres pour éviter une fragmentation de la zone euro.

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