L’Europe et la France au piège de l’Iran

L’Europe et la France au piège de l’Iran

Européens et Américains ont mis des années à négocier un traité qui limitait les Iraniens dans leurs investissements pour créer « la bombe islamique ». Le traité fut signé, malgré les réticences de la France, sur l’insistance du Président Obama.

Les entreprises européennes gagnèrent la course vers le nouveau marché iranien, laissant les américaines loin derrière. Puis Trump, en 2018, se retira du traité, obligeant les entreprises à choisir. Entre commercer avec l’Iran ou avec les Etats-Unis, le choix est rapide. Depuis, les Européens s’évertuent à sauver l’accord tandis que les Iraniens renforcent leur arsenal balistique. Ce qui obligea malgré tout la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, en avril dernier, ont dénoncé à l’ONU le développement du programme balistique iranien, contraire, selon eux, à la résolution 2231 du Conseil de sécurité. Un coup en avant, un coup en arrière.

Désormais les Iraniens menacent de ne plus rien respecter du tout. Ils ont décidé de fabriquer et stocker plus d’uranium enrichi que ce qu’autorise le traité. A la saisie d’un pétrolier accusé de violer l’embargo sur la Syrie, ils saisissent à leur tour un pétrolier britannique. Aux velléités de patrouilles européennes dans le détroit, ils annoncent des patrouilles avec les Russes.

En Syrie, l’Iran installe des bases militaires, visées régulièrement par l’aviation israélienne. Au Liban, l’Iran soutient activement le Hezbollah, pilier du gouvernement mais toujours considéré comme terroriste. Au Yémen, l’Iran soutient les rebelles Houthis.

La Justice argentine a récemment désigné le Hezbollah responsable de l’attentat contre le centre communautaire juif de Buenos Aires qui avait fait 85 morts et vise un ministre iranien par un mandat international. Il y a un an, un diplomate iranien a été arrêté en Allemagne pour avoir remis des explosifs à des hommes de main pour organiser un attentat contre les Moudjahidins du peuple iranien en France.

Le réalisateur Mohammad Rasoulof, primé à Cannes pour son film « Un homme intègre » a été condamné à un an de prison ferme. L’anthropologue franco-iranienne Fariba Adelkha a été incarcérée le 16 juillet. Nazanin Zaghari Ratcliffe, une irano-britannique emprisonnée depuis 2016, a été transférée dans un hôpital psychiatrique. Selon Amnesty international, la répression sur les femmes, militantes ou non, s’endurcit.

Bref, ce n’est parce que Trump agit comme un écervelé qu’il a forcément tort.

L’Iran, depuis la révolution islamique, vit de la confrontation. En cela, Trump lui convient bien. Le pari de Trump est de mettre à bas l’économie iranienne : 200.000 barils aujourd’hui contre 1.2 millions auparavant. Mais les dirigeants iraniens sont prêts à sacrifier l’économie iranienne pour rester au pouvoir. Les régimes dictatoriaux tiennent jusqu’au dernier cran de la ceinture des pauvres, et au-delà.

Il n’est donc pas sûr qu’un changement de régime se produise en Iran. Mais il est certain que le régime ira plus loin dans son raidissement. Appuyé par ses alliés officiels (Syrie, Hezbollah, Houthis) – et officieux (Chine et Russie), il risque de s’en prendre à l’Europe, considérée comme le maillon faible de l’Occident.

Que peuvent alors faire les Européens ? Faire comme si de rien n’était ? Ne pas voir les violations iraniennes ? Se poser en arbitre, entre les Américains et les Iraniens ? A la fin, les Européens seront avec les Américains, et les Iraniens le savent.

Les Etats-Unis veulent créer une coalition de 20 pays pour garantir la liberté de navigation. Israël bombarde les rampes de lancement de missiles en Syrie et en Irak. L’Iran fait savoir que ses missiles peuvent détruire la Cinquième flotte. Les Britanniques souhaitent une force européenne pour sécuriser le détroit d’Ormuz.

La France s’est placée en première ligne. Elle appelle l’Iran à respecter ses engagements, qui lui répond que c’est trop tard. Mais Il ne s’agit pas que du Traité : il s’agit de l’action de l’Iran au niveau international, au Moyen-Orient, en Europe, dans le monde.

L’idée de la France est de convaincre les Iraniens d’accepter des engagements supplémentaires sur le programme balistique et d’arriver à une trêve prolongée au Yemen. Alors les Européens pourraient convaincre Trump de revenir dans l’accord. Mais personne n’y croit. Surtout, personne n’en veut. Avoir l’Iran comme ennemi est une bénédiction pour Trump, aussi bien en interne pour sa campagne électorale, qu’en politique étrangère, pour maintenir sa coalition sous contrôle.

C’est une chance aussi pour les mollahs et les Gardiens de la révolution. Le Grand Satan est la justification de leur existence, de leurs abus et de leurs rapines. La proximité des Saoudiens avec les mécréants renforce leur légitimité dans leur course à la primauté religieuse.

La France -et l’Europe- ont donc peu de chance de réussir. La seule raison d’être de ces efforts est de préparer une neutralité en cas de conflit, ce qu’a bien compris -et dénoncé- Israël. De fait, peut-on vraiment être neutre entre l’Iran et les Etats-Unis ? Les Iraniens nous placent tous dans le même camp. Mais souhaite-on être impliqué dans une guerre ? Non plus.

La France vend des armes à l’Arabie saoudite : 11 milliards en 9 ans. Cependant l’Arabie saoudite n’est que le 28èmeclient de la France. Pas de quoi vendre son âme.

Sommes-nous immoraux en vendant des armes aux Saoudiens, lâches en ignorant les visées iraniennes, naïfs en jouant les faiseurs de paix, impuissants face à l’unilatéralisme américain, hypocrites face aux uns et aux autres ?

Notre principal défaut est ailleurs : la vérité oblige à dire que nous ne savons pas définir nos intérêts.

L’ensemble des pays du Proche et du Moyen-Orient représente pour le commerce extérieur français, pétrole et armes compris, moins que la Suisse. Ce n’est pas l’intérêt qui nous guide. Alors quoi ?

Le fait de ne pas être la Suisse. L’idée que l’Europe -et la France- pèse sur les affaires du monde. Soit. Encore faut-il savoir dans quel sens. Trump a affiché son but : faire tomber le régime des mollahs. Et nous, quel est notre but? Sauver le Liban ? Réunir Chypre ? Réconcilier les Palestiniens  et Israël ? Consolider le Qatar ? Reconstruire la Syrie ? Réintégrer l’Iran dans le concert des Nations ? (on le fit si bien en Lybie avant de l’anéantir).

Si l’Iran construit sa bombe, nous serons obligés de choisir.

La politique française au Moyen-Orient ne manque ni de moyens, ni de talents, ni d’efforts : elle manque d’objectifs. Il n’est pas de bon vent pour celui qui ne sait où il veut aller.

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