L’Europe est-elle soluble dans la Méditerranée ?

L’Europe est-elle soluble dans la Méditerranée ?

Il est un mal qui ronge l’Europe. Il ne vient pas de la perfide Albion, qui rêve du Grand Large atlantique et Pacifique. Il ne vient pas des Etats-Unis ou de la Chine, dont le face à face excite autant qu’il fascine. Le mal vient de plus loin, de plus près, du cœur de l’Europe : Toute maladie est intérieure. 

L’Europe peut se désagréger de ses divergences. En dix ans, les niveaux de vie ont augmenté en Europe du nord, tandis qu’ils stagnent en Europe du sud. A la fin de la crise du Covid, chacun s’attend à une reprise, en K : croissance rapide pour les uns, chute pour les autres.

Divergences mortelles des niveaux de vie

Cette année l’heure de vérité sonnera en Allemagne, puisqu’Angela Merkel a annoncé son retrait après les élections. L’Allemagne sera-t-elle pour une « une autonomie stratégique européenne », ou ne verra-t-elle le monde qu’avec les yeux de  l’OTAN ? Sera-t-elle pour accroitre la relance européenne, ou réservée, comme le prône le Tribunal constitutionnel de Karlsruhe? En raison de la faiblesse relative de la France, l’Allemagne tient l’Europe.

Or l’Europe ne peut pas être qu’une Europe à l’allemande, l’équilibre est indispensable. D’autre part, l’Europe doit mener à une convergence des niveaux de vie, pas à un écart grandissant. Sinon, l’Europe ne sera plus. Les riches fourmis ne voudront plus payer pour les pauvres cigales ; les pauvres ne voudront plus supporter l’arrogance des riches, d’autant qu’ils ne seraient pas aussi riches sans un marché européen. 

Tout se passe comme si une spécialisation des avantages comparatifs se serait faite en Europe par pays : aux uns les services et le tourisme, avec des emplois à faible valeur ajoutée et de pauvres salaires, aux autres l’industrie, les robots, la haute technologie, avec des emplois qualifiés et bien payés, les anciens pays de l’est servant de réserve de main d’œuvre proche à bon marché, tandis que les pays du sud reçoivent les immigrés.

A chaque maladie son remède

Quelles que soient les raisons, vraies ou fausses,  l’Europe ne durera que si elle construit une « communauté de destin », ce qui suppose autonomie stratégique et solidarité. La grande divergence des niveaux de vie tue l’Europe lentement et sûrement, autant que l’absence de politique étrangère autonome. 

Heureusement, à chaque maladie son remède. Pour l’Europe, la guérison est proche. Son nom ? Méditerranée. Toute médecine est proche du poison : La Méditerranée est la réponse à ses déchirures internes, parce qu’elle est le lieu des toutes les menaces.

La méditerranée concentre les réponses – et les menaces. 

Le crime organisé infeste bientôt les centres financiers de Suisse, du Luxembourg, demain d’Amsterdam et de Francfort. Les circuits de la drogue passent par l’Afrique de l’ouest, le Maroc, le Liban, comme ceux de la traite des hommes et des femmes par l’Espagne, la Tunisie, la mer Egée et les Balkans. Pour la contrebande d’armes, c’est le même circuit. Le terrorisme, au Sahel comme en Lybie, en vit. Sans eux, plus d’argent. Il est la forme actuelle de la guerre de razzia, de la guerre irrégulière, sale, des seigneurs de guerre et des bandes. 

On dit lutter contre l’islamisme. Quand la bataille idéologique sera gagnée  -si elle l’est-, la guerre ne sera pas finie. Il y aura autre chose, tant que les trafics pirates ne seront pas contrôlés. Kadhafi alimentait bien le terrorisme avant d’en être l’ennemi.

Si l’on a pu défendre la thèse selon laquelle il fallait vaincre le terrorisme en Syrie pour éviter les attentats en Europe, alors il faut lutter contre les trafics et les réseaux avant qu’ils n’atteignennt l’Europe. Seuls les pays méditerranéens peuvent y aider. C’est vrai pour la criminalité, c’est vrai pour les migrations.

Crime, terrorisme, migrations, guerres, destructions écologiques     

On l’a bien compris avec la Turquie : Charles Michel et Ursula von der Leyen, récemment humiliés par Erdogan, ont proposé de continuer à payer la Turquie 4 milliards d’euros pour qu’elle garde les réfugiés syriens, à condition qu’elle devienne plus polie.  

Le raisonnement tenu pour la Turquie – qui nous menace – vaut pour tous les pays méditerranéens, plus encore pour ceux qui ne nous menacent en rien. Mais il ne suffit pas de payer -les Turcs le montrent suffisamment- il s’agit de construire des alliances.

L’Afrique, qui compte un milliard d’habitant aujourd’hui, devrait atteindre 2.4 milliards d’habitants en 2050, dont la moitié aura moins de 25 ans. Aucun pays africain n’est autosuffisant du point de vue alimentaire. En Afrique du nord, le tiers des villes de plus de dix mille habitants n’ont pas de station d’épuration. Qui peut croire que l’on tiendra des discours sur le climat en Europe tandis que les pays d’Afrique du nord se battront entre eux?

Jeunes, femmes, militaires, religieux et démocratie

Car la guerre est déjà là, en Lybie, au Liban, en Syrie. Elle perle aussi au Sinaï, au Sahel, frontière sud de la Méditerranée, elle affleure en Egypte, à Gaza, en Israël, à Chypre, en Mer Egée.  

En cause, l’énergie, les gazoducs, les routes maritimes, mais pas seulement : les luttes de pouvoir au sein du monde musulman. En lice les jeunes, les femmes, les militaires, les religieux, tous centres d’intérêts, de conflits, de pouvoir. 

Qui peut croire que l’on peut disserter sur le « genre », c’est-à-dire le sexe des budgets municipaux, comme le fait tel maire écolo de France, et ignorer le rejet de la Convention sur la violence faite aux femmes en Turquie ? Qui pense qu’on obligera quelqu’un à l’appliquer par des remontrances ? Il faut s’engager dans une vie commune pour infuser notre façon de vivre. 

L’Europe a tort de voir la Russie comme une menace à l’est. La Russie a compris que le point faible de l’Europe était en Méditerranée, et qu’il ne fallait pas qu’elle devienne son point fort. Si la Russie veut faire chanter l’Europe, elle le fera en Méditerranée, pas dans la Baltique.

Ce sont les moyens qui manquent le moins

Toutes ces questions vitales de civilisation et de géopolitique ont leur expression la plus aigüe en Méditerranée. On peut choisir de les circonvenir un à un. Ce que fait l’Europe depuis longtemps, avec des accords bilatéraux. Ou avec des instruments spécifiques, Frontex, par exemple, pour les migrations. On a l’avantage, avec la durée, de savoir que cela ne marche pas. 

On doit donc recourir aux méthodes les plus banales: réfléchir d’abord, c’est à dire définir une stratégie, avec des objectifs et des moyens. Ce sont les moyens qui manquent le moins. 

L’Europe est riche, elle est le premier marché mondial, elle a des universités, des forces de sécurité, des technologies, tout. Elle peut proposer une union commerciale (elle l’a déjà fait), des garanties bancaires et monétaires (à condition de commencer par unifier son propre marché bancaire), amplifier les échanges universitaires, installer des écoles et des universités, des réseaux énergétiques, des usines de traitement des eaux, les besoins sont immenses, les capacités aussi : Une chance inouïe.

Une Charte pour la Méditerranée 

Curieux de voir les Chinois investir l’Afrique et les ports de Méditerranée, et les Européens contempler le nouveau paysage. Il fut un temps où c’était les Européens qui s’installaient en Chine et dessinaient leurs routes de la soie. Il ne s’agit pas de moyens : l’Europe reste, de très loin, beaucoup plus riche que la Chine. Garantir la sécurité en Méditerranée n’est pas non plus une question de moyens, mais d’accords politiques. 

Et de droit. La Méditerranée est quasiment la seule mer fermée, elle appartient à ses riverains, si ceux-ci le décident.

Une initiative pour la France 

Alors que la Chine – et la Turquie – montrent des velléités de remettre en cause le droit international de la mer (la convention de Montego Bay), c’est le moment de proposer un droit propre à la Méditerranée : une Charte de la Méditerranée qui fixerait un ensemble de normes concernant aussi bien le transport maritime, la surveillance des eaux en surface comme en profondeur, les droits de transit, l’échange des données, les normes de pollution et de pêche, le contrôle des migrations, le traçage des marchandises, etc…

La France devrait en prendre l’initiative. Elle est le centre de l’Europe. Elle est le premier pays de Méditerranée. Elle doit y entrainer les pays du nord, au risque de prétendre alors agir seule, avec les pays européens du sud, ce qui accélérerait le divorce européen. 

L’Europe reste obnubilée par la Russie et les Etats-Unis. Elle a du mal à sortir du siècle dernier. Le siècle de l’Europe passe par la Méditerranée, ou l’Europe ne passera pas la demie de ce siècle. 

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