Quel compatriote vivant loin de l’Hexagone n’a jamais été touché par un profond sentiment de nostalgie ? Vivre loin de sa patrie de naissance c’est, certes s’offrir la possibilité de tracer librement un itinéraire de vie singulier, loin du déterminisme des origines, et se mêler au bouillonnement du monde. Mais vivre loin implique aussi de ressentir le poids de la distance quand on a laissé derrière soi des êtres chers et des terres aimées qu’on ne reverra que pour les vacances ou tout simplement jamais. La nostalgie faite du pincement au coeur de celui ou celle qui est parti n’est jamais loin.
« De la Lettre à France de Polnareff aux Lettres à la France de Français.press »
Quand Michel Polnareff écrit en 1977 sa « Lettre à France », il compose une ode languissante au pays qu’il a dû quitter précipitamment quatre ans plus tôt pour vivre en exil aux Etats-Unis. Cette chanson à succès est aussi un hommage à France Gall avec qui Polnareff a connu une idylle malheureuse.
A l’image de cette missive enflammée devenue célèbre, j’ai voulu interroger des compatriotes sur leur rapport intime à la France, sur leurs amours, souvent à l’origine de leur itinéraire de vie, les faire parler de leurs sentiments liés à une expatriation pas seulement décrite sous l’angle des choix professionnels, mais vécue à travers des anecdotes de vie, des rencontres, des virages négociés ou des bifurcations soudaines.
J’ai demandé à mes interlocuteurs de rédiger l’ébauche de leur propre « Lettre à la France » et de me fournir la photographie de deux lieux chers et évocateurs, en France et dans leur pays de résidence à l’étranger.
De cette mosaïque de mots et d’images se dégagent les portraits personnels de ces compatriotes de l’étranger qui forment la mosaïque de la France d’outre-frontière en même temps que les réminiscences de la France d’hier et d’aujourd’hui.
Vanessa, citoyenne du monde et grande voyageuse
Vanessa Fragoso file dans un bus en direction de la côte Vicentine, son immense littoral préservé à deux heures à peine du Nord de Lisbonne. Elle y a organisé une marche le long de l’océan. Elle qui est chercheuse de métier est aussi chercheuse de vocation au sens où sa quête de vie l’amène à organiser la rencontre des cultures au contact des autres, à plonger au plus profond d’elle-même en écrivant ou en se ressourçant au contact de la nature. Elle sait garder son large sourire aux lèvres même quand la vie devient péripétie. Vanessa est Française de Lisbonne, engagée dans le monde associatif et culturel, une authentique citoyenne du monde qui semblait toute désignée pour délivrer sa propre lettre à la France cet été.
Boris Faure : Peux-tu m’expliquer comment se fait ta rencontre avec le Portugal ?
Vanessa Fragoso : Je pars pour un an en mission en 2006 avec le Ministère des Affaires Etrangères pour le compte du CNRS. Ma vie devient une succession d’allers retours entre Lisbonne et Lille puisque je suis originaire du Nord de la France. Je reste un an et je réussis un concours portugais pour 4 ans de plus comme chercheuse à Lisbonne. Je passe ensuite de l’université de Lisbonne à l’université Evora. Puis on crée une chaire à Montréal sur la culture portugaise.
« On réussit à construire un pont entre les cultures francophones et lusophones ! «
On réussit à construire un pont entre les cultures francophones et lusophones, un triangle entre la France, le Portugal et le Canada. Je vais bâtir d’autres ponts. Entre la Flandre, l’Espagne, le Portugal, Naples. Culturellement je m’insère également dans le milieu culturel capverdien. Autre pont. J’ai eu aussi une relation très forte avec le Timor sur la valorisation culturelle du pays. J’ai renoué des ponts entre le Portugal et le Timor pour apporter de l’enseignement du français à Timor.
Tu es fille d’un père qui a une entreprise maritime, peux-tu me parler de ces racines et de ton enfance qui expliquent la personne que tu es devenue ?
Vanessa Fragoso : J’étais du côté maternel sur la frontière belge, entre deux pays. Les origines de mon père sont portugaises. Je suis née avec des pieds bâtards, je ne suis pas née fixe, je suis née dans le mouvement et dans l’ouverture.
« Je mangeais avec les marins et les commandants philippins et marocains. »
J’ai passé beaucoup de temps avec mon père quand j’étais petite sur les navires où il travaillait. Je mangeais avec les marins et les commandants philippins, marocains, j’ai croisé des cultures à travers la gastronomie et les langues. Mon père était proche de la culture capverdienne car les équipages étaient souvent du Cap-Vert. J’ai écouté de la musique brésilienne assez tôt. Cela m’a ouvert vers d’autres horizons. J’ai eu une enfance qui s’épanouissait de tropicalisme. C’est ce qui a fait que je suis allée étudier les pays dans le Sud plutôt que de rester dans les départements d’études du Nord de la France ou de l’Europe.
Boris Faure : Tu m’as adressé une photo qui fait penser à l’Eden. Tu peux m’en parler ?
Vanessa Fragoso : La photo que je t’ai envoyée, c’est une photo des Landes mais qui me rappelle une ville entre Dunkerque et la Belgique, la ville côtière de Leffrinckoucke, où il y a des plages sauvages et où se situait la demeure qui appartenait à ma famille. On y accueillait des chevaux en pension. Des arbres fleuris passaient sur un pont et leurs feuilles tombaient dans le canal. J’ai passé mon enfance parmi cette nature et ces animaux. Quand je pense au Nord je pense au soleil qui se reflète dans l’eau et pas du tout au ciel gris. C’est pourquoi je t’ai transmis cette photo lumineuse. A Lisbonne, j’habite aussi une maison qui donne sur la lagune et sur les dunes, avec un aspect très sauvage.
Boris Faure : Comment relies-tu ce passé d’une enfant du Nord de la France avec ta vie actuelle ?
Vanessa Fragoso : J’aime bien faire de mon futur quelque chose qui ne se détache pas de mon passé. Je n’aime pas être en dissonance avec mon passé. Pourtant je suis en divorce avec cette région, c’est un divorce avec le père de mes enfants, mais c’est aussi une séparation morale. Un divorce moral avec mes parents. Les seuls liens actuels avec le Nord ce sont mes enfants qui y vivent. Je m’en détache par nécessité. Je vais voir ma fille et mon garçon tous les mois pour partager des moments ensemble.
Je suis en divorce moral avec ma région d’origine !
Le divorce moral ne m’empêche pas de renouer avec des lieux comme Paris qui m’ont valu une reconnaissance académique, une formation artistique et culturelle française. Beaucoup de mes amis vivent dans le Sud-Ouest pour des questions artistiques et littéraires. Je me retrouve là-bas avec des personnes qui ont beaucoup voyagé. Je garde ce lien complet avec la nature, l’océan et les arts.
Boris Faure : Tu es aussi engagée avec l’association Français du Monde…
Vanessa Fragoso : La rencontre avec Français du Monde se fait avec Arnaud Leroy (NDA : ex Député des Français d’Espagne et du Portugal, élu de 2012 à 2017). Il vient du Nord comme moi. Il y avait les primaires du PS et il fallait choisir. Martine Aubry se présentait et en tant que maire de Lille, c’était le Nord qui revivait à Lisbonne. Il y avait aussi chez les Français du Portugal Mehdi Benlahcen (enseignant au Lycée français de Lisbonne et ex Conseiller des Français de l’Etranger) et Olivier Perrin (Professeur des écoles en poste à Lisbonne). On a formé un petit groupe de militants associatifs. Hollande s’est présenté, il a gagné et Arnaud s’est lancé dans la législative. On a fait la campagne pour Arnaud avec l’étiquette de Français du Monde. Mehdi a pris le relais à la présidence locale de FDM et je suis devenue son bras droit. L’association Français du Monde m’a donné une réellement transversalité. Avec un engagement que j’avais très tôt commencé en France. Dans le domaine éducatif et culturel. A Lisbonne nous avons noué un partenariat avec l’association « Le 25 avril » qui est une association historique qui défend nos valeurs, qui s’est créée pour dénoncer les atrocités qui ont eu lieu en Afrique. Le siège de cette association était constitué d’un très bon restaurant et d’une galerie d’art. Pendant des années FDM a profité des locaux du 25 avril. FDM m’a permis une ouverture sur le monde. On se suit sur les réseaux sociaux et les comptes WhatsApp. Cela offre une visibilité intéressante dans le monde entier. J’ai été aussi membre du Bureau de la FCPE et j’avais une vision concrète.
Boris Faure : Et puis il y à l’arrivée d’Emmanuel Macron qui emporte avec lui une partie des militants du PS, c’est le cas d’Arnaud Leroy…
Vanessa Fragoso : Arnaud Leroy a commencé par l’écologie avant d’être au PS et il place la défense des océans au cœur de son engagement. On a maintenu un très bon rapport personnel jusqu’à ce qu’il devienne porte-parole de Macron. J’ai été une des personnes qui a été la plus dure vis-à-vis de lui. J’ai été très déçue parce que je n’ai pas compris le soutien à une vision économique que nous ne partagions pas. Arnaud avait été frondeur. Le discours de Macron était radicalement différent de ce qu’il était au départ. Mais Arnaud trouve de la cohérence désormais à travers un engagement dans le Sud-Ouest.
Boris Faure : Tu es surfeuse, tu m’as transmis également une photo de l’océan, peux-tu m’en parler ?
Vanessa Fragoso : Il y a plusieurs choses dans l’océan. La première c’est l’immersion. On épouse l’océan dans ses humeurs, ses temps, ses rythmes. Dans l’océan on peut passer beaucoup de temps à attendre. Surfer c’est apprécier le temps long des vagues, c’est une forme méditative.
Boris Faure : Surfer c’est une forme méditative ?
Vanessa Fragoso : Il y a de la rapidité et de l’adrénaline sur la vague et de la lenteur dans l’attente. C’est ce que j’aime aussi dans l’écriture. Dans la nature l’immersion est propice à se retrouver soi-même. A partir du moment où on fait corps avec ce qui tient de l’essentiel, on ouvre son regard vers l’autre et vers le vivant.
Boris Faure : Et enfin, ton rapport à la France, quel est-il ?
Vanessa Fragoso : Ma France persistante c’est celle de l’altruisme avec qui je maintiens une relation forte. Dans mes combats actuels la France m’aide, il y a une France très bienveillante qui se maintient ; J’ai un divorce avec une partie de la France, seulement. C’est la France bienveillante, forte comme un if, qui m’intéresse. Il y a une France hyper urbanisée et une France qui demeure naturelle, une région comme le Sud-Ouest fait de réels efforts écologiques. La partie morose qui est lourde aujourd’hui ne sera de mon point de vue qu’éphémère. Cela ne peut être qu’un temps et un moment. Il vaut mieux terminer sur des notes d’espoir. Car c’est important de rêver et d’espérer.
Sa lettre à la France :
Il était une fois
Toi et moi N’oublie jamais ça Toi et moi
Dans le ciel gris des plages du Nord
Il me souvient de cette mer amère
Dans le vent frais de ses lointains remords En divorce, ma vie est étrangère
J’y ai perdu ma vie J’y ai perdu ma fierté
Dans les splendeurs de la ville lumière Paris, ouvre les plaisirs enchantés
A l’appel des Arts, gémit cette mère Je reviendrai près de toi non changée
J’y ai gagné mon génie, ma gaieté J’y ai gagné ma souveraineté
J’ai voulu des Landes fleuries, dunaires, J’ai rêvé d’horizons, de l’océan,
Des lacs aux tons de saphirs, et dedans Le corps des pins, leurs allures légères
Il était une fois
Toi et moi N’oublie jamais ça Toi et moi
Car, en plus des doux songes de l’enfance, J’y ai trouvé le parfum de romances
Et les échos de ma lagune fière
Si azur, écumante et forestière
J’ai senti la tendresse, la pudeur des coeurs J’y ai senti la vertigineuse douceur
L’étreinte du Sud-Ouest n’a de mystères Musicalement, elle sut me plaire Picturalement, elle m’a nourri
Littéraire, elle est paradis
J’y ai embrassé les désirs J’y ai embrassé les plaisirs
Enfin dans l’air des racines brûlantes Je grandis encore, mes fruits, tant mûris, Accrochent comme une robuste plante A mon origine encore saisissante
La France,
Je la fixe de mes yeux fort pensifs, L’imagine persistante comme un if
Il était une fois
Toi et moi N’oublie jamais ça
Toi et moi
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