L’esprit pionnier des Américains est-il toujours là ? 

L’esprit pionnier des Américains est-il toujours là ? 

À Greenville, en Caroline du Sud, deux habitants ont créé des boucles d’oreilles ressemblant à des bijoux, mais contenant des microprocesseurs permettant de suivre la température corporelle, la fréquence cardiaque et le cycle menstruel de celle qui les porte. Créée en 2022, Incora Health prévoit de commencer la commercialisation de ses boucles d’oreilles dans quelques mois. L’esprit de pionniers demeure aux États-Unis et le secteur de la santé digitale génère un nombre important de créations d’entreprises. 

Les États-Unis jouissent d’une réputation méritée de pays à la pointe de l’innovation mais certains économistes craignent que celle-ci soit de plus en plus usurpée. En 1982, 38 % des entreprises américaines avaient moins de cinq ans, en 2018, seulement 29 % étaient dans cette situation. 

La proportion des Américains travaillant pour des startups est en diminution. Les grandes entreprises de la Silicon Valley accumulent les chercheurs et les brevets mais ont de plus en plus des comportements de rentiers. La diffusion du progrès technique est plus lente et les gains de productivité se font plus rares. Des économistes de la Réserve fédérale, ont souligné que ce déclin du dynamisme entrepreneurial était l’une des causes de la plus faible croissance américaine. Malgré tout, plusieurs données contredisent cette vision pessimiste de l’état d’esprit des Américains.

Aux États-Unis, les startups sont de plus en plus les vecteurs de la création d’emplois. 

En pleine crise épidémiologique, au milieu de l’année 2020, une vague de créations d’entreprises a été constatée. Certes, des escrocs ont créé des fausses entreprises pour capter les aides de l’État aux petites entreprises, et d’autres entreprises ont été lancées pour faire face aux besoins de livraison à domicile en raison de la fermeture des commerces, cependant, depuis 2020, le nombre de créations d’entreprises demeure élevé. En 2023, les demandes de création d’entreprises ont atteint 5,5 millions. La moyenne mensuelle de création reste environ 80 % plus élevée qu’au cours de la décennie précédant le Covid. 

En Europe, une hausse est également constatée mais elle est plus modeste (+20 %). Aux États-Unis, les startups sont de plus en plus les vecteurs de la création d’emplois. Si au cours des quatre années précédant la pandémie, les entreprises établies ont créé un emploi net pour quatre créés par les startups, au cours des quatre années qui ont suivi la pandémie, les entreprises établies ont perdu un emploi sur quatre créés par des startups. 

Si entre 2020 et 2021, la majorité des entreprises créées relevaient du secteur des services à domicile, depuis le relais a été pris par les entreprises technologiques, selon Ryan Decker de la Fed et John Haltiwanger de l’Université du Maryland. Un article publié en mars dernier par le Census Bureau a souligné une augmentation importante des applications commerciales impliquant l’intelligence artificielle en 2023. 

Pour Kenan Fikri du groupe de réflexion Economic Innovation Group, les États-Unis connaissent une augmentation du potentiel entrepreneurial ressemblant à celui des années 1990 quand les ordinateurs et Internet avaient connu un essor rapide. La pandémie a joué un rôle de déclic. Des millions de personnes ont perdu leur emploi du jour au lendemain. Se retrouvant désœuvrées à leur domicile, elles ont eu le temps de penser à leur avenir professionnel et de travailler sur des projets de reconversion. Certaines ont opté pour le travail à distance. D’autres ont pris conscience de l’importance d’être avec leur famille.

De nombreux créateurs d’entreprise sont d’origine modestes. 

La plupart des nouvelles entreprises sont petites et destinées à le rester. De nombreux créateurs d’entreprise sont d’origine modestes. Selon des chercheurs de la Brookings Institution, en 2019, seulement 5 % des familles propriétaires d’entreprise étaient noires et 4 % hispaniques ; en 2022, leurs parts étaient respectivement passées à 8 % et 7 %. 

L’engouement pour l’intelligence artificielle (IA) à partir de la fin d’année 2022 joue également un rôle important dans le dynamisme entrepreneurial. Les applications exploitant l’IA se multiplient que ce soit dans le domaine fiscal, juridique ou sanitaire. À la différence des précédentes vagues d’innovations qui étaient centrées sur la Bay Area de Californie, Boston ou New York, celle de l’IA concerne également des petites villes américaines. 

De plus en plus d’Américains ont fui les grands centres urbains et ont décidé de créer leur entreprise dans leurs nouvelles villes de résidence. En 2022, après avoir été licencié par X (Twitter), John Barnett, a déménagé dans une ville de 70 000 habitants, Greenville en Caroline du Sud. Avec quelques amis techniciens, il a créé « Supermoon », une application reposant sur l’IA afin d’aider les petites entreprises à gérer leurs boîtes de réception de mails surchargées et à répondre automatiquement aux clients. Dans la Silicon Valley, l’étude de marché aurait nécessité le recours à une agence de marketing réalisant des entretiens qualitatifs avec des clients réunis dans des salles avec des glaces sans tain. À Greenville, John Barnett a testé en direct son produit auprès des entreprises locales. L’accès au financement est plus complexe dans les petites villes que dans les grandes agglomérations mais les fonds de private equity disposent d’importantes réserves qu’elles cherchent à utiliser.

Le nouvel essor des startups se traduira-t-il par des gains de productivité ? 

La grande inconnue est de savoir si le nouvel essor des startups se traduira par des gains de productivité. En théorie, le renouvellement du tissu économique est propice à de tels gains. Aux États-Unis, la productivité du travail a augmenté en 2023 mais ce rebond n’a fait que compenser le déclin de 2022. 

Les nouvelles startups stimuleront peut-être moins la croissance que les précédentes car elles sont source de confort plus que d’efficience. Mais, peut être qu’une nouvelle fois le paradoxe de Solow se répètera. En 1987, l’économiste, Robert Solow, avait plaisanté en soulignant que l’on pouvait « voir l’ère de l’informatique partout, sauf dans les statistiques de productivité ». Quelques années plus tard, celle-ci a connu une progression importante aux États-Unis grâce à la généralisation de l’informatique. En 2024, l’intelligence artificielle est partout sauf dans les chiffres de croissance mais dans quelques années, qu’en sera-t-il ?

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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