Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? 

Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? 

Openai a rendu public son modèle d’intelligence artificielle Gpt-4, il y a un peu plus d’un an, système qui alimente Chatgpt, son robot conversationnel. Au cours de cette période, la capitalisation boursière de l’industrie technologique américaine, au sens large, a progressé de plus de 50 %, créant 6 000 milliards de dollars de valeur pour les actionnaires. L’indice de référence en la matière, le Nasdaq a augmenté de plus de 45 %. Pour certaines entreprises technologiques, la croissance des revenus est au rendez-vous, semblant confirmer que la hausse des cours n’est pas la réédition de la bulle Internet de la fin des années 1990. 

Le 21 février dernier, l’entreprise américaine Nvidia, qui conçoit des microprocesseurs utilisés par les modèles comme Gpt-4, a annoncé des résultats en forte hausse au quatrième trimestre, portant sa valeur marchande à environ 2 000 milliards de dollars. L’ensemble des acteurs de l’intelligence artificielle (IA) comme Alphabet (la société mère de Google), Amazon et Microsoft bénéficient de l’engouement pour l’IA

Le marché de l’IA reste pourtant balbutiant. En 2023, l’IA n’a représenté qu’un cinquième de la croissance des revenus d’Azure, la division cloud computing de Microsoft. Alphabet et Amazon ne révèlent pas leurs ventes liées à l’IA, mais les analystes soupçonnent qu’elles sont inférieures à celles de Microsoft.

L’IA doit devenir incontournable

Pour éviter un atterrissage brutal des cours boursiers, ces entreprises devront assez rapidement vendre leurs solutions d’IA à un grand nombre de clients. Celle-ci doit s’imposer comme Internet dans les années 2010. Elle doit devenir incontournable, que ce soit dans la création, l’innovation, la production ou la gestion ainsi que dans les loisirs. 

En 2023, moins de 10 % des entreprises utilisent des outils d’IA. Ce ratio doit être dans les faits plus élevé car cette dernière se loge dans de nombreuses applications informatiques sans que leurs utilisateurs ne le sachent.

L’IA ne sera rentable que plusieurs années après sa généralisation

Sans nul doute, l’IA modifiera de nombreux métiers. Elle pourra supprimer des emplois mais en créera également. La diffusion de la machine à écrire puis de l’ordinateur ont, en leur temps, provoqué des changements dans le monde du travail tout comme l’introduction au XVIIIe et au XIXe de la machine à vapeur et des métiers à tisser. Le recours à des machines a permis des gains de productivité et une réduction de certaines pénibilités. Selon une étude menée en 1888, la machine à écrire permettait à une personne d’effectuer le travail de six. De son côté, l’ordinateur a éliminé certaines tâches administratives répétitives tout en rendant les salariés plus productifs et plus autonomes. Le développement de la visioconférence qui s’est accéléré depuis la pandémie de covid permet de limiter les déplacements générant des gains de temps et contribuant à la réduction des émissions des gaz à effet de serre. L’IA comme toute innovation majeure ne sera rentable que plusieurs années après sa généralisation comme ce fut le cas avec les ordinateurs. 

Dans les années 1990, l’économiste Robert Solow affirmait qu’on « voyait des ordinateurs partout sauf dans les statistiques de la productivité ». Il a fallu attendre les années 2000 pour réellement mesurer leurs effets. Actuellement, il n’y a pas encore d’études sur les conséquences de l’introduction de l’IA sur la productivité. 

En ce début d’année 2024, l’IA n’est utilisée que par un nombre réduit d’entreprises. La grande majorité des entreprises n’utilisent pas Chatgpt d’Openai, Gemini de Google, Copilot de Microsoft ou d’autres outils similaires de manière systématique, même si des employés peuvent, à titre individuel, le faire. En février, aux États-Unis, 17 % des entreprises du secteur de l’information et de la communication ont eu recours à l’IA dans les deux semaines précédant l’enquête, 13 % dans celui des services aux entreprises, 9 % dans celui des services de l’éducation, 8 % dans celui de l’immobilier, 7 % dans celui de l’assurance et de la finance, 6 % dans celui des loisirs, 5 % dans celui de la santé et 4 % dans l’administration.

intelligence artificielle
©Stockadobe

L’apanage des grandes entreprises

L’utilisation de l’IA demeure l’apanage des grandes entreprises qui peuvent se permettre de recruter des équipes dédiées et financer les investissements nécessaires. Selon Morgan Stanley, toujours aux États-Unis, fin 2023, près du quart des grandes entreprises avaient des projets d’IA contre 15 % pour l’ensemble des entreprises. La montée en puissance est néanmoins rapide. Au mois de janvier, seulement 9 % des grandes entreprises recouraient à l’IA. 

Toujours aux États-Unis, de plus en plus de créations d’emploi sont en lien avec cette dernière. De plus en plus d’entreprise recherchent des professionnels pouvant mettre en œuvre des projets de robots conversationnels. Aux États-Unis, au mois de janvier 2024, 0,10 % des offres d’emploi concernent l’IA. Ce ratio est de 0,12 % au Canada, 0,8 % au Royaume-Uni, 0,7 % en Allemagne et 0,5 % en France

Trois grandes catégories d’intelligence artificielle en entreprise peuvent être distinguées : les outils de façade, les outils destinés aux travailleurs peu ou moyennement qualifiés, et ceux destinés aux employés qualifiés. 

Les outils de façade sont avant tout à destination des consommateurs. Ils sont assez basiques. Ils permettent de proposer par exemple une sélection des chansons à destination des abonnés des applications de musique en ligne et de mettre à disposition des chatbots pour résoudre des problèmes relativement simples. Amazon et Google Maps ont introduit des modules d’IA dans leurs services sans que les utilisateurs ne s’en aperçoivent réellement.

Épauler les services clients et réduire le temps de traitement des dossiers

Les outils destinés aux travailleurs à faible qualification visent à leur donner accès à des données leur permettant de réaliser leur travail plus rapidement sans faire appel à un collègue ou à un supérieur. Des outils sont ainsi développés pour épauler les services clients et réduire le temps de traitement des dossiers. D’autres permettent de générer plus rapidement des fichiers Excel ou Word. 

Des entreprises recourent à l’IA pour améliorer les systèmes de recherche de données. La société de services financiers américaine, « Nasdaq » recourt à l’IA pour évaluer les transactions bancaires suspectes. Selon l’entreprise, les temps de traitement ont été réduits à trois minutes, contre 30 à 60 minutes auparavant. L’IA est de plus en plus utilisée par les actifs à forte qualification. Elle est un outil offrant des gains de temps appréciables pour la recherche. Des outils d’analyse permettent de qualifier les résultats issus d’une multitude d’expériences. 

Les avocats ont été également parmi les premiers à l’adopter tant pour les recherches juridiques que pour évaluer les chances de réussite d’un dossier. Les banques d’investissement utilisent l’IA pour automatiser une partie de leur processus de recherche. Sanofi utilise une application pour fournir à ses dirigeants des informations en temps réel sur de nombreux aspects de la vie de leur entreprise.

Gains de productivité et créations d’emploi

Des entreprises utilisent cette technologie pour créer leurs logiciels. GitHub Copilot de Microsoft, un outil d’écriture de codage, compte 1,3 million d’abonnés. Amazon et Google proposent des produits similaires. Apple devrait prochainement en proposer un. L’IA réduirait d’au moins de 20 % le temps de conception d’un logiciel. Grâce à l’IA, l’Oréal arrive à mesurer plus efficacement les effets des campagnes de publicité. Elle estime que les marques du groupe ayant déployé des applications d’IA ont pu gagner de 10 à 15 % de productivité. 

Pour le moment, ce déploiement ne se traduit pas par des destructions d’emploi. Jusqu’à présent, cette technologie semble créer plus d’emplois qu’elle n’en élimine. Actuellement, elle serait plutôt responsable de la création de nouveaux emplois. Les grandes entreprises sont, à ce titre, confrontées à des pénuries de main-d’œuvre. Nestlé et KPMG peinent à trouver un nombre suffisant d’ingénieurs informaticiens. 

L’IA qui est encore en rodage n’est pas sans défaut. Les robots peuvent générer des erreurs que les salariés doivent rechercher et corriger. Les codeurs peuvent ainsi passer moins de temps à créer des logiciels sans IA qu’avec cette dernière. Les erreurs de l’IA peuvent entraîner des conséquences financières non négligeables. Ainsi, le chatbot d’Air Canada s’est trompé en proposant de mauvais tarifs aux clients. L’insertion des nouveaux outils peut également démotiver les salariés qui se sentent dépossédés de leur travail ou assistés. Ils perdent en sens critique et en efficacité.

Un quart des dirigeants américains interdisent l’IA dans leur entreprise

Un sondage réalisé par IBM souligne que de nombreuses entreprises hésitent à adopter l’IA car elles manquent d’expertise interne en la matière. D’autres craignent que leurs données ne soient pas exploitables par les robots. Environ un quart des dirigeants américains interdisent l’utilisation de l’IA générative dans leur entreprise. L’une des raisons possibles de leur hésitation est l’inquiétude concernant la gestion des données. 

Dans leurs rapports annuels, la société d’investissement, Blackstone, et le laboratoire pharmaceutique, Eli Lilly, ont mis en garde les investisseurs contre les risques liés à l’IA et à la question de la propriété intellectuelle des données exploitées par les modèles. L’entreprise français, Orange, a indiqué avoir mis en place un cadre précis en ce qui concerne ce problème de propriété des données avant de commencer un essai avec Copilot de Microsoft. Ce dernier a été également intégré à Word et à Excel offrant aux utilisateurs de ces deux logiciels la possibilité d’accéder à des fonctionnalités d’IA. Des interrogations sur la confidentialité des documents ainsi créés se posent. Par ailleurs, cette intégration provoquerait un ralentissement non négligeable des ordinateurs et des bugs.

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