En juin 2001, le cours de l’action d’une startup, Amazon, dirigée par Jeff Bezos enregistrait une perte de 70 % sur un an, victime de l’éclatement de la bulle Internet. Nul ne misait sur l’avenir d’une librairie en ligne qui accumulait perte sur perte. Toujours en 2001, la bourse américaine était frappée de plein fouet par la manipulation financière de plus de 14 milliards de dollars chez Enron entraînant la faillite de cette société qui fut un temps la septième capitalisation des États-Unis. Ce scandale a provoqué le démantèlement d’un des premiers cabinets d’audit mondiaux, Arthur Andersen. Le 11 septembre 2001, l’effondrement des deux tours du World Trade Center créa un onde choc qui est encore ressentie vingt ans plus tard. Le cœur financier des États-Unis avait été frappé, prouvant qu’aucun pays n’était désormais à l’abri d’attaques terroristes et meurtrières. Le 11 septembre renvoie immanquablement à Pearl Harbor par son caractère imprévisible ou presque et par sa violence.
En 2001, la Chine commençait à peine son envolée vers les sommets, l’image du pays était entachée par les chars sur la place Tien Amen. Son PIB pesait moins de 5 % du PIB mondial. Ses entreprises publiques étaient peu rentables et n’inquiétaient personne. Dix ans après la chute de l’URSS, la monnaie unique s’était substituée avec aisance aux monnaies nationales déjouant toutes les craintes. Les taux d’intérêt convergeaient sur le Vieux Continent, l’Europe du Sud connaissait alors une expansion rapide. Une nouvelle ère européenne semblait s’ouvrir.
L’Europe à la traîne
Vingt ans après, le temps d’une génération, le panorama est tout autre. L’économie s’est mondialisée à un rythme inconnu depuis la fin du XIXe siècle. La Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale et pourrait devenir la première d’ici 2027. Après avoir mené deux guerres extérieures, les États-Unis ont réussi à maintenir leur supériorité militaire et technologique. Ils ont été ébranlés par la crise des subprimes qui est née sur leur territoire mais dont les effets ont été bien plus élevés pour l’Europe.
De son côté, la zone euro a survécu à la crise de 2008/2009 mais a failli succomber à celle des dettes souveraines de 2012. Les pays d’Europe qui, depuis 1951, malgré de nombreux obstacles, poursuivaient un processus d’intégration sont en proie à des divisions croissantes. Le Traité constitutionnel de 2005, après l’échec des référendums français et néerlandais et le Brexit, adopté par référendum au mois de juin 2016, ont semblé sonner le glas de toute ambition européenne.
Prédominance technologique des Etats-Unis et de la Chine
Sur le plan économique, les entreprises technologiques ont pris la place des compagnies pétrolières et des firmes automobiles parmi les plus grandes capitalisations. Elles représentent désormais plus du quart du marché boursier mondial. La répartition géographique est devenue déséquilibrée avec une prédominance des États-Unis et de la Chine. 76 des 100 entreprises les plus valorisées au monde proviennent de ces deux pays. Les entreprises européennes au sein de ce classement sont passées de 41 en 2000 à 15 aujourd’hui. L’Europe n’est pas la seule à avoir reculé. Le Japon qui à la fin des années 1980 menaçait la suprématie américaine, est en retrait depuis.
Au-delà de la capitalisation boursière, pour mesurer les rapports de force, il n’est pas inutile de prendre en compte l’activité commerciale du pays qui intègre le chiffre d’affaires et les activités de financement des entreprises. En la matière, les États-Unis sont dominants. Selon l’hebdomadaire « The Economist », avec 24 % du PIB mondial, ils sont à l’origine de 48 % de l’activité commerciale mondiale, la Chine en assurant 20 % pour un PIB de 18 %. Les autres pays qui représentent 77 % de la population mondiale se partagent 32 % de l’activité commerciale mondiale.
Formules gagnantes
L’Europe semble avoir manqué une marche. Focalisée sur la création de la monnaie commune puis enlisée dans l’affaire des dettes souveraines, elle n’a pas réussi à faciliter l’émergence de grandes entreprises technologiques. L’élargissement à l’Est a également accaparé de nombreuses énergies tant publiques que privées.
L’absence d’un vaste marché de financement des start-ups et la mise en œuvre de politiques orthodoxes au niveau tant budgétaire que monétaire ont joué en défaveur de l’Europe.
D’autres pays ont également échoué sur le terrain de la haute technologie. Le Brésil, le Mexique et l’Inde ont failli connaître un essor rapide entre 2000 et 2010 avant de retomber dans leur travers. Certains annonçaient que le Brésil pouvait intégrer le trio de tête des grandes puissances économiques mondiales.
La domination économique sino-américaine est impressionnante et a peu de précédents. Depuis vingt ans, sur les 19 entreprises créées de plus de 100 milliards de dollars, neuf se trouvent aux États-Unis et huit en Chine. L’Europe n’en a pas. La crise sanitaire ne fait que renforcer les positions des entreprises de ces deux pays. La bataille fait désormais rage sur le terrain des paiements, de la mobilité et de la vidéo. La formule gagnante en matière de haute technologie comprend de nombreux ingrédients : un vaste marché intérieur, une aide publique ciblée et efficiente, un marché de capitaux profonds, des réseaux de capital-risqueurs développés et la présence d’établissement d’enseignement supérieur ainsi que de centres de recherche en lien avec le secteur privé. Une culture entrepreneuriale et favorable à l’innovation est indispensable.
Le moteur de la destruction créatrice
Les pays performants exaltent la valeur travail. En moyenne, la durée de celui-ci dans les entreprises de haute technologie peut atteindre 9 heures six jours sur sept… la Chine comme les États-Unis appliquent la théorie de la destruction créatrice. Entre 2000 et 2020, des millions d’emplois ont été supprimés dans les deux pays remplacés par des nouveaux au sein des secteurs de pointe ou dans les services domestiques. En Chine, les entreprises publiques d’État ont licencié au début des années 2000 plus de 8 millions de salariés. La Chine, comme les États-Unis, semble avoir mené une bataille économique à distance mais dont les effets commencent à être durement ressentis par les populations.
Aux États-Unis, que ce soit à travers le vote en faveur de Donald Trump ou celui en faveur de Joe Biden, les électeurs s’inquiètent du déclin national, ainsi que des bas salaires et des monopoles (environ un quart de l’indice S&P 500 serait susceptible de mériter un examen antitrust). Des demandes de revalorisation des salaires se font jour.
La nouvelle ère des monopoles et oligopoles
En Chine, le président Xi Jinping considère les grandes entreprises privées comme une menace pour le pouvoir et la stabilité sociale du Parti communiste. Les autorités tentent de reprendre le contrôle de ces entreprises dont celle de Jack Ma, Alibaba. L’ingérence des autorités chinoises est un sujet d’inquiétude pour les États-Unis comme pour l’Europe.
L’économie mondialisée de ces vingt dernières années cherche sa direction. Les moyens technologiques offrent aux entreprises et aux États qui les utilisent des moyens de surveillance, d’orientation, de domination sans précédent. L’Europe qui a privilégié la création d’un espace économique régulé est démunie face à cette mutation. Elle dépend des multinationales américaines ou chinoises. La tentation serait d’instituer des barrières protectionnistes comme le font l’Inde ou le Brésil, au risque d’être marginalisée.
Le défi des énergies
L’autre solution serait d’accélérer le processus d’intégration et l’engagement de programmes européens sur la haute technologie comme cela vient d’être réalisé, non sans difficulté, pour les batteries. Les États européens ont réussi dans le passé à s’unir avec succès dans l’aéronautique civil et dans le spatial. Le futur projet d’avion militaire européen, traduit cette nouvelle volonté de s’unir, étant rappelé que, dans les années 1980, les États membres ont développé trois avions concurrents : Le Rafale français, l’Eurofighter d’Airbus et le Saab Gripen suédois.
Que ce soit dans les énergies, hydrogène, nucléaire, solaire, dans les moyens de transports (flotte autonome de véhicules, avions et trains à grande vitesse, etc.) ou dans les biotechnologies, l’Europe dispose des moyens pour redevenir attractive. Elle dispose d’un nombre important d’universités, de centres de recherche et d’entreprises reconnues.
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