La Commission européenne a annoncé, mercredi (22 décembre), son intention d’utiliser les recettes du marché du carbone de l’UE, le futur mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE ainsi que les taxes sur les multinationales pour rembourser les 750 milliards d’euros empruntés dans le cadre du fonds européen pour la relance mis en place suite à la crise du coronavirus.
L’exécutif européen a expliqué que ces trois nouvelles « ressources propres », qui devraient générer 17 milliards d’euros par an entre 2026 et 2030, permettront d’augmenter le budget de l’UE sans que les États membres aient à mettre la main à la poche pour dégager des fonds supplémentaires.
Elles contribueront à rembourser les sommes empruntées pour le fonds pour la relance de 750 milliards d’euros, appelé « Next Generation EU », et fourniront environ 8 milliards d’euros pour le fonds social pour le climat proposé par l’Union.
Les nouvelles ressources « seront non seulement une source de revenu régulier pour le remboursement du fonds “Next Generation EU”, mais elles permettront également d’aligner les recettes du budget de l’UE sur les objectifs politiques communautaires, à savoir la transition écologique et numérique », a indiqué Johannes Hahn, commissaire au Budget et à l’Administration, lors de la présentation du plan.
Il a ajouté qu’il existait un lien étroit entre ces nouvelles ressources propres et les ambitions climatiques de l’UE, notamment parce qu’elles contribueront au fonds social pour le climat qui a été proposé récemment. L’objectif de ce dernier est de protéger les ménages les plus défavorisés des conséquences négatives de la transition énergétique et d’investir dans les technologies écologiques.
Les recettes de la tarification du carbone et de l’impôt sur les sociétés
Des trois nouvelles sources de revenus, c’est le système communautaire d’échange de quotas d’émissions (SEQE), via lequel des permis autorisant certaines industries à émettre du dioxyde de carbone sont mis aux enchères, qui rapportera le plus au budget de l’UE.
Aujourd’hui, la plupart de ces recettes reviennent aux budgets nationaux, mais l’exécutif européen souhaite désormais que 25 % soient versés dans les caisses de l’UE. Selon la Commisson, cela représenterait environ de 9 milliards d’euros par an entre 2023 et 2030 (selon les prix de 2018).
La deuxième source de revenus liée au climat que la Commission souhaiterait faire entrer dans le budget de l’UE est le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières de l’UE (MACF), qui fixera un prix pour certains produits à forte intensité de carbone entrant dans l’UE.
Une fois que ce mécanisme sera entré en vigueur, la Commission européenne prélèvera 75 % de ses recettes, qui devraient s’élever à environ 1 milliard d’euros par an entre 2026 et 2030.
Parallèlement, la Commission a proposé que 15 % des recettes supplémentaires provenant de l’impôt sur les sociétés que les États membres de l’UE percevront suite à l’accord fiscal conclu en octobre par l’OCDE viennent également alimenter les ressources propres de l’UE. Cela permettra de dégager entre 2,5 et 4 milliards d’euros par an, sous réserve que l’accord soit finalisé.
Certains craignent que le fait de faire du MACF une ressource propre le rende incompatible avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), mais M. Hahn affirme que les juristes de la Commission estiment que ce ne sera pas le cas.
Tant que les secteurs couverts par la taxe sont progressivement privés de leurs exonérations fiscales dans le cadre du système d’échange de quotas d’émission au même rythme qu’ils sont intégrés dans le MACF, il n’y aurait pas de problème, a-t-il expliqué.
L’OMC rejoint M. Hahn sur cette idée. En effet, plus tôt cette année, son directeur général adjoint, Alan Wolff, a déclaré que, « si ces droits sont reversés dans les recettes générales pour soutenir l’UE dans son ensemble, il n’y a évidemment aucun problème ».
Il a toutefois mis en garde contre l’utilisation de cet argent pour subventionner les industries couvertes par le MACF, affirmant que cela « changerait le rapport de concurrence » et créerait « un certain nombre de conflits » à l’OMC.
Acceptez ou remboursez vous-mêmes
La proposition de la Commission doit maintenant être formellement approuvée par les États membres de l’UE ainsi que par le Parlement européen.
La proposition de nouvelles ressources propres nécessitera l’unanimité parmi les États membres de l’UE, tandis que le Parlement européen sera consulté sur la proposition.
La Pologne a déjà prévenu qu’elle opposerait son « veto sur toutes les questions qui requièrent l’unanimité au sein de l’UE » tant que la Commission européenne ne débloquerait pas les paiements à Varsovie qui ne sont pas accordés en raison d’un différend sur l’indépendance des juges dans le pays.
Selon la feuille de route juridiquement contraignante pour les nouvelles ressources propres, les États membres de l’UE doivent voter sur la proposition de la Commission d’ici juillet 2022.
Une modification ciblée du budget septennal de l’UE pour la période 2021-2027, adopté il y a seulement un an, serait également nécessaire afin de permettre à la Commission de rembourser les fonds empruntés par l’UE et d’autoriser des dépenses supplémentaires pour le fonds social pour le climat.
Cette modification nécessitera également l’unanimité des États membres de l’UE après avoir obtenu le feu vert du Parlement européen.
Cependant, certains États membres sont sceptiques quant à la réouverture du budget convenu pour les sept prochaines années, le cadre financier pluriannuel (CFP). Lors d’une réunion des ministres de l’Environnement, plusieurs États membres fiscalement conservateurs se sont prononcés contre cette idée.
« Nous sommes préoccupés par la dimension [du fonds social pour le climat] et par la réouverture de l’accord sur le CFP », a ainsi déclaré le ministre finlandais Terhi Lehtonen.
Une source diplomatique finlandaise a confié à EURACTIV que l’accord sur le budget septennal de l’UE était délicat et savamment équilibré, et que la Finlande préférerait ne pas rouvrir ce dossier.
Toutefois, la Commission européenne a un argument de poids pour inciter les États membres à signer l’accord : s’ils ne le font pas, ils devront rembourser eux-mêmes cette somme.
Selon M. Hahn, les États membres savaient qu’ils devraient se mettre d’accord sur de nouvelles ressources propres pour rembourser les sommes empruntées pour la relance et « s’ils ne le font pas, les États membres devront bien entendu financer ce remboursement par leurs contributions nationales ».
Les deux parlementaires qui ont rédigé la position du Parlement européen sur la proposition — José Manuel Fernandes (PPE), et Valérie Hayer (Renew Europe) — partagent eux aussi ce point de vue.
« Les risques sont clairs : il y aura des contributions nationales beaucoup plus élevées au budget de l’UE ou bien des coupes dans le cadre financier pluriannuel à moyen terme », ont-ils averti. « Cela n’est clairement pas dans l’intérêt des citoyens », ont-ils ajouté.
Des sommes insuffisantes
Si M. Fernandes et Mme Hayer ont salué l’annonce de la Commission, ils ont critiqué le fait que les ressources propres proposées ne couvriront que deux tiers de la somme nécessaire.
« Il est regrettable que nous n’atteignions pas encore 15 milliards d’euros par an pour le remboursement des dettes contractées dans le cadre du plan pour la relance “NextGenerationEU”. En tant que co-rapporteurs pour les ressources propres, nous demandons qu’une part plus importante de ces sources de revenus soit définie comme des ressources propres revenant au budget de l’UE », ont-ils déclaré.
Pour remédier à cette situation, la Commission européenne prévoit d’introduire de nouvelles ressources propres en 2023. Avec le temps, il faudra également trouver davantage de ressources propres pour remplacer les recettes liées à l’aspect climatique, car celles-ci sont susceptibles de diminuer à mesure que l’Europe réduit ses émissions de CO2.
« Idéalement, les recettes provenant de ces taxes liées au climat devraient diminuer car nous souhaitons la réduction des émissions de carbone », a déclaré M. Hahn.
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