Les économies émergentes sont, depuis plusieurs années, mises à dure épreuve. Les tentations protectionnistes des Occidentaux, la pandémie, les problèmes d’approvisionnement et maintenant la guerre en Ukraine menacent les fondamentaux des économies de ces pays qui ont connu un vif essor durant les décennies 1990-2010 grâce à la mondialisation et à l’éclatement des chaines de valeur.
Pour la première fois depuis les années 1980, ces trois dernières années, pour plus de 50 % de la population des pays émergents, la croissance de leurs revenus a été inférieure à celle des États-Unis. Le rattrapage qui s’était produit depuis quarante ans, s’est brutalement interrompu. Selon le FMI, au mieux, la croissance des pays émergents sera de 3,8 % cette année et de 4,4 % en 2023, en recul par rapport à la moyenne de la décennie précédente (5 %). La crainte d’une décennie de stagnation n’est ainsi pas sans fondement.
Un risque financier
Les pays émergents sont confrontés à une série de défis financiers, économiques et sociaux sur fond de tensions géopolitiques. La première menace pour les pays émergents est d’ordre financier. Au début des années 1980, la Réserve fédérale avait considérablement augmenté ses taux d’intérêt alors qu’elle cherchait à maîtriser l’inflation. Pour les économies émergentes et en développement qui avaient emprunté des sommes importantes au cours des années précédentes, le resserrement des conditions financières et le raffermissement du dollar ont entraîné de graves crises. Ces pays se retrouvent quarante ans plus tard dans une situation comparable. La dette publique et privée dans le monde émergent a augmenté régulièrement en pourcentage du PIB au cours des années 2010, et a explosé pendant la pandémie. Les ratios d’endettement public dans les économies à revenu intermédiaire atteignent des niveaux records. De nombreux pays pauvres se situent sur la ligne de crête avec un risque systémique comme dans les années 1990.
La moitié des États en développement menacés par la cessation de paiement
Face à cette menace, le FMI et la Banque mondiale étudient des plans de rééchelonnement ou d’abandons de dettes qui pourraient être soumis, notamment, au Club de Paris qui est un groupe informel de créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement de pays endettés.
Sur les quelques 70 pays à faibles revenus, plus de 10 %, dont le Tchad et la Somalie, sont au bord de la banqueroute. Selon la Banque mondiale, 50 % des États en développement dont l’Éthiopie et le Laos, sont également menacés à court ou moyen terme par un risque élevé de cessation de paiement. En 2010, seulement un tiers des pays pauvres étaient surendettés ou risquaient de l’être. La part des émetteurs dont les obligations jugées à risques a plus que doublé en un an, pour atteindre un peu plus d’un cinquième, selon le FMI.
Tchad, Somalie, Ethiopie, Laos, Egypte, Ghana, Ukraine …
Parmi les États hautement surveillés figurent malheureusement l’Ukraine mais aussi l’Égypte et le Ghana. Les pays émergents ou en développement sont touchés par les évènements en cours en Ukraine. Le renchérissement du prix des produits alimentaires, des matières premières et de l’énergie fragilise les équilibres économiques et financiers. Le blé et le pétrole ont ainsi enregistré une augmentation de leurs cours d’environ 50% en un an.
Pour les pays importateurs, les coûts budgétaires liés aux subventions alimentaires et énergétiques progressent rapidement quand les réserves de devises s’épuisent. Ils doivent emprunter des devises à coûts croissants. La hausse des prix conduit, en effet, les banques centrales des pays de l’OCDE à durcir leur politique monétaire.
La hausse du dollar accroit les coûts de financement
En un an, les taux directeurs de la FED devraient augmenter de près de trois points, ce qui constituerait la plus forte hausse de taux en une seule année depuis le début des années 1990. Avec la fin des rachats d’obligations et la contraction du bilan de la Fed, le resserrement de la politique monétaire, en 2022, pourrait être le plus spectaculaire depuis les années 1980 tout en restant en-deçà, pour un certain nombre d’économistes, de ce qu’il faudrait faire pour juguler la hausse des prix.
L’augmentation des taux aux États-Unis conduit les capitaux à se diriger vers ce pays amenant une appréciation du dollar. Par rapport aux autres devises, il a augmenté de plus de 10 % sur un an. Cette appréciation accroît les coûts de financement pour les États émergents. L’achat de dollars devient de plus en plus compliqué. Le Sri Lanka, le 12 avril dernier, a fait défaut sur sa dette publique en devise forte.
Le coût croissant de la dette aura de nombreuses conséquences dont une réduction des dépenses en faveur de l’éducation, des infrastructures ou de la transition énergétique. Les banques locales ayant financé les États pourraient être en difficulté pour prêter aux acteurs économiques privés. La dette publique du pays d’origine représente désormais environ 17 % des actifs bancaires dans les économies émergentes, contre 13 % au début des années 2010 et bien au-dessus de la moyenne de 7,5 % au sein des pays de l’OCDE.
Menaces sur le commerce international
Ces dernières décennies, le succès des pays émergents a reposé sur leur intégration dans le commerce international qui a connu une rapide expansion durant les années 1990/2010. Les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est ont bénéficié de la mondialisation et de l’éclatement des chaînes de valeur pour réaliser un rattrapage économique sans précédent.
Les premières victimes de la fragmentation du monde sont les pays pauvres
La Chine avec un taux de croissance à deux chiffres a permis à de nombreux pays émergents et en développement de développer leurs exportations. Le ralentissement de l’économie chinoise dont le taux de croissance potentiel pourrait se situer désormais autour de 5 % ainsi que la montée du protectionnisme remettent en cause ce mode de développement prioritairement axé sur les échanges.
Les premières victimes de la fragmentation du monde sont les pays pauvres. La fermeture des pays occidentaux et le choix de la Chine de privilégier l’autosuffisance réduisent leurs possibilités d’acquisition de devises fortes nécessaires pour financer leurs importations d’énergie et de produits agricoles ainsi que celles de biens d’équipement.
Des tensions sociales pourraient apparaître à l’automne dans plusieurs pays pauvres en cas de poursuite du renchérissement du prix des produits alimentaires et face à d’éventuelles pénuries.
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