Chacun son drapeau. Chacun se voudrait plus enveloppé de l’oriflamme que son voisin. La confusion entre patriotisme et nationalisme s’installe. Le drapeau de l’Europe tendu sous l’Arc de Triomphe provoqua d’amères critiques, comme si, simple hommage à cette Union Européenne que la France préside, le drapeau national avait été supplanté. Ceux qui se disent les plus nationalistes critiquent pourtant ce qui caractérise la France depuis plusieurs siècles : les droits de l’Homme, l’universalisme, l’humanisme.
Le patriotisme n’est pas une idéologie, mais un sentiment, universel
Faut-il en vouloir au drapeau? Au contraire, rappeler que le tricolore unit trois couleurs de combat dans la fraternité.
Qu’est-ce que ce nationalisme, qu’il ne faut pas confondre avec le patriotisme ? Le patriotisme est l’amour que l’on porte à son pays, la gratitude vis-à-vis de ce qu’il a donné, à commencer par sa langue, maternelle, outil d’éveil et de pensée. Patrie est le pays des parents, patres. Le sentiment qu’elle inspire est du même ordre. Grande ou petite, glorieuse ou vaincue, chacun a un devoir vis-à-vis d’elle, respect filial. Le patriotisme n’est pas une idéologie, mais un sentiment, universel. Le nationalisme est une idéologie, assez récente, qui a le plus souvent pour effet de dresser les pays les uns contre les autres, réécrivant l’histoire pour nier les diversités et subtilités.
Le nationalisme est une idéologie, assez récente
La plus commune de cette réécriture est l’idée selon laquelle « les Nations feraient l’histoire ». Un atlas historique montre des centres de pouvoir qui se modifient : cités, royaumes, empires, Etats, qui ne coïncident jamais avec ce que l’on appelle les Nations. Un quart des Russes d’aujourd’hui ne sont pas « ethniquement » russes. Tous les Chinois ne sont pas Han, les Indiens sont un melting-pot plus divers que les États-Unis. Le Nigeria comme l’Ethiopie reconnaissent plusieurs peuples, nations, langues, etc.
L’Europe, qui a cru obéir au principe des nationalités, a inventé les Nations pour habiller les Etats d’autant de prestige que les royaumes anciens. La Nation est le nouveau nom du souverain, le manteau sacral des peuples.
Le fameux « droit des peuples à l’autodétermination », impossible d’application, montre plus d’exceptions que de conformités, tout simplement parce qu’il est difficile de définir la Nation, comme il difficile de définir un Peuple.
On confond peuple culturel et peuple juridique
Un mot n’a pas qu’un sens ni qu’une définition. Du point de vue politique, le Peuple, c’est l’assemblée des citoyens. Sans citoyen, pas de Cité. Pas de « Nation » sans nationalité, sans communauté nationale. La langue abuse., polis, le peuple des citoyens, ramenant la nationalité à une identité reconstruite, en fait, factice. Si la France est belle, ce n’est pas parce qu’elle a gardé son identité gauloise. Elle a fondu, par l’autorité des rois, par les principe de la révolution (ceux de la société française) des « peuples » aussi divers que les basques, auvergnats, picards, catalans, niçois, savoyards, etc. Elle a accueilli toutes les étrangetés du monde qui l’environnait, du christianisme oriental au capitalisme écossais. L’exception française serait celle là, si elle ne se reproduisait tant de fois ailleurs. Le monde est construit d’exceptions plus que de normes.
Les Néerlandais sont ethniquement allemands, comme les Alsaciens, Suisses, Autrichiens et bien d’autres. Qu’est ce que la Nation suisse ? Que n’unifie-t-on la Grande Berbèrie, de l’antique Volubilis à Cyrène, villes grecques et romaines peuplés d’Amazighs ou Garamantes? Chaque tribu libyenne, irakienne, ne feraient-elles pas des Etats ? Les Karens, en Birmanie, sont-ils un peuple ou plusieurs? Bien des peuples ont vécu, vivent, voire aimeraient vivre sans Etat.
Le Conseil Constitutionnel s’opposa à ce que le peuple corse entra dans la Constitution: il n’y a de peuple que le peuple français. Imparable, si l’on regarde en droit : la Communauté nationale est indivisible, il ne peut y avoir d’intermédiaire, de sous groupe, entre les citoyens et la nation, ce qui fonde l’égalité. Culturellement, on peut écrire l’histoire du peuple corse, comme celle du peuple breton ou alsacien. Mais de « Peuple », au sens politique du mot, il ne peut y en avoir que dans la communauté « nationale ».
On est toujours la minorité d’une majorité que l’on voit dominatrice
Les Américains, des sang-mêlés, ne connaissent qu’un Peuple, « We, the People », la nouvelle nation américaine. Les Comanches faisaient d’ailleurs pareil, ils intégraient tout le monde. Les Espagnols reconnaissent les « peuples d’Espagne », qui le leur font savoir. Que fera la Catalogne quand la minorité « castillane » demandera des droits ? On est toujours la minorité d’une majorité que l’on voit dominatrice.
L’invasion des Peuples barbares, qui hante l’imagination européenne jusqu’à la thèse du « grand remplacement », est aussi une reconstruction. Les peuples se reconstituaient et changeaient de noms au fur et à mesure des victoires, des alliances, des rois. Chattes, Marcomans, Cimbres, Teutons, sont devenus francs, burgondes, saxons, lombards, et même un brin avars, alimentant même, en bons Goths, Huns ou Alains, un peu à la façon des Turcs qui se découvrirent Mongols à moins que ce ne soit l’inverse.
L’Histoire se fait autour de centres de pouvoir
Les Nations, peuples nomades, errants ou entourés de remparts sont des constructions. L’histoire se fait autour de centres de pouvoir, Venise, Prusse, Incas, Moscovites, Romains, Sumer, Hans, Mandchous, ne sont pas des Nations, mais des Etats qui agrègent, par la force ou le prestige. Hutus et Tutsis sont un même peuple, tandis que la nation Zoulou n’avait rien de national. Les Peulhs sont un peuple, culturellement, en plusieurs Etats, comme les Dogons, ou les Kurdes.
La langue ne fait pas la Nation, encore moins l’Etat
On dira qu’il y a la langue : jusqu’à la guerre de 14, la moitié des Français ne parlaient pas français. Serbes, Croates et Bosniaques s’entretuent dans la même langue. A Miami parle-t-on espagnol ou anglais ? Quelle est la langue commune des Indiens, l’anglais ? Le Moyen-Orient, l’Afrique, montrent à quel point la langue ne fait pas la Nation, encore moins l’Etat. Elle fait la pensée, par nature multiple, mouvante, complexe, ambigüe, incertaine, comme la langue elle-même.
Que les Nations ne fassent pas l’Histoire a trois conséquences majeures. La première, interne, que le civisme l’emporte de loin sur le nationalisme. Les Nationalistes jugent souvent leur pays indigne de la haute idée qu’ils se font de lui et d’eux mêmes. La recherche de l’identité est le signe d’un mal-être, d’un malaise, qui ne se guérit que par la découverte de la complexité. En fait, ce n’est pas la Nation qui est malade, c’est la structure qui l’exprime : en ce moment, l’Etat.
La deuxième conséquence est que les « Nations » se constituent en Etats non par l’exaltation de leur propre « moi », l’affirmation de leur « indépendance nationale », mais par l’utilité qu’elles ont vis-à-vis des autres Etats. Chaque Etat n’existe, durablement, que parce que ses voisins, proches et lointains, finissent par considérer son existence plus intéressante que sa disparition. Si l’on raisonne ainsi, on comprend mieux l’existence de certains Etats, (Andorre, Malte, Luxembourg, Singapour, Dubaï, Koweït), le sort de la Catalogne et de l’Ecosse, de la Palestine ou de la Transnistrie. Il en est pour les petits comme pour les plus gros. Les gros éclatent plus souvent que les petits ne se font avaler.
La troisième est que, puisque les Nations n’ont pas fait l’Histoire (même au temps des nationalismes de 1850 à 1950, siècles de guerres « nationales » aux nationalités si mêlés), elles ne le feront pas non plus à l’avenir. Les guerres actuelles ne sont en rien nationales, celles de demain ne le seront pas non plus.
Ce sont les puissances, fortes ou malades, qui font les guerres ; pas les peuples, encore moins les Nations. La Crimée est- elle russe, ukrainienne, ou faut-il rapatrier les Tatars ? L’Ukraine est-elle russe, polonaise, petite-russe, cosaque, ou ukrainienne? Les réponses sont plus à Moscou et Washington qu’en Ukraine.
Ce qui manque le plus, c’est le citoyen. Lui seul est patriote.
Si l’histoire politique est faite par les puissances, -les centres de pouvoir- alors les revendications nationales sont seulement l’expression, ou les manipulations, d’appétits de pouvoir.
Ce qui manque le plus, c’est le citoyen. Lui seul est patriote, parce qu’il défend non la nation, mais sa liberté. C’est-à-dire sa dignité. Il ne cherche pas la conquête, mais la sécurité.
Un drapeau n’est pas un marteau, ni une enclume. C’est pourquoi, léger, il flotte.
S’il faut défendre les minorités nationales, ce qui se justifie tout simplement par la défense de la liberté, il ne faut jamais oublier la plus petite des minorités : chacun d’entre nous. L’individu a mauvaise presse, pourtant, il est, pour toute construction politique, la pierre d’angle. Ou bien il est écrasé par celle que l’on désigne à sa place.
Nation, Peuple, Roi, Révolution, idéal, souverain bien, que le drapeau jamais n’écrase celui qui le porte. Un drapeau n’est pas un marteau, ni une enclume. C’est pourquoi, léger, il flotte. Quelles que soient ses couleurs, il appelle au ralliement, pour défendre la liberté. Illusion peut-être, mais aucune autre cause ne rallie autant qu’elle. Même à travers la Nation, c’est elle que l’on cherche. D’échecs en victoires, les batailles de libération écrivent l’Histoire.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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