Les Français et l’Amérique du Sud

Les Français et l’Amérique du Sud

Alors qu’Emmanuel Macron est en train de conclure sa tournée en Amérique du Sud à l’occasion du sommet de G20 du 18 et 19 novembre organisé au brésil, nous, on se penche sur les liens entre les Français et ce continent avant de faire un zoom sur les communautés d’expatriés français installées dans ces pays.

Le seul pays européen présent en Amérique du Sud

Si le continent a été marqué par l’Espagne et le Portugal, fruit d’un partage réalisé entre les deux nations par la papauté le 7 juin 1494 connu sous le nom de Traité de Tordesillas, aujourd’hui, la France est le seul État européen à y détenir un territoire. Pourtant, celui-ci aurait dû être britannique. Après 1763 et le traité de Paris actant la perte des colonies françaises aux Amériques, la Guyane est demeurée française à la faveur d’une violente tempête qui avait empêché les Britanniques de s’en emparer. Elle resta donc sur la liste des colonies françaises pour intégrer pleinement la république en 1946, une récompense pour s’être rangée derrière Charles de Gaulle, dès le 18 juin 1940. 

Avec plus de 83 000km, la Guyane est, désormais, le plus grand département français. Car ces terres nichées entre le Surinam et le Brésil sont pleinement intégrées à la République une et indivisible comme tout département métropolitain, pour autant, le département ne fait pas partie de l’espace Schengen. Mais si la Guyane est d’une grande superficie pour la France, elle reste toute petite dans ce continent de 17 840 000 km2, soit 11,9 % de la surface des terres émergées de la Terre. Peuplé depuis à peine 12 000 ans (contre -500/400 000 ans pour l’Europe), le continent a vu émerger des civilisations comme les Mayas ou les Incas mais elles furent balayées par l’arrivée des colons européens avec leur cohorte de maladies.

Carte de la Guyane française ©AFP
Carte de la Guyane française ©AFP

En quelques dizaines d’années, la colonisation aurait ainsi provoqué la disparition de 90% de la population amérindienne et près de 10% de la population mondiale de l’époque. Aujourd’hui, leurs descendants ne sont, selon les estimations, que 35 millions sur 442 millions d’habitants. Ils sont particulièrement présents en Bolivie, où ils représentent plus de 50% de la population mais il existe de grandes communautés en Équateur ou Guatemala comme au Mexique et au Pérou. Ainsi, Espagnols et Portugais ont pu s’emparer de vastes territoires dans lesquels ils ont installé les fameuses « haciendas » exploités par des esclaves, déportés d’Afrique.

Des indépendances précoces

Une colonisation précoce, quand on compare aux empires britanniques et français du XIXème, qui déboucha sur des révoltes précoces. Ainsi, les guerres d’indépendance hispano-américaines furent nombreuses dès le début du XIXème afin de mettre fin à la domination espagnole en Amérique. Nourries par l’Esprit des Lumières qui, quelques années auparavant, a donné naissance aux USA et à la France républicaine, les populations se sont battues pour leur indépendance politique. Ainsi de 1808 à 1833, la grande majorité des États, qu’on connaît aujourd’hui, se sont constitués, aidés, par l’invasion française de l’Espagne en 1807 lors des guerres napoléoniennes en Europe.

Puis tout au long du XIXème siècle, les frontières entre les pays étant incertaines, ces désordres intérieurs ont généré des conflits. La guerre du Paraguay (1864-1870) ou celle du Pacifique (1879-1883) en sont des illustrations. Dans ce panorama de militarisme et d’instabilité, certains pays comme le Brésil font exception. L’empire esclavagiste issu de l’indépendance s’y maintient jusqu’en 1889, date où l’empereur Pierre II a dû fuir le pays pour se réfugier à Paris où il y mourra le 5 décembre 1891. Pour l’anecdote, la IIIe République lui fit des obsèques solennelles.

Au XXème siècle, c’est l’influence américaine qui marqua le continent, pour le meilleur avant 1945 où les USA ont financé des mouvements promouvant la démocratie et la libre entreprise, mais aussi pour le pire avec les dictatures.  

Départ pour la Guyane dans le port de Saint-Martin de Ré en 1898 ©INA
Départ pour la Guyane dans le port de Saint-Martin de Ré en 1898 ©INA

Si dans quelques pays, des Présidents tentent de rétablir les anciennes habitudes, la grande majorité du continent vit aujourd’hui dans des régimes démocratiques. Ainsi, le renouvellement substantiel des élites politiques est désormais une réalité, qui a redonné le goût de la politique à des couches de la population auparavant marginalisées. Il a également permis à des femmes, des dirigeants syndicaux, des métis, des représentants des peuples autochtones et autres représentants de catégories de population jadis exclues de la sphère politique, de porter au sommet de l’État les revendications de populations ayant longtemps souffert de leur marginalisation.

La France, sa langue, son réseau diplomatique

Pour autant, l’Amérique du Sud possède une longue histoire francophone et francophile remontant aux origines de la colonisation. À cette époque, la France jouit d’une influence très considérable en Europe et le français tend à s’imposer comme langue internationale, les élites espagnoles et portugaises se démarqueront donc par leur francophilie.

Ces forts liens avec la France et la sensibilité francophile permettent au français de demeurer la première langue étrangère apprise dans les pays d’Amérique du Sud jusqu’au milieu du 20e siècle, lorsque l’influence de la France s’estompe au profit des États-Unis. La crise économique au début des années 2000, qui affecte plusieurs pays d’Amérique du Sud, n’aide en rien l’enseignement du français. Mais depuis les années 2010, le discours encourageant le plurilinguisme gagne en popularité. L’accès grandissant à l’éducation, l’amélioration du taux d’alphabétisation et l’allongement de la durée des études favorisent l’enseignement du français. D’autres facteurs contribuent également au retour en force du français en Amérique du Sud et en Amérique centrale : le rejet d’une homogénéisation culturelle axée sur la culture des États-Unis, le développement du tourisme, l’engagement des associations locales pour la promotion de la francophonie et l’enseignement du français ainsi que la démocratisation de l’enseignement des langues. C’est ainsi, qu’en Argentine le nombre d’apprenants de français dans le système national d’éducation passe de 80 000 en 2008 à 120 000 en 2012, et dans les Alliances françaises argentines le nombre passe de 10 000 en 2000 à plus de 14 000 en 2018.

Les alliances françaises, les têtes de pont

La région latino-américaine compte le plus ancien et le plus important réseau d’Alliances françaises : 250 Alliances enseignent le français à 140 000 élèves. Ce réseau culturel est renforcé par la présence de 6 Instituts français en Amérique latine et Caraïbes, ainsi que deux Maisons de France. Les 36 établissements scolaires français, présents dans la quasi-totalité des pays de la zone, sont partout reconnus comme des établissements d’excellence. Désormais totalement ouverts aux nationaux, ce sont de véritables viviers du biculturalisme.

La dernière Alliance Française installée en Amérique du Sud, tout au sud de l'Argentine / Alliance Française de la Terre de Feu ©Alliance Française
La dernière Alliance Française installée en Amérique du Sud, tout au sud de l’Argentine / Alliance Française de la Terre de Feu ©Alliance Française

Rapidement, en s’appuyant sur ce réseau culturel, les diplomates ont créé des liens puissants avec ces pays. Ainsi après avoir été unies par un même combat pour la liberté au XIXe siècle, la France et l’Amérique latine ont vu leurs liens se resserrer au siècle suivant, notamment à travers un important essor des échanges intellectuels, culturels et artistiques. La France bénéficie depuis longtemps auprès des élites latino-américaines d’un indéniable attrait, qui trouve son pendant dans l’immense curiosité des intellectuels, savants, scientifiques des XVIIIème et XIXème siècles qui ont sillonné l’Amérique latine et essaimé écoles, facultés et instituts qui portent encore leur nom.

Aujourd’hui, l’État français est présent à travers 24 ambassades bilatérales et une représentation permanente auprès de l’Organisation des États Américains (OEA). Elles concourent à nourrir les relations politiques avec les États d’Amérique latine et des Caraïbes et animent un réseau consulaire qui accompagne les quelque 100 000 Français expatriés dans la région.

Les Français du Mexique à l’Argentine

Si la France a eu rapidement des possessions aux Amériques, à la différence des Ibériques ou des Britanniques, ces avant-postes furent rarement des colonies de peuplement. Une erreur qui fut sanctionnée par la guerre du Canada, où les troupes britanniques, déjà plus nombreuses que celles françaises, ont pu compter sur un « arrière-front » plus dense. Alors que les Français devaient le plus souvent attendre le ravitaillement de la métropole, les Britanniques ont pu, eux, s’appuyer, sur la production de la population émigrée.

Plus au sud, la France en Guyane fit la même erreur, au point qu’afin de renouveler la main-d’œuvre, le prince Louis Napoléon (futur Napoléon III) décida, en 1852, «de faire passer un certain nombre de condamnés » en Guyane. Ainsi dans le but de peupler la Guyane, il fut décidé que les bagnards, tant les hommes que les femmes, devaient rester sur le territoire pour une durée égale au nombre d’années d’emprisonnement effectuées. Dans l’intention des dirigeants, la colonie pénitentiaire permettait non seulement de soulager les coûteuses prisons françaises, mais également de contribuer au développement économique de la région puisque, à la fin de leur peine, les bagnards devaient rester en Guyane.

Maison France -Brésil XIXème siècle - Rio de Janeiro ©INA
Maison France – Brésil XIXème siècle – Rio de Janeiro ©INA

Mais l’émigration française sur le continent ne fut pas que contrainte. En effet, à partir de la seconde moitié du 19e siècle et ce jusqu’à la première moitié du 20e siècle, plus de 100 000 Français ont immigré au Brésil, 261 000 en Argentine, 25 000 en Uruguay et 25 000 au Chili. Ces immigrants francophones ont influencé durablement la culture et l’identité sud-américaine. Aujourd’hui leurs descendants se comptent par millions et continuent de porter cet héritage francophone. Soulignons qu’en 2006, plus de 6 millions d’Argentins (17 % de la population) ont déclaré leur ascendance française lors du recensement.

Un continent qui attire

Depuis le début des années 2000, et la chute des dictatures, le continent attire de nombreux expatriés de tous les pays. 20 ans après, ils sont entre 100 et 200 000 Français à résider dans un des pays de l’Amérique latine.

Car le continent a des avantages. L’Amérique du Sud offre diverses opportunités professionnelles, notamment dans les secteurs de l’énergie, de l’agriculture, du tourisme, de l’industrie minière, des technologies de l’information et de la finance. Certains pays de la région connaissent une croissance économique solide, ce qui peut offrir aux expatriés français des perspectives de carrière intéressantes.

Aussi, dans de nombreux pays d’Amérique du Sud, le coût de la vie est inférieur à celui de la France. Les dépenses liées au logement, aux transports, à l’alimentation et aux services peuvent être plus abordables, ce qui peut permettre aux expatriés français de vivre confortablement tout en réalisant des économies.

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