Dans l’espace germanophone européen, et en particulier chez les Français d’Allemagne, l’engagement contre la réforme des retraites en France voulue par Emmanuel Macron a été important. Ils ont en plus bénéficié du soutien des syndicats locaux. Nous nous interrogeons, donc, sur les raisons d’une telle mobilisation et sommes allés à la rencontre de nos compatriotes.
Des retraités pauvres en Allemagne ?
Le système de retraites allemand est souvent cité en exemple par les personnes favorables à la réforme des retraites du gouvernement français. Exemple d’un pays où l’âge légal de départ à la retraite est de 65 ans et sera progressivement repoussé à 67 ans d’ici la fin de la décennie. Mais l’Allemagne est loin d’être un modèle à suivre aux yeux de Manuel Bompard, député La France insoumise des Bouches-du-Rhône. Et ses chiffres sont les bons.
« En Allemagne, l’âge de départ à la retraite est plus important qu’en France, mais le taux de retraités pauvres est deux fois plus important qu’en France. Ce n’est pas forcément un modèle qu’on a envie de décliner ici »
Manuel Bompard, député La France insoumise des Bouches-du-Rhône – mardi 21 mars sur France Info
Eurostat, la direction générale de la Commission européenne chargée de l’information statistique, publie chaque année le « taux de risque de pauvreté des retraités en Europe », couramment raccourci à « taux de pauvreté des retraités ». Il montre la proportion de retraités qui vivent en dessous du seuil de pauvreté, c’est-à-dire qu’ils touchent chaque année moins de 60% du revenu médian dans leur pays, après le versement de leurs aides éventuelles.
Selon les derniers chiffres, qui datent de 2021, 19,4% des Allemands de 65 ans et plus vivent sous le seuil de pauvreté, soit 3,3 millions de personnes, contre 10,9 % des Français de la même tranche d’âge, soit 1,5 million de personnes. Il y a donc bien environ deux fois plus de retraités pauvres outre-Rhin. Même si ces chiffres ne prennent pas en compte tous les retraités des deux pays. En France, l’âge légal de départ est actuellement de 62 ans – la réforme des retraites veut le repousser à 64 ans – et certains peuvent partir à la retraite encore avant. En Allemagne, il est possible de partir dès 63 ans à condition d’avoir versé des cotisations à la caisse de retraite pendant 35 ans.
Plusieurs raisons expliquent le taux de pauvreté des retraités allemands, à commencer par le niveau des pensions. Un retraité allemand ne touche que la moitié du salaire qu’il avait avant (52,9 %), alors qu’un retraité français en perçoit les trois quarts (74,4 %), selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE, 2021).
C’est aussi dû au fait que les pensions allemandes ne sont pas indexées sur l’inflation et au développement des mini-jobs ces 20 dernières années en Allemagne, des emplois à temps partiels avec de faibles salaires et très peu de cotisations sociales. Par ailleurs, l’Allemagne n’a créé un minimum vieillesse qu’en 2021, mais, comme en France, il est fixé sous le seuil de pauvreté.
Résultat : beaucoup de retraités allemands travaillent. 17,2 % des Allemands qui avaient entre 65 ans et 69 ans travaillaient en 2021, contre 8,6 % des Français du même âge (Eurostat 2021). La même année, 7,7% des Allemands qui avaient entre 70 ans et 74 ans travaillaient contre 2,6 % des Français du même âge. Et toujours 1,9 % des Allemands de plus de 75 ans continuaient de travailler contre 0,5 % des Français.
Pour autant, Frédéric Petit, député des Français d’Europe centrale et des Balkans, tient à mettre en exergue une différence majeure entre la réforme française et celle qu’ont connu les Allemands, en effet, à la différence du choix d’outre-Rhin, le gouvernement d’Elisabeth Borne a décidé de ne pas diminuer le montant des pensions, évitant de fait le phénomène de paupérisation, selon le camp présidentiel.
« La réforme des retraites en France est l’exact contraire de ce qui s’est passé en Allemagne après la réforme de 2007. Si une chose est sûre, c’est qu’en France, le gouvernement n’a pas souhaité toucher au montant des pensions. Il n’a pas souhaité non plus augmenter les cotisations. D’où le choix de reporter l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, contre 62 aujourd’hui, et l’obligation de cotiser 43 annuités.«
Frédéric Petit, député des Français d’Europe centrale et des Balkans (MODEM)
Berlin, Munich, Vienne, etc.
Depuis le début de la mobilisation en lien avec la réforme des retraites, les Lycées français de Berlin, Munich mais aussi Vienne en Autriche se sont particulièrement engagés pour s’opposer à la réforme des retraites en France. Comme nous l’indique l’intersyndicale FSU /FO du lycée français de Munich : « Malgré la distance géographique qui les sépare des cortèges métropolitains, les enseignants du lycée ont multiplié les journées de grève et les actions, afin de soutenir les manifestations en France.«
Le 7 mars dernier, à l’appel de l’intersyndicale FSU / FO du lycée français, une manifestation inédite s’était déroulée devant le Consulat Général de France à Munich, le 23 mars, ce sont les Français de Berlin qui défilaient accompagnés du principal syndicat allemand.
Que ce soit à Munich, Berlin ou Vienne, en plus des prises de paroles des représentants syndicaux FSU et FO, les conseillers des Français de l’étranger comme les responsables politiques de gauche ont joint leur énergie à celle des citoyens.
Ce 29 mars, ils ont donc logiquement remis le couvert et à Munich, là aussi, un syndicat allemand est venu apporter son soutien.
« Afin de montrer clairement à l’exécutif qu’à l’étranger aussi, le mouvement ne s’arrête pas, malgré l’adoption de la loi. Fort du succès de la première manifestation, le syndicat allemand GEW a répondu à l’appel de l’intersyndicale FSU / FO et était officiellement représenté. «
L’intersyndicale FSU / FO du lycée français de Munich.
Du côté des alliés du président, le son de cloche est bien sûr bien différent. Comme nous l’a déclaré, Frédéric Petit, le parlementaire MODEM élu dans cette circonscription des Français de l’étranger : « Je crois qu’il est immoral que les enfants de mes petits-enfants paient pour notre confort d’aujourd’hui et je pense qu’il est dangereux de saper la confiance dans notre système de répartition. Or, dire que le système par répartition en France est à l’équilibre, c’est justement le condamner, car les générations vont peu à peu, par défiance, se tourner vers des solutions individuelles ».
Le retrait, seule option
L’intersyndicale est invitée à échanger avec Elisabeth Borne, a annoncé Laurent Berger, le leader de la CFDT, dans l’émission « Quotidien » sur TMC mardi dernier.
« On va parler des 64 ans. (…) Si on me dit ‘vous ne pouvez pas en parler, on partira' »
Laurent Berger, CFDT
Si l’entourage de la Première ministre assure que les syndicats pourront aborder « l’ensemble des sujets qu’ils souhaitent », le retrait de la proposition portant l’âge de retraite à 64 ans ne semble toujours pas à l’ordre du jour du gouvernement.
Pour Frédéric Petit, revenir sur l’âge de 64 ans, c’est mécaniquement toucher aux montants des pensions et donc ouvrir un marché aux assureurs spécialistes de la retraite par capitalisation.
« En Allemagne, il existe déjà, par ailleurs, un système de retraite par capitalisation très développé ; cela crée effectivement des inégalités entre ceux qui peuvent se permettre de capitaliser pour leurs vieux jours et ceux qui n’en ont pas les moyens. En France, et quoi qu’en disent nos opposants, nous cherchons à défendre le système par répartition, et même à le développer. C’est pour cela qu’il faut absolument anticiper les déséquilibre démographiques et les lisser sur le temps«
Frédéric Petit, député des Français d’Europe centrale et des Balkans (MODEM)
Pourtant parmi la base des syndicats, sans l’abandon de cet âge pivot, la mobilisation restera grande, que ce soit en France ou à l’étranger, comme nous le rappellent Michaël Faugeroux (responsable FSU à Munich) et Hélène Vollmer (responsable FO à Munich) : « Tant que cette loi demeurera, le lycée français de Munich restera farouchement mobilisé !«
Laisser un commentaire