Les fonctionnaires français en Belgique, qui ont choisi d’obtenir aussi la nationalité belge, subissent une double imposition. Une situation inédite et qui ne semble pas trouver de solution à court terme.
Les fonctionnaires imposés par le pays qui les emploie
Comme pour tous, c’est la convention fiscale qui lie la France et le pays de résidence qui détermine le mode d’imposition pour les revenus issus de France et perçus par le résident dudit Etat. Si les situations peuvent être différentes d’un pays à l’autre selon son statut, l’origine des revenus, etc., il y a une règle qui s’est généralisée. Le fonctionnaire d’un pays détaché dans un autre Etat est imposé par l’Etat qui l’emploie à la condition d’en avoir la nationalité. Pour les nationaux qui travailleraient pour la France, c’est leur pays qui les impose.
«Toutefois, les dispositions qui précèdent ne trouvent pas à s’appliquer lorsque les rémunérations sont allouées à des résidents de l’autre État possédant la nationalité de cet État».
Extrait de la convention fiscale entre la France et la Belgique
Une règle qui a toujours fonctionné en Belgique depuis la signature de la convention fiscale en 1931 et confirmé dans tous les avenants. Un système simple et limpide qui n’a pas fait l’objet de réforme ou de précisions lors de la signature de la nouvelle convention le 09 novembre 2021 (qui devrait rentrer en application le 01 janvier 2024 au plus tôt) entre Bruno Le Maire et le ministre des finances belge.
Un arrêt de la Cour de Cassation belge
Mais voilà, en parallèle, les services fiscaux ont saisi les tribunaux, jusqu’à la Cour de Cassation belge, sur le cas des bi-nationaux. En effet, si la Belgique, comme la France, accepte la double nationalité, c’est la nationalité du pays où se situe le citoyen qui prime lors des relations avec la justice locale, l’administration, etc. Pour être clair, un Franco-Belge est belge en Belgique et français en France.
C’est sur cette base que les juges belges ont émis un avis, le 17 septembre 2020, indiquant que l’article 10 de ladite convention fiscale ne peut se trouver à être appliqué à partir du moment où le bénéficiaire des revenus possède la nationalité de Etat de résidence. Ils précisent qu’il n’est fait mention nulle part que le contribuable visé ne doit pas posséder, en même temps, la nationalité de l’Etat qui lui verse les revenus. Autrement dit, le seul fait qu’un résident belge possède la nationalité belge suffit à exclure ses revenus de source publique française de l’application de l’article 10, qu’il ait ou non la nationalité française en surplus.
Une évolution de l’interprétation de la convention fiscale qui a pris au dépourvu les nombreux fonctionnaires français, ceux qui travaillent dans les services consulaires et diplomatiques, mais aussi les fonctionnaires des collectivités publiques, des hôpitaux, situés près de la frontière belge et qui ont décidé de vivre dans un autre Etat européen comme les y encourage l’esprit de l’espace Schengen.
Dans ce pays en partie francophone, ils sont nombreux à avoir fondé des familles et fait le choix de devenir belges afin de faciliter leur intégration et participer ainsi au rêve européen. Ils sont malheureusement bien mal récompensés.
L’Etat français inerte
Salariés de l’Etat français, ils pensaient, dans les premiers mois, que l’administration et le gouvernement allaient résoudre le problème en prenant attache avec les autorités belges. Les deux Etats, amis, membres de l’Union européenne, auraient pu modifier les règles, profitant de la négociation d’une nouvelle convention fiscale, postérieure à l’avis de la Cour de Cassation belge.
Mais ce ne fut pas le cas au grand étonnement des concernés mais aussi des élus locaux comme le Président du Conseil consulaire des Français de Belgique, Jérémy Michel (Horizons).
« Quand il y a des trous dans la raquette, l’action du politique, surtout au niveau national, est de les réparer au plus vite. C’est du quotidien de personnes dont il s’agit ici. Nous avons alerté les responsables et continuerons à faire tout notre possible pour qu’ils puissent débloquer rapidement cette situation difficile pour les gens qui la vivent”.
Jérémy Michel, Président du Conseil consulaire des Français de Belgique
Procédures de recouvrement
Ainsi, depuis 2020, les dossiers de contestation de l’imposition belge se sont accumulés. Et cette semaine, les premiers retours sont arrivés dans les boîtes aux lettres des contribuables doublement imposés.
S’appuyant sur la décision de la Cour de Cassation, que ne prend pas en compte l’Etat français, le SPF Finances (le fisc belge) a rejeté toutes les demandes de révision des avis d’imposition. Les services fiscaux de la Belgique renvoient la balle, comme la Cour de Cassation, aux autorités politiques.
« Dans le cas où l’exécution de certaines dispositions de la présente Convention donnerait lieu à des difficultés ou à des doutes, les autorités compétentes des deux États contractants se concerteront pour appliquer ces dispositions dans l’esprit de la Convention. Dans des cas spéciaux, elles pourront d’un commun accord appliquer les règles prévues par la présente Convention à des personnes physiques ou morales qui ne sont pas résidentes de l’un des deux États contractants, mais qui possèdent dans l’un de ces États un établissement stable dont certains revenus ont leur source dans l’autre État.«
Extrait de l’arrêt de la Cour de Cassation belge du 17 septembre 2020
Téléchargez le courrier de refus du fisc belge
Mobilisation des élus locaux
Puisque du côté français, on ignore la situation et le changement de paradigme fiscal pour ces fonctionnaires franco-belges, les élus locaux se sont mobilisés.
En effet, le gouvernement ne prenant pas attache avec celui belge, le fisc français ignorant la décision de la Cour de Cassation, le prélèvement à la source sur les salaires est toujours réalisé. Et du côté belge, on envoie désormais un avis d’imposition à ces derniers. Alors que faire ?
C’est la question que se sont posée les élus français en Belgique. Ils l’ont partagée avec les autorités compétentes françaises via un avis public pris ces dernières semaines.
« Nous demandons au gouvernement français de poursuivre le dialogue engagé avec les autorités belges pour qu’elles prennent des mesures immédiates de suspension du recouvrement des sommes requises, de revenir à l’interprétation antérieure de l’article 10 de la Convention et de clarifier cette situation dans la nouvelle convention fiscale franco-belge avant la ratification de cette dernière. Nous demandons au gouvernement français de s’assurer, dans le cadre de ce dialogue, que la Belgique rembourse les sommes perçues par ses services fiscaux auprès des Français concernés. »
Extrait de l’avis du Conseil consulaire des Français de Belgique du 30 septembre 2022
Un défi que vont tenter de surmonter les 7 élus consulaires alors que le consulat comme le député restent dans un mutisme inquiétant. Chacun y va de son expérience et avec son réseau, l’élue socialiste Cécilia Gondard va tenter de mobiliser les députés belges socialistes (encore nombreux dans ce pays), Jérémy Michel, Thierry Masson et Isabelle Wandelst, profitant de leur proximité avec le parti présidentiel, tentent d’activer le réseau du député des Français du Benelux Pieyre-Alexandre Anglade (Renaissance) et même directement Bercy.
Pour l’instant, on leur promet d’y travailler, mais pendant ce temps, les procédures contraignantes contre les contribuables visés se multiplient, provoquant stress, angoisse et multiplication des coûts.