Les Européens ne devraient tolérer ni Russes ni Turcs en Libye.

Les Européens ne devraient tolérer ni Russes ni Turcs en Libye.

Il aura fallu qu’un navire turc menace un navire français pour que la France s’aperçoive qu’elle était nue en Méditerranée.

Nue politiquement s’entend. Car elle reste la première puissance navale, hors Etats-Unis. La semaine dernière, la base aérienne d’Al Watiya en Libye, reprise aux forces du Maréchal Haftar, où  comptait s’installer les soldats turcs a été frappée par des avions d’ « origine inconnue ». Ce serait les Migs d’Haftar. On a soupçonné un temps les Rafales. Cela, c’était du temps de Sarkozy et Cameron. Une erreur dit-on aujourd’hui, surtout parce qu’elle fut  sans suite.

La France a des armes. Mais les armes ne font rien si elles ne servent pas un objectif politique. Sur qui la France peut-elle compter, et pour quelle politique?

En minorité à l’OTAN

A l’Otan, elle n’a eu le soutien que d’une minorité de pays face à la Turquie. La Turquie stocke des armes nucléaires américaines, a des frontières avec l’Iran, la Syrie, la Grèce, l’Arménie, Chypre… Géopolitiquement, cela compte. Elle menace d’ouvrir les frontières de l’Europe et des Balkans aux réfugiés syriens. Enfin elle tient tête aux Russes en Libye, tout en menaçant de s’entendre trop bien avec eux. Un chantage qui marche.

La France, elle, peut compter sur la Grèce, Chypre, et … enfin, depuis le sommet de Bruxelles, l’Italie et l’Allemagne, qui s’interrogent cependant sur son soutien au Maréchal Haftar. La France peut aussi compter sur l’Egypte,  désormais la Tunisie et peut-être l’Algérie, qui craignent toutes un retour islamiste téléguidé par les Frères musulmans.

Erdogan en guerre contre les valeurs de l’Union européenne

Erdogan méprise l’Europe et déteste la France qui représente la laïcité, dont il veut se débarrasser. Il n’y a donc rien à attendre de lui. Heureusement, il n’a rien à offrir, ni à l’Egypte, ni à Chypre, ni à la Grèce, ni à la Tunisie, ni à Israël, à personne en fait. Il ne menace que les Etats-Unis, ce qui reste un jeu limité : Sans la Banque centrale américaine, la Livre turque s’effondrerait. Erdogan achète de l’or, son économie faiblit.

Les Américains se moquent de savoir que la Turquie est le soutien des Frères Musulmans, raison pour laquelle Erdogan soutient le gouvernement de Tripoli, qui en est l’émanation, protège ceux de Syrie, déteste le Maréchal Sissi en Egypte. Ils se demandent, eux, pourquoi aider les Russes.

La Russie utilise la Méditerranée comme un levier sur l’Europe. Implantés en Syrie et en Libye, ils soignent depuis toujours l’Algérie, -devenue cette année le premier importateur d’armes d’Afrique-. Sur chaque achat, une commission pour les Généraux et leurs amis.

Vouloir renouer avec le passé ottoman rappelle aux Arabes, aux Slaves et aux Occidentaux que les Turcs furent des maitres sévères, impérialistes, colonialistes et esclavagistes. Il serait vain d’attendre une quelconque repentance. Transformer à nouveau Sainte Sophie en Mosquée chagrine plus encore les Russes que les Européens.

Bref, Erdogan mène la Turquie dans une impasse. Est-ce une raison pour ouvrir la porte à la Russie ? Certains se demandent, avant le voyage d’Emmanuel Macron à Moscou, s’il ne faut pas jouer la Russie contre La Turquie.

Il est vrai, la Russie a beaucoup à espérer. Elle est faible. Elle a mis ses pions partout, en Libye, en Syrie, en Ukraine, en Géorgie, en Biélorussie, mais ils ne rapportent rien. C’est une politique de puissance sans gain. Son complément naturel, économique et géostratégique est l’Europe. Mais il lui faudrait trouver des solutions acceptables en Ukraine et en Crimée.

La France ne se sent pas menacée par la Russie, et ne la menace en rien. Il y aurait une entente possible avec elle en Méditerranée. Quel apaisement avec un point d’appui russe en Libye ? Il faut résister à cette tentation qui paraitrait habile  et qui serait un abandon. Les Turcs ne sont là, disent-ils, que pour faire pièce aux Russes ; les Russes ne sont là que pour faire face aux Turcs, c’est un jeu de rôle qui les arrange, car ils ne s’affrontent, en fait, jamais.

La place de l’Europe

Normalement, l’Europe ne devrait pas accepter que la Libye soit dépendante des Russes ou des Turcs. Il est temps pour l’Europe, d’avoir une politique en Méditerranée. C’est à la France de la concevoir et de la partager avec l’Italie, l’Espagne, la Grèce…

Récemment, l’Amiral Casabianca, Major Général des Armées, présentait les lignes de tension en Méditerranée. Il annonçait la militarisation inéluctable du bassin méditerranéen :

 

« les opérations d’intimidation vont s’y multiplier » …« les opérations de police y seront de plus en plus nécessaire ».

 

La France, pour protester contre l’attitude de la Turquie, s’est retirée de l’opération Sea guardian. La faille au sein de l’OTAN pourrait être plus profonde. Hors l’Otan, une coopération militaire est-elle possible ? L’Europe stratégique passe par là. Les opérations européennes s’organisent peu à peu en Méditerranée. Il faut qu’elles fassent partie d’une conception d’ensemble.

 

Les Etats-Unis réduisent leur présence au Moyen-Orient mais pas en Méditerranée. La Chine s’y implante : au Maroc, en Algérie, en Grèce. Verra-t-on la militarisation du port du Pirée, comme le craint l’Amiral Casabianca ?

La question dépasse la Turquie. Elle permet de lier autrement les rives nord et sud  de la mer commune : Egypte, Tunisie, Algérie France Italie et Grèce ont des intérêts communs et visibles. L’effondrement des prix du pétrole offre une opportunité. L’Allemagne a compris l’importance des pays du sud.

Profiter de la crise turque pour affirmer un avenir autonome de l’Europe en Méditerranée serait une façon de rendre hommage à sainte Sophie, la sagesse.

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