Dans six mois, les électeurs américains seront amenés à départager Joe Biden et Donald Trump. Pour la première fois depuis 1892 (Groover Cleveland contre Benjamin Harrison), ils auront le choix entre deux personnalités ayant déjà exercé les fonctions présidentielles. Pour le moment, les deux candidats battent la campagne en ignorant les questions financières. En 1992, Ross Perot, candidat indépendant, avait empêché la réélection de Georges Bush senior en présentant un programme de probité fiscale. Il obtint 19 743 821 voix, soit 18,9 %, le meilleur résultat depuis 1912 pour un candidat non issu des deux grandes formations politiques américaines. Deux ans plus tard, les Républicains récupérèrent pour la première fois en 40 ans, la majorité du Congrès avec comme engagement le rééquilibrage des comptes publics. Bill Clinton, Démocrate et pragmatique, accepta cet objectif, ce qui lui permet d’être réélu. Il est le dernier Président à avoir enregistré des excédents budgétaires et une diminution de la dette publique.
Selon le FMI, les emprunts américains sont si importants qu’ils mettent en danger la stabilité financière mondiale
En 1992, au début de la fronde budgétaire, la dette représentait 46 % du PIB ; elle dépasse désormais 110 % du PIB. Sur ces dix dernières années, sous Donald Trump et sous Joe Biden, le déficit public moyen atteint près de 9 % du PIB. Le Fonds monétaire international affirme que les emprunts américains sont si importants qu’ils mettent en danger la stabilité financière mondiale. La note américaine a été récemment dégradée par les deux agences de notation S&P et Fitch. La troisième, Moody’s, menace de le faire.
Pour autant, les questions budgétaires ne figurent pas parmi les préoccupations des électeurs. Les candidats l’ont bien compris. Leur programme respectif propose non pas un assainissement des comptes publics mais bien une aggravation de la dette. Donald Trump entend réduire les impôts quand Joe Biden annonce une augmentation des dépenses.
Le vieillissement de la population se traduit par une hausse des dépenses de santé et de retraite sur lesquelles les deux candidats ne veulent pas faire d’économies.
Par rapport aux années 1990, le contexte économique et financier a changé. À l’époque, la croissance était vive. Le développement de l’informatique générait d’importants gains de productivité. Avec la chute du mur de Berlin et la fin de l’URSS, les gouvernements occidentaux pouvaient réduire leur effort de défense. Aujourd’hui, les tensions avec la Chine et la Russie l’obligent à un réarmement. La transition énergétique est également une source de dépenses publiques. Politiquement, il n’y a plus de consensus sur le sujet des comptes publics. Par ailleurs, les efforts réalisés en la matière bénéficient rarement au pouvoir en place. George H.W. Bush, au début des années 1990, avait initié une diminution du déficit ; or il fut battu par Bill Clinton. Celui-ci réussit à se faire réélire et à reconquérir le Congrès en 1996 après que les Républicains ont imposé le retour à l’équilibre. Les démocrates ont considéré que Georges Bush junior a dilapidé les excédents publics constitués par Bill Clinton.
Les deux partis ont opté pour la surenchère
Depuis, les deux partis ont opté pour la surenchère. Les réductions d’impôts de G. Bush junior ont été reprises et étendues par son successeur, Barack Obama. Donald Trump les a amplifiées et Joe Biden n’a pas osé les remettre en cause. Cette politique a abouti à réduire les prélèvements obligatoires. Ces derniers ne représentent que 33 % du PIB, soit bien moins que dans les autres pays de l’OCDE. Dans le même temps, les dépenses publiques n’ont pas cessé d’augmenter. L’épidémie et la transition écologique ont amené les gouvernements à mettre en œuvre des plans portant sur des milliers de milliards de dollars. Le déficit public moyen de 9 % des cinq dernières années est quatre fois supérieur à la moyenne annuelle constatée depuis la Seconde Guerre mondiale. Le déficit américain est plus de deux fois plus élevé que la moyenne de ceux des États membres de l’OCDE. Les États-Unis devancent l’Italie et la France.
Les États-Unis rendent hommage à Keynes, le déficit favorisant la croissance avec le financement d’investissements privés grâce à la multiplication des aides (Inflation Reduction Act).
La dérive des finances publiques américaines est d’autant plus problématique que les taux d’intérêt augmentent. Au cours des deux décennies précédant la Covid, le service de la dette (le paiement des intérêts) représentait chaque année environ un tiers du déficit fédéral. Au cours des deux prochaines décennies, selon l’office budgétaire du Congrès (CBO), il en représentera les deux tiers.
En l’absence de changement de cap budgétaire, le ratio dette/PIB des États-Unis passera de 110 à 166 % du PIB au cours des 30 prochaines années.
Aucun candidat n’entend défendre l’idée d’une hausse des prélèvements
Cette progression est-elle à même à provoquer une crise des finances publiques ? Le Japon survit bien avec une dette publique de plus de 250 % du PIB. Si le Japon peut s’appuyer sur sa population, les Japonais épargnant et acquérant des titres publics, les Américains disposent du dollar. Par ailleurs, les investisseurs internationaux souhaitent toujours investir aux États-Unis et y acheter des obligations fédérales. Entre le Japon et les États-Unis, il y a néanmoins une différence de taille, le niveau des taux d’intérêt. Chez le premier, le taux à 10 ans évolue autour de 1 % contre 4 % chez les seconds. D’ici la fin de la décennie, les seuls pays européens avec un ratio dette/PIB aussi élevé que les États-Unis seront l’Italie et la France.
Pour stabiliser le ratio dette/PIB d’ici 2029 aux États-Unis, le FMI estime que l’État fédéral américain devra réduire son déficit primaire (c’est-à-dire avant paiements des intérêts) d’environ 4 % du PIB, soit un montant jamais réalisé dans aucun des pays de l’OCDE ces vingt dernières années. Les pouvoirs publics ne sont pas incités à opérer un tel assainissement d’autant moins que les investisseurs continuent à prêter sans rechigner aux États-Unis qui demeurent la première puissance économique et militaire mondiale. Certes, les taux augmentent mais nul ne peut prédire la survenue d’une crise financière en lien avec la dette publique américaine.
Aucun candidat n’entend défendre l’idée d’une hausse des prélèvements
L’exercice budgétaire 2025 sera crucial pour les États-Unis. En effet, de nombreux dispositifs de réduction d’impôt sont censés arriver à échéance cette année-là, dispositifs qui pour la plupart avait été adoptés durant le mandat de Donald Trump. Leur maintien après 2025 coûterait environ 3 000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, soit deux fois le montant des dépenses fédérales en matière de transports. Leur suppression réduirait d’environ un point de pourcentage le déficit annuel. Or, durant la campagne électorale, aucun candidat n’entend défendre l’idée d’une hausse des prélèvements qui pourrait en outre provoquer un ralentissement de l’économie.
Depuis le début de sa campagne électorale, Donald Trump répète qu’il reconduira les réductions d’impôt qu’il avait fait adopter lors de sa présidence ; en revanche, il pourrait annuler celles instituées par les Démocrates. Il a également envisagé de nouvelles réductions d’impôt sur les sociétés. Joe Biden a qualifié les réductions d’impôt de Donald Trump d’imprudentes, mais son plan les maintiendrait néanmoins pour les ménages gagnant moins de 400 000 dollars par an. Il ne réduirait que d’un tiers le coût fiscal des mesures du mandat de Donald Trump.
Pour rembourser la dette publique, Donald Trump propose une augmentation des recettes publiques en accordant de nouvelles autorisations de forages pétroliers. Cette mesure aurait une faible incidence sur les finances de l’État fédéral car les taxes des activités pétrolières alimentent essentiellement les budgets locaux.
Un tarif douanier de 10%
Toujours pour rééquilibrer les comptes publics, Donald Trump entend majorer les droits de douane. Il a ainsi prévu d’instituer un tarif universel de 10 % rapportant 300 milliards de dollars par an, soit 1 % du PIB. Ces droits seraient en réalité payés par les consommateurs américains. Cette mesure protectionniste affaiblirait la croissance qui aggraverait le solde public.
De son côté, Joe Biden souhaite peser sur les dépenses de la santé en diminuant le prix des médicaments. Cette politique appliquée en France comporte comme danger de favoriser les pénuries. Il propose de renforcer la lutte contre la fraude fiscale. Il a indiqué son intention de relever l’impôt sur les sociétés et l’impôt sur le revenu pour les ménages les plus aisés.
Dans le même temps, Joe Biden a prévu d’accroître les dépenses publiques en rétablissant un crédit d’impôt pour les familles ayant de jeunes enfants à charge, en facilitant le financement des gardes d’enfants et en annulant la dette étudiante.
Après l’élection du mois de novembre, les États-Unis ont un fort risque de rester fragmentés politiquement et socialement parlant. Ces dernières années, cette situation a conduit l’explosion du déficit public, aucun des deux grands partis ne souhaitant prendre des mesures impopulaires concernant la Sécurité sociale ou la retraite des fonctionnaires. Les pensions de l’État et de la Sécurité sociale, dont les soins de santé pour les personnes âgées, représenteront 60% des dépenses fédérales, hors intérêts, d’ici 2030.
Les milieux économiques et en particulier les investisseurs jugeaient que les décisions de Donald Trump entre 2017 et 2020, étaient bien souvent plus modérées que ses déclarations. La bonne tenue des actions a démontré que les intérêts des actionnaires n’étaient pas totalement inconciliables avec la politique du Républicain. En serait-il de même avec le second mandat ?
Si la FED réduit de 1,5 point ses taux, l’État fédéral économisera 400 milliards de dollars d’intérêt, un point de PIB.
La volonté de Donald Trump de remettre en cause l’indépendance de la Banque centrale américaine pourrait déclencher une suspicion de la part des investisseurs américains et internationaux. Le dollar pourrait perdre son aura de valeur refuge. Sur ce point, Donald Trump défend l’idée d’une dépréciation du dollar pour rééquilibrer la balance commerciale. Le risque serait une augmentation de l’inflation et des taux d’intérêts, rendant plus difficile le financement de l’imposante dette publique. La fixation des taux directeurs de la part de la banque centrale américaine n’est pas sans incidence sur la dette publique. Si la FED réduit de 1,5 point ses taux d’ici la fin de l’année, l’État fédéral économisera 400 milliards de dollars d’intérêt (1 200 au lieu de 1 600 milliards de dollars), soit l’équivalent d’un point de PIB.
Le problème est que l’importance du déficit public, plus de 7 points de PIB, concourt à l’inflation en augmentant artificiellement la demande. Ce déficit élevé incite justement la banque centrale à être prudente dans la baisse de ses taux directeurs.
Pour résoudre la question de l’endettement public aux États-Unis, nul n’imagine la banqueroute. Certes, le gouvernement pourrait procéder à des émissions monétaires à travers des rachats d’obligations comme cela a été fait entre 2009 et 2022. Le risque serait l’enclenchement d’une spirale inflationniste. Il pourrait également imposer aux établissements financiers des ratios de liquidité plus durs ; ces derniers seraient alors contraints d’acheter des volumes plus importants de titres publics. Cette pratique s’inscrit dans les politiques qualifiées de répression financière. La solution idéale serait la reproduction du scénario de 1990 combinant économies budgétaires et reprise de la croissance notamment grâce à l’intelligence artificielle. À court terme, le Trésor public américain doit refinancer un tiers de la dette publique existante, soit 10 000 milliards de dollars.
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