Depuis un an, les gouvernements sont confrontés à une épidémie doublée d’une crise économique. Ce double problème concerne essentiellement l’Europe, l’Amérique du Nord et une partie de l’Amérique du Sud, zones qui concentrent le plus grand nombre de cas. La pandémie a bousculé les lignes dans de nombreux domaines : santé, social, patrimoine, gouvernance, transition énergétique etc. Un an après, à défaut de nouveau monde, il est possible de sérier les défis que les gouvernements auront à relever dans les prochaines années en prenant en compte les conséquences de l’épidémie.
1. La santé, une coûteuse priorité
Tout en consacrant une part importante de son PIB à la santé, plus de 10% en moyenne, la zone euro a été confrontée à une série de problèmes, allant de l’approvisionnement en masque, au nombre de lits de réanimation, en passant par le manque de personnel de santé, etc. La santé ne fait pas partie des domaines de compétences exclusives de l’Union européenne et relève des États membres. Les institutions européennes peuvent toutefois appuyer, coordonner ou compléter l’action des États membres, selon l’article 6 du Traité de l’Union Européenne. Cette dernière dispose de deux agences spécialisées dans le domaine de la santé : le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et l’Agence européenne des médicaments.
En 2020, la pandémie de Covid-19 a conduit les autorités européennes à intervenir dans le domaine de la santé en organisant des achats groupés de vaccins. Elles financent également des programmes de recherche sur l’épidémie. Les déficiences en matière de santé amèneront à des réformes tant au sein des États membres qu’au niveau communautaire. En France, la complexité du système de santé constitue un frein à sa rationalisation. Même si des progrès ont été réalisés depuis le début de la crise sanitaire, les relations entre les différents acteurs restent complexes et génèrent de nombreux blocages. La coopération entre les établissements publics et les cliniques privées est perfectible tout comme la mobilisation des professionnels libéraux de santé.
2. L’apparition de nouveaux besoins sociaux
La crise a révélé ou confirmé que certaines catégories de la population sont peu ou mal couvertes, à savoir les intérimaires, les titulaires de contrats de travail courts et les indépendants. 800 000 personnes étaient en intérim avant crise en France.
La crise a posé le problème de la juste rémunération de certaines professions (santé, distribution, etc.). Au cours de ces quinze dernières années, le système de santé a généré de nombreux emplois en lien avec la réduction du temps de travail décidée en 2001. Afin de contenir les dépenses, les rémunérations proposées ont été longtemps faibles. Un processus de revalorisation s’est engagé à partir des années 2010 mais demeure insuffisant.
Le système de santé est très pyramidal avec une large base constituée d’aides-soignants et d’infirmiers qui, au regard de leur niveau d’études, s’estiment mal considérés. La crise a conduit les États à verser directement des sommes importantes aux ménages pour garantir leur niveau de vie, instituant de la sorte une forme de revenu universel. Cette expérience pourrait entraîner la relance du débat sur ce sujet. La question récurrente de l’élargissement du RSA en France aux jeunes obéit à cette logique.
3. L’apparition de nouveaux comportements
L’épidémie a bouleversé les habitudes professionnelles avec l’essor du télétravail, ce qui pourrait à terme modifier les besoins en bureaux des entreprises. De 2009 à 2019, la proportion de salariés pratiquant régulièrement le télétravail est passé de 7,5 à 9 %. Avec la crise sanitaire, ce taux est passé à plus de 20 %. Si une décrue intervenait après la crise, il n’en demeure pas moins que le télétravail, une à deux journées par semaine, pourrait à terme devenir la norme.
L’épidémie incite certains habitants des grandes agglomérations à réfléchir à un changement de vie. Avant même la crise, un courant en faveur des villes de 100 000 à 200 000 habitants était constaté. Ces dernières offrant des logements plus spacieux confortent leurs positions. Cela pourrait amener des sociétés à répartir différemment leurs bureaux. Avec le développement des outils numériques, la concentration des salariés sur des sites au sein des grandes villes pourrait être abandonnée, d’autant plus que cela génèrerait des économies au niveau du foncier.
4. L’accélération décisive du e-commerce
La France était en retard en matière de ventes en ligne par rapport au Royaume-Uni ou aux États d’Europe du Nord. Le chiffre d’affaires du e-commerce en France en 2020 a dépassé 110 milliards d’euros. L’année dernière, ce mode de distribution a représenté 13,4 % du commerce de détail. En prenant en compte les services, le commerce en ligne capterait près d’un cinquième des dépenses de consommation des ménages. En Chine, ce pourcentage dépasse 25 %.
La crise sanitaire a modifié le comportement des consommateurs. Même après le retour à la normale, certaines habitudes perdureront. Le succès des loisirs en ligne (vidéo à la demande) devrait résister à la réouverture des salles de cinéma. De même, la livraison des courses devrait se perpétuer voire s’amplifier tout comme celle des repas qui connaît un vif succès. L’offre de services numériques ne peut qu’augmenter avec l’accroissement du marché.
5. La fin du tourisme de masse ?
Des secteurs comme le tourisme et les transports fortement touchés devraient connaître une normalisation après la crise. Celle-ci pourrait néanmoins mettre du temps, or ces secteurs étaient d’importantes sources de création d’emplois. Les effectifs dans les hôtels, les restaurants et les activités de loisirs avaient augmenté de plus de 30 % de 2003 à 2019. Le maintien des contraintes sanitaires durant les deux à trois prochaines années devrait peser sur le tourisme.
Le retour à la normale du trafic aérien pourrait s’étaler sur quatre ans. En outre, ce secteur est en première ligne en ce qui concerne la transition énergétique. De plus en plus de pays prennent des mesures pour limiter le recours à l’avion et pour supprimer de la vente les véhicules à moteur thermique d’ici quelques années.
6. La dette publique, la septième plaie d’Égypte
En augmentant considérablement les dettes publiques, la crise a entraîné un débat sur leur éventuel effacement ou cantonnement. Elle a reporté le retour à des taux d’intérêts normaux, cette expression n’ayant certainement plus réellement de sens. Afin d’assurer la solvabilité de l’État et de favoriser la croissance, les banques centrales maintiendront aussi longtemps que possible des taux réels faibles. Compte tenu des taux de croissance attendus dans les prochaines années, les déficits publics devraient rester élevés et les dettes publiques continuer à augmenter. Le processus de monétisation massive des déficits publics devrait se poursuivre.
En France, plus de 50 % des emprunts émis par l’État sont achetés par des banques centrales. La base monétaire de la Banque Centrale Européenne est passée de 3 200 à plus de 5 000 milliards d’euros de 2019 à 2021.
7. Le patrimoine et l’épargne pointés du doigt
La crise a également mis l’accent sur les inégalités patrimoniales. Les faibles taux d’intérêt conduisent à une appréciation des valeurs actions et du prix des logements. Les jeunes actifs éprouvent de plus en plus de difficultés à acquérir leur résidence principale. Le patrimoine se concentre sur les plus de 55 ans. La crise a entraîné une progression sans précédent du taux d’épargne qui est passé au sein de la zone euro de 13 à 18 % du revenu disponible brut de 2019 à 2021. La Banque de France estime qu’en dix-huit mois, la crise Covid-19 pourrait conduire à un supplément de 200 milliards d’euros d’épargne pour les Français.
Certains réclament la taxation de l’épargne quand d’autres en appellent à sa réorientation au profit de la consommation ou de placements de long terme. La succession des crises, la montée de la précarité et le vieillissement de la population sont des facteurs qui expliquent cette tendance.
8. De l’affirmation de la souveraineté économique
L’épidémie a démontré la dépendance de l’Union européenne aux importations asiatiques ou américaines. Les États entendent protéger leurs entreprises et souhaitent les inciter à relocaliser certaines productions. L’opposition au rachat de Carrefour par l’entreprise canadienne « Couche-Tard » est révélatrice du nouveau climat en la matière. En 2020, 275 acquisitions ont été contrôlées en 2020 par le ministère de l’Économie, soit une hausse de 27 % sur un an et de près de 50 % depuis 2018. Ce sont les investisseurs américains et britanniques qui ont été particulièrement visés et qui ont fait l’objet du plus grand nombre de refus. Le champ des secteurs contrôlés a été étendu en 2020 aux biotechnologies, et le seuil de filtrage a été diminué de 25 à 10 % du capital pour les entreprises cotées.
Les start-up sont également soumises à la surveillance de Bercy.
La crise a souligné le retard des pays de l’Union européenne et, particulièrement, de la France en matière de recherche et d’innovation, que ce soit dans le domaine de la santé ou dans celui des techniques de l’information. Au-delà de l’insuffisance des moyens financiers, les mauvaises relations entre secteur public et secteur privé, et l’absence de coordination au niveau européen expliquent les résultats décevants de l’Union.
9. La transition énergétique entre coercition et eldorado
La réduction des émissions de CO2 de 55 % d’ici 2030 et l’obtention de la neutralité carbone d’ici 2050 supposent un effort d’investissement sans précédent de la part de tous les acteurs économiques. Pour la première fois depuis le début de la première révolution industrielle, un changement énergétique est mené par voie réglementaire. Un système coercitif est mis en place avec, par exemple, des bonus/malus. Cette transition énergétique dont le coût brut se chiffre au niveau mondial en milliers de milliards de dollars est également une source potentielle de croissance. La compétition internationale s’intensifiera sans nul doute dans les prochaines années.
10. Des démocraties sous tension
Les pouvoirs publics ont décidé de soutenir les ménages et les entreprises en augmentant considérablement les dépenses publiques. En 2020, celles-ci ont atteint 63 % du PIB en France, 60 % en Italie ou 52 % en Allemagne. Elles ont augmenté de plus de 10 points en un an. Les gouvernements n’ont pas tiré profit de cet engagement sans précédent, les populations estimant que ce soit en France ou en Allemagne qu’ils ont mal géré la crise.
Le fait que le pouvoir d’achat ait augmenté en 2020 n’efface pas les hésitations, les tergiversations sur les masques, sur les vaccins, les confinements.
Les gouvernements actuels sont accusés de tous les maux. Il y a un transfert total des responsabilités sur les exécutifs qui se doivent d’être omniscients tout en étant accusés de l’être. La diffusion rapide de cette épidémie issue d’un virus qui était inconnu à la fin de l’année 2019 n’est pas considérée comme une excuse suffisante par des opinions qui exigent des solutions définitives en temps réel.
Les réseaux sociaux, les chaînes d’information sont devenues des tribunaux permanents des responsables politiques qui doivent justifier en permanence leurs décisions. Les démocraties occidentales sortent fragilisées de la crise, devant en permanence arbitrer entre la liberté et les restrictions imposées au nom de la santé publique. L’absence de consensus au sein des populations rend la mise en place des politiques complexes.
Les démocraties disposent d’un atout sur les régimes totalitaires : la souplesse. Depuis deux siècles, elles ont été capables de gérer la question sociale lors de l’avènement de la société industrielle, la décolonisation, – parfois avec quelques difficultés – le terrorisme des années 1970 ou celui des années 2010. Elles sont moins enclines à la rupture grâce à la permanence du débat public.
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