Les curieux chiffres du monde de la Covid-19.

Les curieux chiffres du monde de la Covid-19.

La semaine dernière, l’Union Européenne se félicitait d’un taux de 70% de personnes vaccinées en Europe. Un excellent résultat, qui rappelle qu’effectivement les populations vaccinées sont plutôt celles des pays riches que celles des pays pauvres

Au début de l’épidémie, pourtant, l’inégalité frappait surtout l’Europe. Comme si les pays pauvres étaient épargnés par le virus ; les pays européens et les Etats-Unis comptaient les morts, la médecine occidentale montrait ses limites. L’Asie plastronnait, l’Afrique semblait immune.

Les pays pauvres  (et jeunes) épargnés par le virus ?

Puis le virus continua sa balade de nouvelle vague en nouvelle vague, de mutation en mutation. Règne aujourd’hui le variant Delta, plus contagieux, plus dangereux. S’annonce le variant Mu, plus terrible encore. Chacun de s’interroger : les vaccins fonctionneront-ils contre Mu ? Faut-il se réjouir d’avoir vacciné 70% de la population si les mutations se jouent peu à peu des vaccins ? C’est un des arguments des antivax, auxquels répondent médecins et gouvernements en proclamant leur efficacité. Improviser une société de contrôle, désigner chaque passant comme agent contaminateur, dépenser des milliards en aides, si cela était en vain, risquerait d’agacer. 

Aussi sortent des chiffres pour démontrer non seulement que les vaccinés ont moins de chances de mourir, ce qui est rassurant, mais aussi d’autres évaluant le nombre de vies sauvées, c’est-à-dire les morts qui ne le sont pas. L’OMS, qui a décidemment du mal à corriger ses carences, explique que l’Europe peut craindre 250.000 morts avec le Mu. Possible, incertain. L’Imperial College avait bien prévu plusieurs millions de morts en Europe et aux Etats-Unis lors de la première vague. La Suède aurait dû dépasser les 100.000 morts en juin 2020. Heureusement, les prévisions sont faites pour être démenties. 

Heureusement, les prévisions sont faites pour être démenties.

Décompter le nombre des morts dus au virus est déjà difficile,  évaluer le nombre de morts qui n’ont pas eu lieu est un exercice rhétorique. Chaque gouvernements expliquera, experts à l’appui, qu’il a adopté la meilleure stratégie, la meilleure réponse, etc. Que disent les chiffres actuellement disponibles sur un virus aux multiples variants qui n’a pas fini ses tours du monde ?

Les chiffres les plus significatifs, et les moins contestables, sont ceux de la mortalité. Pour mesurer l’effet de la pandémie, il faut relever les différences de mortalité annuelle. Ainsi en France, se constate une mortalité excessive en 2019 comme en 2020, entre 50.000 et 60.000 personnes. Cela correspond aux décès attribués à la Covid par Santé Publique France : 125.000 morts, fin août 2021. Bien sûr, ces chiffres sont eux mêmes contestables, dans la mesure où une grande partie des personnes décédées étaient âgées ou malades : la même approche n’aurait pas le même sens sur cinq ou dix ans. C’est le défaut des chiffres : une mort est un drame, 100.000 une statistique.

En Russie, on constate aussi une mortalité excessive, bien supérieure au décès attribués à la Covid. 180.000 décès attribués à la Covid, mais un excédent de mortalité annuelle de 320.000… Les autorités russes attribuent moins facilement le décès à la Covid qu’en France, et minimisent l’épidémie. La Belgique, au contraire, enregistre comme décès dû à la Covid toute personne contaminée décédée, ce qui tend à exagérer l’effet de l’épidémie. 

Ces précautions méthodologiques prises, à cet état de la pandémie,  sous réserve de la sincérité des chiffres, quels sont les pays les plus touchés ?

L’Université John Hopkins comptabilise, à partir des données fournies par les différents pays, 4 millions de morts. Les données les plus significatives sont le nombre de décès par rapport à la population.

Le Pérou, 6200 morts par million : un cas extraordinaire qui n’intéresse personne 

Le pays qui enregistre le record de morts par rapport à la population ne fait jamais les titres des journaux : le Pérou enregistre 6200 morts par million d’habitants : en tout 200.000 morts. Si ce taux était appliqué à la population mondiale, la pandémie aurait déjà tué 48 millions de personnes. C’est un cas extraordinaire, qui, curieusement, n’intéresse personne. Pourquoi le Pérou est-il à ce point à part ? L’attention se focalise ailleurs, tant les jugements sont préorientés, en fonction des critiques que l’on aime émettre sur tel ou tel gouvernement.

Le deuxième pays le plus touché est la Hongrie, qui compte moitié moins de décès par habitant que le Pérou : 3100. Un écart impressionnant. La Hongrie s’est précipitée sur le vaccin Spoutnik, un essai peu concluant. Les voisins de la Hongrie, qui avaient pourtant échappé à la première vague,  sont eux aussi touchés brutalement: Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, République tchèque, Macédoine du nord, Slovénie, Slovaquie, Croatie, Pologne, déclarent des taux de décès par habitant entre 2000 et 3000. Ils font partie des 20 pays les plus touchés au monde, toujours selon ce critère du nombre de décès enregistrés par rapport à la population. 

Les voisins du Pérou sont relativement moins touchés : entre 1600 et 2000 décès en Bolivie, Chili et Equateur. Mais 2055 au Mexique. Le Brésil, souvent pointé du doigt, compte moitié de décès par habitant : 2700. Un taux similaire à celui de la Colombie ou de l’Argentine : 2500. Ce qui inquiète, c’est de voir que les chiffres changent vite, et qu’une exception péruvienne n’est peut-être qu’une anticipation. Le vaccin, là, semble être la réponse.

La France déplore un taux très élevé, le 24ème mondial 

Les Etats-Unis sont au même niveau que le Chili (1972) et l’Equateur (1887) : 1957 morts par million d’habitants. Un taux comparable à celui de la France : 1877. 

Car la France déplore un taux très élevé, le 24ème mondial. Elle est – pour l’instant et relativement- moins frappée que la Belgique (2222, l’Italie (2138) ou le Royaume-Uni (2000), mais plus que l’Espagne (1800) le Portugal (1726) ou la Suède (1443), si souvent mise en cause parce qu’elle a refusé confinement, masques et autres obligations. 

Certains de nos voisins déclarent des taux de décès plus bas que les nôtres : 1100 en Allemagne et aux Pays-Bas. Leur stratégie était-elle meilleure, leur système de soins plus efficace ? Cela représenterait, pour la France, environ 85.000 décès en moins. Mais peut-on raisonner ainsi, d’autant que l’épidémie et ses effets, directs et collatéraux, à court et à long terme, ne sont pas terminés ? Pour l’instant, la vaccination protège les populations et l’on peut espérer diminuer les effets les plus mortels de l’épidémie. D’où la satisfaction de l’Union européenne, et l’inquiétude de l’OMS pour les autres. 

L’exemple de l’Amérique latine montre que les pays les plus riches (et les plus vieux) ne sont pas les seuls touchés. On le voit aussi avec la Tunisie, qui dépasse les 2000 morts (le niveau du Royaume-Uni) par habitant. Ce qui n’a pas été sans effet politique, puisque la crise de la Covid a joué son rôle dans la concentration du pouvoir entre les mains du Président tunisien. 

On peut s’interroger sur cette exception tunisienne. Le seul pays africain à reconnaitre un taux de mortalité presque aussi élevé est l’Afrique du Sud : 1424 morts par million d’habitant. La Lybie en guerre en compte 636, le Maroc 351, l’Algérie 125. Le Nigéria, géant africain, 13. Comme si le virus ignorait l’Afrique. A moins que ce ne soit l’Afrique qui ignore le virus, les outils statistiques n’analysant pas vraiment les causes des décès. Si la jeunesse africaine est insensible au virus, pourquoi ces taux en Tunisie et en Afrique du sud ? Faut-il s’attendre, comme le craint l’OMS, à un désastre en Afrique ?

Pourquoi l’Asie résiste mieux au virus que l’Europe ou les Amériques ? 

Aucun pays d’Asie ne figure parmi les 70 pays les plus touchés. Le premier étant la Malaisie, avec 529 morts par million d’habitant. L’Indonésie en compte 500, l’Inde 325, ce qui représente déjà 430.000 victimes. Sont-elles toutes répertoriées ? Le Japon est à 127, la Corée du sud à 44, Taïwan à 37. Ceci pour des pays dont on peut penser que les outils statistiques sont fiables. Pourquoi l’Asie résiste mieux au virus que l’Europe ou les Amériques ? Le Japon aussi compte une très forte proportion de personnes âgées. Y aurait-il un facteur génétique ? Face au « virus chinois », la Chine est championne?  4848 décès en tout et pour tout. Soit un taux de 3 décès pour un million d’habitants. On se demande pourquoi ils ont bouclé des provinces entières et construit des hôpitaux en urgence.

Pour conforter le mystère, les autorités chinoises ont bloqué l’enquête de l’OMS sur l’origine du virus, ce qui renforce d’autant la suspicion : l’hypothèse d’une fabrication dans un laboratoire.

La propagation du virus, sa létalité, la bonne façon de le combattre contiennent plus d’interrogations que de certitudes. Visiblement, l’épidémie n’est pas terminée. La vaccination apparait comme la meilleure réponse actuelle, mais certains vaccins fonctionnent mieux que d’autres les vaccins chinois et russes apparus les premiers,  sont moitié moins  performants que les autres. Peut-être d’autres mutations voyageront et feront passer les chiffres actuels pour de petits scores. Peut-être l’Afrique sera-t-elle frappée comme l’Amérique latine, le Mexique autant que le Pérou. Peut-être la recherche médicale ira-t-elle plus vite que le virus : des vaccins en pilule, des médicaments curatifs.

On ne reviendra ni sur les dégâts économiques, ni sur les dégâts politiques

Les incertitudes médicales sont nombreuses, les certitudes sont d’un autre ordre: on ne reviendra en arrière ni sur les dégâts économiques, ni sur les dégâts politiques. La Covid a accéléré la transformation du monde, et renforcé les divergences, les inégalités entre les pays à l’avant-garde de la révolution mondiale et ceux qui en sont à la traine.  L’Europe semble l’avoir compris : n’a-t-elle pas, pour la première fois, émis une dette commune, sachant que les pays les plus fragiles risquent de provoquer son éclatement, vaccinés ou non ? Dans tous les domaines, les effets secondaires de la Covid seront plus marquants que l’épidémie seule.

Auteur/Autrice

  • Alain Stéphane a posé ses valises en Allemagne à la suite d'un coup de foudre. Aujourd'hui, il travaille comme rédacteur dans un journal local en Saxe et est correspond du site Lesfrancais.press

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