Pour la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CNBPF), les aides du gouvernement sortiront les boulangers de leur pétrin, pour peu qu’ils acceptent d’augmenter leurs prix et d’être plus sobres énergétiquement.
Dominique Anract, boulanger, est aussi président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française, et président de la Confédération Européenne de Boulangerie-Pâtisserie.
EURACTIV France : À partir de janvier, les entreprises comme les boulangeries pourront bénéficier à la fois du nouvel « amortisseur », et du guichet unique prolongé en 2023. Cumulées, ces aides représenteront un allègement de la facture d’électricité pouvant atteindre 40%. C’est une bonne nouvelle ?
Dominique Anract : Oui. Grâce au travail de fond que nous avons mené auprès des pouvoirs publics, les boulangers pourront au maximum avoir le double de ce qu’ils touchaient jusqu’à présent.
Une personne qui paye habituellement 1 000 euros d’électricité, qui serait passée à 4 000, pourra prétendre à 2 000 euros d’aide. Ce n’est pas rien.
Des factures multipliées par deux
Cela représente tout de même une facture multipliée par deux. Comment les boulangers peuvent-ils s’en sortir, sachant qu’en plus de l’électricité, le prix des matières premières atteint également des sommets ?
La facture reste lourde, nous en sommes conscients. Mon fils vient de s’installer, il fait la tête. C’est normal. Sur les matières premières, tout a une explication : les œufs c’est la grippe aviaire ; le sucre le biocarburant ; le blé la guerre en Ukraine, le lait un manque de vache… Bref, tout nous tombe dessus.
Mais d’après nos simulations, les aides du gouvernement permettront de nous en sortir. Pour cela nous devons aussi augmenter les prix, de 3 à 5 %. Concrètement, cela ferait passer la baguette de 95 centimes à un euro ; un croissant de 1,10 à 1,15 ; un flan de 2,50 à 2,70.
Tout le monde augmente ses prix. Pourquoi Netflix coûte plus cher et pas le pain ?
Cela ne risque-t-il pas d’entraîner la fuite des clients ?
Je suis convaincu que le client préfère mettre quelques centimes de plus, plutôt que de voir sa boulangerie fermer, et de devoir prendre sa voiture pour aller acheter le pain au supermarché. Surtout que les produits de boulangerie restent encore très abordables.
La France est le pays qui a le moins augmenté le prix de son pain en Europe, seulement de 8% [entre 2021 et 2022]. En Hongrie c’est 65 % ; en Allemagne et en Pologne 15-16 %.
Mais ce sont surtout les boulangers qui ont du mal à faire passer ces hausses. Certains n’ont pas augmenté le prix de leur baguette depuis 3 ans !
L’autre levier que vous préconisez : la sobriété. La CNBPF a conçu un guide pour diminuer la consommation et donc la facture des boulangeries. Que peuvent faire concrètement les boulangers ?
Il faut par exemple réorganiser les cuissons. Parfois je me rends dans des fournils où l’on cuit les madeleines, on éteint le four, et on le rallume pour mettre les quiches. En rassemblant les cuissons, en essayant de cuire avant 6 heures du matin, on peut économiser de l’électricité. Autrefois le boulanger mettait son four en route à minuit et l’éteignait à 4 heures. Cela coûte moins cher. Je ne dis pas qu’il ne faut plus cuire l’après-midi mais il faut revoir quelques habitudes.
Ces économies ne sont-elles pas marginales ?
J’ai croisé un boulanger hier qui m’a dit avoir gagné 15 % sur sa facture en économisant. On sait que ça marche. Il faut aussi changer les joins dans les frigos, installer des ampoules LED pour les éclairages. Cela ne demande pas de gros investissements. Mais pendant longtemps on n’a pas fait attention. Après, celui qui ne veut pas changer sa façon de travailler ni augmenter ses prix va avoir du mal à s’en sortir. C’est évident.
Une question de survie ?
Les boulangeries françaises vont-elles survivre à cette crise énergétique ?
Les boulangeries françaises ne vont pas mourir. Ça ne sert à rien de dramatiser. Nous cherchons 29 000 apprentis par an, qu’allons-nous dire aux parents qui apprennent que 8 boulangeries sur 10 vont fermer en 2023… Alors que c’est complètement faux ! Certes, ce n’est pas cet hiver que nous allons gagner le plus d’argent. Mais il faut serrer les poings. Prendre les aides, augmenter les prix, faire de la sobriété et nous allons passer cette crise.
Cette situation ne vient-elle pas entacher la récente distinction de la baguette française, désormais inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO ?
Il faut regarder ce qui se passe ailleurs. Je reviens de Bruxelles, les boulangeries ferment les unes après les autres, car elles n’ont pas de boucliers tarifaires. Les augmentations peuvent être multipliées par 10 voire 15 !
En France, 60 % du marché est encore détenu par les boulangeries artisanales. Depuis 1998, il faut fabriquer son pain sur place pour avoir le droit de s’appeler « boulangerie ». Nous avons encore un modèle unique en Europe.
Grâce à cette inscription à l’UNESCO, notre produit a rayonné dans le monde entier, et cela va continuer.
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