« La démographie, c’est le destin. ». Cette formule d’Alfred Sauvy, économiste et démographe, demeure d’une acuité saisissante à l’heure où les pays développés sont confrontés au mur du vieillissement. Alfred Sauvy rappelait que la population n’est pas une donnée extérieure à l’économie, elle en est la colonne vertébrale, le ressort invisible qui irrigue la production, la consommation et l’innovation. Les Trente Glorieuses ont démontré toute l’importance de la démographique. Entre 1946 et 1973, la France voit ainsi sa population passer de 40 à 52 millions d’habitants, portée par le baby-boom. Chaque année, plus de 850 000 naissances nourrissent la demande et l’investissement. La croissance du PIB dépasse alors 5 % par an. Aujourd’hui, le contraste est frappant. En France, le taux de fécondité est tombé à 1,6 enfant par femme en 2024, contre plus de 2,9 au début des années 1960. La part des plus de 65 ans atteint 21 % de la population, et le rapport cotisants/retraités qui était de 4 en 1960, n’est plus que de 1,7 en 2023. Alfred Sauvy avait écrit : « Quand les jeunes manquent, c’est l’avenir qui s’étiole. ». Une démographie dynamique ne se résume pas à une question d’effectifs. En effet, c’est plus d’actifs pour produire, plus de consommateurs pour acheter, plus d’esprits jeunes pour innover et bousculer les routines. À l’inverse, le vieillissement installe une économie de rente et de précaution, moins portée à prendre des risques, à entreprendre, à inventer.
Cycles financiers et démographiques
Les marchés financiers et immobiliers épousent également les cycles démographiques même si des décalages dans le temps peuvent se produire. Dans une population vieillissante, à terme, le prix des actifs est amené à s’éroder.
Lors de ces trente dernières années, l’espérance de vie à la naissance a gagné plusieurs années dans toutes les grandes économies, à l’exception notable des États-Unis. En zone euro, elle est passée de 79 ans à plus de 82 ans entre 1995 et 2023. Au Japon, elle atteint désormais 85 ans, La Chine et l’Inde ont également connu des progrès rapides et un rattrapage spectaculaire. L’espérance de vie est passée de 69 ans en 1995 à 77 ans en 2023 pour la Chine en 2023 et de 62 ans à 70 ans pour l’Inde. Les États-Unis confrontés à une montée de l’obésité et de la consommation d’opiacées n’ont pas connu de progrès en matière d’espérance de vie. Elle est stable depuis trente ans, autour de 77 ans.
Le deuxième moteur du vieillissement est la chute du taux de fécondité. En Europe, on tourne autour de 1,5 enfant par femme, bien en-deçà du seuil de remplacement des générations (2,1). Le Japon, se situe même à 1,3 et la Corée du Sud tourne autour de 0,8. La Chine suit le même chemin que les pays occidentaux malgré l’abandon de la politique de l’enfant unique. Le taux de fécondité n’y dépasse pas 1,5 enfant par femme. En revanche, l’Inde conserve une fécondité supérieure à 2,0, gage de renouvellement démographique, tandis que les États-Unis se maintiennent autour de 1,7.
Ces deux mouvements – allongement de l’espérance de vie et baisse du nombre de naissances – transforment en profondeur la structure des populations. Le rapport entre les 65 ans et plus et les 15-64 ans, indicateur clé de dépendance, augmente rapidement. Dans la zone euro, il est passé de 20 % en 1995 à près de 35 % en 2025, et il dépassera 55 % en 2045. Après avoir profité d’un dividende démographique, la Chine, a basculé dans le vieillissement. À l’inverse, le taux en Inde est de 15 % en 2025. Aux États-Unis, il avoisine 30 %.
Trop de biens immobiliers ?
Dès lors, l’économie s’oriente vers un excès structurel d’offre d’actifs financiers et immobiliers. Les retraités vendent leurs biens pour financer leur retraite, tandis que les jeunes, moins nombreux, sont dans l’incapacité de les absorber. Le Japon est le laboratoire de cette mécanique. Depuis l’éclatement de la bulle immobilière des années 1990, les prix des logements sont orientés à la baisse. En Europe, l’indice immobilier de la zone euro, base 1995=100, plafonne à 200 en 2025, loin derrière les dynamiques américaines. La progression des prix des logements concerne essentiellement les grandes villes qui concentrent une part croissante de la population. Depuis plusieurs années, l’immobilier chinois connaît une crise profonde. La contraction de la population active a provoqué une baisse des prix. Après avoir doublé entre 2009 et 2019, ils ont perdu plus de 20 % en cinq ans. À l’opposé, les États-Unis et l’Inde affichent des hausses soutenues. L’indice immobilier américain dépasse 350 en 2024 (base 2009=100), tiré par la croissance démographique et le crédit abondant. Avec une urbanisation galopante et une fécondité encore élevée, l’Inde, connaît une forte progression avec un indice proche de 400.
Les bourses aussi ?
Les indices boursiers reflètent également l’évolution démographique. Depuis 1995, l’indice Sensex indien a gagné près de 2 500 %, porté par la jeunesse de sa population, l’essor technologique et la confiance des investisseurs étrangers. De son côté, le S&P 500 américain a multiplié sa valorisation par près de 7 depuis 1995. Ce dynamisme s’explique par une démographie moins défavorable, mais aussi par la montée en puissance des entreprises du secteur des technologies de l’information. La relative vigueur de la natalité et l’immigration entretiennent un flux constant d’acheteurs d’actifs.
À l’inverse, l’Euro Stoxx 50 peine à tripler sa valeur en trente ans. Le Nikkei japonais, malgré un rebond depuis un an a connu une lente stagnation depuis 1990. L’indice chinois « Shanghai Composit » stagne depuis 15 ans et illustre l’essoufflement d’une économie vieillissante avant même d’avoir pleinement émergé.
La corrélation entre valorisation des actifs et démographie n’est pas parfaite. Les pénuries de logements dans certaines métropoles et le durcissement des règles d’urbanismes maintiennent artificiellement des prix élevés malgré le vieillissement. Les achats par les non-résidents peuvent compenser la faiblesse de la demande domestique, en particulier en Europe. Ces effets correctifs ne joueront pas indéfiniment. Sur le long terme, les prix devront baisser d’autant plus que les pouvoirs publics limiteront la progression des pensions de retraite et la prise en charge des dépenses de santé.
L’investisseur européen ou japonais ne peut plus extrapoler le passé. L’idée que « la pierre monte toujours » ou que « les actions finissent par performer » se heurte à la réalité du vieillissement. La prudence impose. Pour contrer cette réalité, une diversification internationale s’impose, en particulier vers les zones jeunes et dynamiques (Inde, États-Unis, Canada, Asie du Sud-Est et Afrique à terme). Il convient de surveiller l’évolution des politiques migratoires qui détermineront la vitalité future des marchés domestiques. Pour éviter toute déconvenue, les investisseurs doivent réévaluer la place de l’immobilier résidentiel dans leur patrimoine.
Le vieillissement agit comme une force de gravité sur les prix des actifs. Les États-Unis et l’Inde bénéficient d’un réel avantage avec une démographie favorable à la différence de l’Europe, de la Chine et du Japon. Pour ces derniers, une dépréciation du cours des actifs est loin d’être improbable même si pour le moment certains facteurs peuvent retarder l’échéance.
Auteur/Autrice
-
Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
Voir toutes les publications