Le débarquement allié du 6 juin 1944 ayant pour nom de code « Neptune » demeure, 80 ans après, la plus grande opération militaire de l’histoire par les effectifs mobilisés et la logistique nécessaire à son succès. 156 177 hommes (cinq divisions d’infanterie et trois divisions aéroportées) sont débarqués le jour J, dont 10 470 sont tués, blessés ou portés disparus, selon les chiffres du Mémorial de Caen.
Par mer, arrivent sur les côtes françaises 133 000 hommes dont 58 000 Américains, 54 000 Britanniques, 21 000 Canadiens et 177 Français (le commando Kieffer). 23 000 hommes sont mobilisés : 13 000 parachutistes américains sont largués sur le Cotentin et 10 000 Britanniques entre l’Orne et la Dives. Pour la seule journée du 6 juin, 11 500 appareils sont mobilisés et 11 912 tonnes de bombes sont déversées sur les défenses côtières allemandes. 6 939 navires sont engagés dans la bataille de Normandie dont les fameuses barges de débarquement. Pour garantir l’approvisionnement des armées, la flotte logistique compte à elle seule 736 navires auxiliaires et 864 navires marchands. Deux ports artificiels sont construits en pleine mer. Plus de 20 000 véhicules et un millier de chars sont débarqués.
Un rendez-vous international dont la portée dépasse le simple rappel des faits passés
Le 80e anniversaire permet d’honorer les derniers survivants de cet évènement et constitue un rendez-vous international dont la portée dépasse le simple rappel des faits passés, comme le prouve la présence du Président ukrainien, Volodymyr Zelensky aux côtés des Présidents Joe Biden et Emmanuel Macron. Ont également participé à cet anniversaire le Roi d’Angleterre, Charles III, le prince William, le Chancelier allemand Olaf Scholz, le Président de la République italienne Sergio Mattarella, le Premier ministre canadien Justin Trudeau, le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, ainsi que les Premiers ministres Mette Frederiksen pour le Danemark, Luc Frieden pour le Luxembourg, Kyriakos Mitsotakis pour la Grèce, Jonas Gahr Store pour la Norvège et Mark Rutte pour les Pays-Bas, Zuzana Caputova, pour la Slovaquie, Andrzej Duda pour la Pologne, Petr Pavel pour la République tchèque. Henri, le grand-duc du Luxembourg, Albert II de Monaco, Willem-Alexander, Roi des Pays-Bas, Philippe, le roi des Belges et Frederik X, Roi du Danemark, ont assisté à la cérémonie.
La commémoration du 6 juin a fortement évolué dans le temps pour prendre au fil des années une signification de plus en plus diplomatique. Dans les années 1950 et 1960, le 6 juin était avant tout une affaire de militaires. Pour le dixième anniversaire, en 1954, le Président René Coty est néanmoins présent. Le film « le jour le plus long » sorti en salle en 1962 et scénarisant le débarquement contribue à populariser ce dernier. Ce film valorise les Alliés et leurs valeurs, en pleine période de guerre froide, avec l’URSS. Pour éviter de heurter la République fédérale, le film n’aborde pas le nazisme et se borne aux faits militaires.
Les Gaullistes préféraient mettre en avant le 15 août, date du débarquement en Provence auquel ont participé des troupes françaises.
Dans la geste gaulliste, le 6 juin est loin d’être encensée. Le Général de Gaulle en a toujours voulu à Winston Churchill et à Franklin D. Roosevelt de ne pas l’avoir tenu informé de la date du débarquement et de ne pas avoir réellement associé les soldats de la France Libre aux opérations à l’exception du Commando Kieffer qui avait été placé sous l’autorité des forces britanniques. Les Gaullistes préféraient mettre en avant le 18 juin, jour de l’Appel, le 15 août, date du débarquement en Provence auquel ont participé des troupes françaises, ou le 25 août, le jour de la libération de Paris.
L’occultation du 6 juin est à mettre au compte des mauvaises relations qu’entretenait le Général avec les autorités américaines. Malgré tout, en 1964, pour la première fois, en direct, la télévision française retransmet les cérémonies commémoratives. Vingt ans après le débarquement, pour la première fois transparaissent son importance et le rôle des Américains. Ce vingtième anniversaire se fit sans la présence du Président, Charles de Gaulle.
Le 6 juin 1974, le Président nouvellement élu, Valéry Giscard d’Estaing, ancien soldat de la 2e DB du général Leclerc, ne participe pas aux cérémonies. Il préfère se rendre sur les plages de Normandie avec Jimmy Carter, le 5 janvier 1978, en dehors de tout calendrier commémoratif.
Il faut attendre l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir en 1981 pour que les commémorations du 6 juin deviennent des évènements diplomatiques. En décembre 1983, la présidence de la République française décide de faire des cérémonies du 40e anniversaire du débarquement en Normandie un « sommet commémoratif international ». À compter de 1984, le 6 juin donne ainsi lieu à une mise en scène diplomatique visant à prouver au monde entier le rôle et le poids de la France. En 1984, Les Reines Beatrix des Pays-Bas et Elizabeth II d’Angleterre, les Rois Olav V de Norvège et Baudouin de Belgique, le Grand-duc Jean de Luxembourg et le Président américain Ronald Reagan sont présents aux côtés de François Mitterrand à Utah-Beach.
Pour le 50e anniversaire, en 1994, la France accueille une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement
Pour la première fois de l’histoire des commémorations, un Président des États-Unis participe ainsi aux cérémonies. À noter que le 6 juin 1988, François Mitterrand, entouré de nombreux chefs d’État inaugure le Mémorial de la paix de Caen consacré en grande partie au débarquement, preuve de la volonté des pouvoirs publics d’intégrer cette date dans la mémoire collective. Pour le 50e anniversaire, en 1994, la France accueille une vingtaine de chefs d’État et de gouvernement, le Président américain Bill Clinton, la Reine d’Angleterre Elisabeth II, le Roi Albert II de Belgique, le Grand-duc de Luxembourg, le Roi Harald de Norvège, la Reine Beatrix des Pays-Bas, le Président polonais Lech Walesa, le Président tchèque Vaclav Havel, le Gouverneur général du Canada, ainsi que les Premiers ministres australien, belge, canadien, britannique, néo-zélandais et néerlandais. Malgré l’absence du chancelier, Helmut Kohl, la mémoire de tous les soldats tombés en Normandie sont honorés, y compris les Allemands. Dans son discours de clôture, François Mitterrand a rappelé que le Débarquement est avant tout le point de départ de la victoire de la liberté contre la barbarie et le nazisme, invitant implicitement à ne plus assimiler l’Allemagne et les Allemands à l’ennemi. Par ailleurs, le Président des États-Unis, Bill Clinton, a rendu hommage aux résistants français qui ont rendu possible le succès de l’opération.
Gerhard Schröder fait l’accolade à Jacques Chirac au Mémorial de la Paix de Caen
En 2004, le 60e anniversaire est marqué par la participation, pour la première fois, du Président russe en la personne de Vladimir Poutine et du chancelier allemand Gerhard Schröder qui fait l’accolade au Président Jacques Chirac, non pas sur une plage du débarquement, mais au Mémorial de la Paix de Caen.
En 2014, pour le 70e anniversaire, la question ukrainienne est déjà au cœur des préoccupations des chefs d’État et de gouvernement présents en raison de l’invasion russe de la Crimée effectuée au cours du printemps. Pour la seconde fois et la dernière, Vladimir Poutine assiste aux cérémonies mais les relations avec les autres responsables politiques, et en particulier avec Barack Obama, sont glaciales.
En coulisse, François Hollande et Angela Merkel réussissent à réunir le président russe et le président ukrainien. Ainsi est créé le « format Normandie » (Ukraine, Russie, France, Allemagne réunie), un format qui se répète à de nombreuses reprises jusqu’en 2022 et l’invasion de l’Ukraine.
Au-delà des commémorations, les plages du débarquement sont devenues des hauts lieux du tourisme mémoriel. En 2023, près de 22 millions de personnes les ont visitées. Les étrangers représentent 44 % des visiteurs. Environ 3,2 millions étaient américains ou britanniques. Le troisième plus grand contingent étranger est constitué d’Allemands. Il convient de souligner qu’il existe six cimetières de guerre allemands en Normandie, dont le plus grand se trouve juste à l’intérieur des terres d’Omaha Beach, à La Cambe, contenant les corps et restes de plus de 21 000 soldats allemands.
Un symbole de liberté.
Depuis l’ouverture du premier musée du Débarquement à Arromanches en 1954, le nombre de sites officiels consacrés à cet évènement atteint 123 selon l’Office du tourisme de Normandie. Avec le temps, les traces physiques du débarquement s’estompent en raison de l’érosion. En 2016, le sentier a été fermé entre Omaha Beach et le cimetière américain, un site époustouflant de croix blanches et de pins surplombant la mer. À l’ouest d’Omaha, à la Pointe du Hoc, où 200 Rangers américains ont escaladé les falaises, l’American Battle Monuments Commission a fermé et dévié des sentiers en raison de glissements de terrain et d’une forte fréquentation. Les caissons du port artificiel de la plage d’Arromanches disparaissent progressivement tout comme les bunkers.
Malgré la disparition des vestiges, l’engouement pour le 6 juin ne diminue pas car cette date est perçue, malgré les 20 000 civils et les dizaines de milliers de militaires tués, comme un symbole de liberté. Cette date marque surtout le retour de l’espoir après quatre années de guerre et d’occupation nazie ainsi que le sacrifice de milliers de soldats alliés.
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