Alors que l’exécutif envisage un emprunt national pour financer le réarmement de la France, une question se pose : faut-il ouvrir cette souscription aux Français établis à l’étranger ? Avec plus de 2,5 millions de Français vivant hors de France, cette diaspora représente un réservoir potentiel d’épargne non négligeable. Mais si cette ouverture peut apparaître séduisante sur le papier, elle soulève aussi des défis politiques et fiscaux. Notamment pour ceux installés hors de l’Union européenne.
L’urgence d’un réarmement, la contrainte budgétaire
Alors que la menace russe se fait plus pressante et que les États-Unis se désengagent progressivement du front ukrainien, l’Europe doit accélérer son réarmement. La France, qui ambitionne une autonomie stratégique renforcée, doit donc trouver des financements massifs pour moderniser ses équipements militaires et accroître ses capacités. Mais avec une dette dépassant les 3 000 milliards d’euros, le gouvernement marche sur une corde raide : mobiliser des ressources sans alourdir la pression fiscale ni creuser le déficit.
C’est dans ce contexte que revient l’idée d’un emprunt national. Une formule qui a déjà été utilisée à plusieurs reprises au XXᵉ siècle pour financer des crises et des transitions majeures.
Le précédent des emprunts nationaux : une leçon d’histoire
L’histoire française est jalonnée de levées de fonds auprès des citoyens pour soutenir des efforts nationaux. En 1945, l’emprunt de la Libération a permis de financer la reconstruction du pays après la Seconde Guerre mondiale. Dans les années 1950 et 1970, l’État a tenté de séduire les épargnants en indexant certains emprunts sur l’or, comme l’emprunt Pinay (1952) et l’emprunt Giscard (1973). Une stratégie qui s’est retournée contre lui lorsque le métal précieux a vu son cours s’envoler. Augmentant considérablement le coût du remboursement.
Dans les années 1980 et 1990, d’autres formules ont été testées, comme l’emprunt Barre (1977), garanti par l’ECU, ou l’emprunt Mauroy (1983), qui imposait un prélèvement forcé aux contribuables aisés. L’expérience la plus récente, l’emprunt Balladur (1993), a été plus sobre, proposant un taux garanti et sans indexation risquée.
Emprunt national : une solution viable aujourd’hui ?
L’idée d’un nouvel emprunt national séduit certains responsables politiques, notamment François Bayrou, qui a reconnu ce vendredi 7 mars sur Europe 1 que cette piste était « une possibilité ». Le tout en précisant qu’aucune décision n’avait encore été prise.
Mais cette option comporte des risques. La confiance des Français dans ce type de placement pourrait être mise à l’épreuve. Notamment après les mésaventures des emprunts indexés du passé. De plus, le rendement proposé devra être attractif pour convaincre les épargnants sans peser trop lourdement sur les finances publiques.
Les Français établis à l’Etranger: Une opportunité financière et stratégique
L’ouverture de la souscription aux Français de l’étranger pourrait renforcer la portée et la crédibilité de l’emprunt. De nombreux expatriés, notamment en Europe et en Amérique du Nord, disposent d’une capacité d’épargne élevée et pourraient voir dans cet emprunt une manière de contribuer directement à l’effort national.
Pour les Français résidant dans l’Union européenne, la souscription serait techniquement relativement simple. Grâce à l’harmonisation financière et bancaire, les flux monétaires entre la France et les pays de l’UE sont facilités. Un expatrié en Allemagne, en Espagne ou en Belgique pourrait investir dans l’emprunt comme n’importe quel résident français, bénéficiant des mêmes conditions et garanties.
Pour ceux vivant hors de l’Union européenne, la participation pourrait avoir un autre attrait : un attachement symbolique à la France. Certains pourraient voir dans cet emprunt une opportunité de maintenir un lien économique avec leur pays d’origine, notamment en cas d’avantages fiscaux à la clé.
Des obstacles politiques et fiscaux pour les expatriés hors UE
Si ouvrir l’emprunt aux expatriés semble une évidence pour les Français établis en Europe, la situation se complique pour ceux vivant en dehors de l’UE. Plusieurs obstacles se dressent sur le chemin d’une souscription universelle :
- Un casse-tête fiscal
- Un Français résident en Suisse, aux États-Unis ou aux Émirats arabes unis n’est pas soumis à l’impôt en France, sauf en cas de revenus de source française. Peut-on leur offrir les mêmes conditions que les résidents fiscaux français, notamment sur les exonérations d’impôts sur les intérêts ?
- Certains pays, comme les États-Unis, imposent des réglementations strictes sur les placements étrangers (FATCA) qui pourraient compliquer la souscription de Français établis sur leur sol. Surtout avec la philosophie de l’actuelle administration américaine !
- Un risque de contestation politique
- Un emprunt national repose sur une idée simple : faire appel à la solidarité financière des citoyens pour financer des priorités nationales. Or, permettre à des Français non-contribuables de souscrire à un placement potentiellement avantageux pourrait provoquer des tensions. Les intérêts pourraient être fiscalisés à l’étranger et ce manque fiscal pourrait ne plus “réduire” l’emprunt national.
- Certains pourraient y voir une iniquité, notamment si ces investisseurs établis à l’étranger bénéficiaient d’exonérations fiscales ou d’un traitement préférentiel dans le pays où ils sont imposables par rapport au contribuable français.
- Des barrières administratives et bancaires
- L’ouverture de l’emprunt aux Français du monde nécessiterait un cadre juridique clair. Notamment sur les conditions de souscription et de remboursement.
- Certaines banques étrangères (voire de l’UE comme en Hongrie) pourraient refuser de traiter des souscriptions ayant pour but le financement l’armement français.
- Certaines législations étrangères pourraient aussi avoir tout simplement interdit ce type de transaction à leurs résidents.
Un pari stratégique à double tranchant
L’ouverture de l’emprunt aux Français de l’étranger pourrait donc être une opportunité financière pour l’État. Mais aussi un enjeu diplomatique et fiscal délicat. Si la France décide d’inclure sa diaspora, elle devra clarifier les conditions d’accès et de taxation. Le tout en veillant à ne pas créer d’inégalités entre les souscripteurs.
À quelques mois de potentielles annonces, le gouvernement devra trancher : veut-il un emprunt réellement national, accessible à tous les Français, où qu’ils soient ? Ou privilégiera-t-il une approche plus traditionnelle, réservée aux contribuables hexagonaux ? Une décision qui, au-delà des finances, enverra un message fort sur la place des expatriés dans l’effort national.
L’emprunt national n’est toutefois qu’une piste parmi d’autres. Certains plaident pour un effort budgétaire européen mutualisé, permettant aux États membres de partager le fardeau du réarmement. D’autres envisagent une taxation ciblée sur les secteurs stratégiques, notamment ceux qui bénéficient de la reconfiguration géopolitique actuelle.
Si aucune décision n’a encore été actée, les prochains mois, l’arbitrage budgétaire français, combiné aux discussions européennes, déterminera si l’appel à l’épargne nationale deviendra, une fois de plus, un outil de financement de l’Histoire.
Auteur/Autrice
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Gilles Roux est un juriste, entrepreneur et auteur français qui vit dans la région de Mannheim en Allemagne depuis plus de 35 ans.
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