Durant la pandémie sans précédent que nous traversons, il est logique s’interroger sur la coopération européenne pour cette Journée de l’Europe : comment l’Union peut-elle obtenir des résultats concrets pour ses citoyens ?
Stef Blok est ministre des Affaires étrangères des Pays-Bas, et membre du gouvernement néerlandais de Mark Rutte depuis 2012. Le pays, soutenu par l’Allemagne, refuse toute mutualisation de dette entre les pays européens qui n’ont pas les mêmes pratiques en matière d’endettement.
L’UE est née sur les ruines de la guerre.
Le choix s’est alors porté sur une coopération axée sur des produits basiques : le charbon et l’acier, l’idée sous-jacente étant qu’une communauté d’intérêts autour de ces matériaux essentiels créerait une communauté de destin et, partant, réduirait le risque de conflit. À l’heure où les tensions s’accroissent, nous oublions trop facilement que la mise en œuvre de cette idée a réussi au-delà de toute attente. Au fil du temps, les pays et les régions ont pu gagner en compétitivité, soutenus par l’impulsion donnée à leur économie, et devenir ainsi des acteurs du marché intérieur.
Le vin, les olives, les fromages français ou les fleurs coupées néerlandaises ont longtemps été des produits hors de portée du consommateur moyen des Pays-Bas, d’Italie ou d’Espagne. Se rendre sur la côte méditerranéenne ou au Rijksmuseum d’Amsterdam était réservé à une élite disposant des moyens financiers et du temps libre permettant de voyager à l’étranger, avec le change et les contrôles douaniers afférents. Divers territoires d’Europe centrale et orientale ont longtemps fait partie d’une alliance ennemie. Leurs habitants sont aujourd’hui intégrés à une communauté européenne fondée sur la liberté, les droits de l’homme et la prospérité. Si l’UE n’est pas parfaite, elle a aux yeux de beaucoup d’habitants de pays tiers suffisamment de qualités pour qu’ils risquent littéralement leur vie en tentant de la rejoindre.
La réussite de l’idéal européen est passée par des étapes souvent lentes et difficiles.
La force de la coopération internationale est en même temps son point faible. C’est une gageure de parvenir à un accord entre différents pays, et sa mise en œuvre bute elle aussi souvent sur des divergences nationales. En temps de crise, la résurgence de ces faiblesses résonne douloureusement.
Si nous voulons coopérer plus efficacement au sein de l’Europe, il serait utile de tirer les enseignements de nos succès et échecs passés. Les succès en matière de commerce, de liberté et de droits de l’homme viennent facilement à l’esprit : coopération dans la lutte contre la criminalité transfrontalière, lutte contre la pollution environnementale et protection des consommateurs. Autant d’avancées qui ont certes nécessité de longues concertations techniques, mais ont eu un impact positif sur la vie des citoyens ordinaires.
Tout ne s’est pas toujours bien passé, témoin le non massif des Français et des Néerlandais contre le projet de constitution européenne, en 2005, et l’ambition déçue de devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde en 2010. Des améliorations restent possibles dans de nombreux domaines ; par exemple s’agissant du fonctionnement de la zone euro, de la politique commune en matière d’asile et de la politique étrangère et de sécurité commune. Même constat pour les impulsions visant à accroître la compétitivité, qui ont rendu certains pays ou régions dépendants de l’aide européenne. Au lieu d’être pour autant que possible progressivement supprimée, elle entrave l’élaboration d’un budget européen porteur d’avenir.
Les échecs ont souvent été dus à un excès de zèle.
Nombre de personnes se sont opposées à une « union toujours plus étroite » tout en étant favorables à une coopération avec les pays voisins qui préserve les compétences nationales. Elles n’étaient pas seulement mues par un sentiment national et la volonté de maintenir le processus décisionnel au plus près, mais aussi par leur observation dans la pratique du revers de la coopération internationale. Les différences de mise en œuvre et de respect des mesures convenues sapent leur confiance. C’est pourquoi il est essentiel que tous les pays respectent les accords relatifs à l’État de droit, un des fondements de l’UE. « L’économie de la connaissance la plus compétitive et dynamique du monde » supposait la mise en place dans le monde de l’entreprise et de l’enseignement d’un type de concurrence dure, modèle inacceptable pour beaucoup d’Européens. La leçon de tout cela est que l’UE ne doit pas s’abriter derrière des stratégies par trop ambitieuses. L’UE réussit en avançant pas à pas sur des questions concrètes de portée transfrontalière. Nous devons coopérer dans les domaines où nous pouvons former ensemble un front solide.
Solidarité le maitre mot
Alors que la pandémie du COVID-19 est loin d’être finie, une tâche complexe nous attend : lutter efficacement contre cette crise et capitaliser sur les succès de la coopération européenne afin d’obtenir des résultats de qualité pour les habitants de l’UE et de préserver la confiance politique. La souffrance des victimes du coronavirus dans toute l’Europe — et en particulier en Italie et en Espagne, durement touchées — nous engage à agir. Sur le plan médical, nous devons veiller à ne plus dépendre d’un petit nombre de fournisseurs lointains, voire d’un seul. Cette dépendance souligne encore l’importance d’un front européen commun au niveau international, de sorte à ne pas être dressés les uns contre les autres. Comme lors de précédentes crises économico-financières, la récession qui nous attend demande des mesures nationales visant à consolider durablement nos économies et finances publiques respectives. Ce qui n’exclut évidemment pas d’agir au niveau international en vue de maintenir l’ouverture des canaux commerciaux et de garantir nos libertés et notre sécurité.
En période de crise, il importe aussi de favoriser la solidarité, ici aussi souvent sur un plan très concret. Je pense à de beaux exemples de coopération ayant permis le transfert de patients vers un autre État membre, à des dons de matériel médical et au rapatriement commun des voyageurs bloqués à travers le monde. Mais les grands projets relatifs à l’émission de dette commune sont voués à connaître le même sort que les précédents vastes desseins européens : irréalisables, car se heurtant à une trop grande complexité, à de trop grandes différences et à des conséquences imprévues. Car que sera l’âge de la retraite paneuropéen ? Quel sera le montant des prestations sociales paneuropéennes ? Ces projets sont en outre nocifs, car ils susciteront forcément de nouveau l’opposition des Européens qui sont favorables à la coopération pour autant qu’elle respecte les compétences nationales.
Les Pays-Bas sont bien sûr prêts à se montrer solidaires, y compris financièrement sur la base de plans d’investissement détaillés et de finances publiques durablement maîtrisées. Ils continuent de s’engager dans la voie qui s’est avérée féconde pour l’UE, et pour eux-mêmes. Un engagement à la fois ambitieux et pragmatique en faveur d’une coopération génératrice d’avancées : accords sur le climat, politique d’innovation ambitieuse, suppression des barrières commerciale et renforcement de l’économie numérique, mais aussi élaboration d’une politique efficace en matière d’asile et défense de l’État de droit et des droits de l’homme, si nécessaire à l’aide de sanctions. Tout cela demande une UE aguerrie au plan géopolitique. La solidarité suppose aussi des efforts de la part de chaque État membre. C’est à cette condition que l’entraide est possible et que peuvent être obtenus les résultats attendus par les citoyens. La Commission européenne peut promouvoir cette Europe ambitieuse qui œuvre pour ses habitants en remplissant le rôle crucial qui est le sien : veiller au respect des accords passés, quelles que soient les personnes concernées, et ne pas se réfugier dans de grands desseins, mais choisir d’avancer par étapes concrètes. Les résultats tangibles valent mieux que les perspectives lointaines.
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