Ils étaient près de 150 000 manifestants ce vendredi 7 février à protester contre la politique autoritaire et pro-russe du premier ministre slovaque Robert Fico. Depuis janvier, l’opposition pro-européenne a lancé un puissant mouvement de mobilisation. C’est d’ailleurs la visite du premier ministre à Moscou en décembre dernier qui a provoqué l’ultime étincelle de cette indignation collective.
Le feu couvait depuis une série de mesures répressives touchant la presse et la justice et après une purge dans les milieux culturels. Parmi les manifestants quelques Français de Slovaquie. Des étudiants, mais surtout des binationaux établis dans le pays depuis longtemps et venus souvent en famille. Au-delà de ces personnes mobilisées, les 4000 compatriotes immatriculés auprès du consulat semblent opter pour un soutien plus circonspect.
Slovaquie des villes contre Slovaquie des campagnes
Depuis janvier les manifestations se succèdent le week-end. La Slovaquie des villes est dans la rue. Nos compatriotes Français sont, certes, des spectateurs attentifs de ces manifestations pro-européennes dont ils partagent souvent les valeurs. Mais tous ne rejoignent pas les cortèges, loin de là. Et ils se contentent alors d’observer la situation à la télévision ou sur les réseaux sociaux.
Comme l’indique Frédéric Le Vouëdec-Guéganno, élu consulaire et enseignant résidant dans la capitale slovaque depuis une vingtaine d’années, en matière de mobilisation « Il y a Bratislava et le reste de la Slovaquie ». En effet, les électeurs pro-européens des grandes villes se sont sentis floués par l’élection qui a ramené Robert Fico au pouvoir en octobre 2023. « Pendant une grande partie du dépouillement, Fico était battu puis c’est le vote des campagnes qui a fait la différence dans la dernière ligne droite ». Une partie du pays n’est donc pas représentée dans les cortèges et la popularité du Premier ministre chez cette Slovaquie des campagnes reste plutôt élevée.
De son côté, l’élu français salue le caractère pacifique de ces rassemblements, sentiment partagé par Fabrice Tressard, également élu consulaire sur une circonscription qui compte aussi l’Autriche et la Slovénie. « Dans ma famille, ma femme et mes enfants se sentent concernés au point d’aller manifester. On compte d’ailleurs beaucoup de familles et l’ambiance reste cordiale »
Des Français de Slovaquie qui participent individuellement aux mobilisations
Quand nos compatriotes participent aux manifestations, c’est à titre individuel. Nous n’avons pu discerner à ce stade de mobilisation collective de partis ou d’associations représentant la communauté française. La discrétion est de mise. Sur Facebook, le groupe des Français en Slovaquie, qui compte 1400 membres, continue d’afficher comme actualité un tournoi de Pétanque à Kosice ou à faire la promotion de la dernière soirée Beaujolais. Il n’y a aucune photos ou commentaires sur les manifestations.
Même position du côté de l’Ambassade et de l’institut français. On s’en tient à la réserve diplomatique d’usage. A l’institut de Bratislava, le dernier débat public organisé en octobre portait pourtant sur l’état de la démocratie et l’indépendance de la presse. Les journalistes Frédéric Martel (Radio France) et Michal Havran (RTVS) s’étaient ainsi exprimés sur les « lignes de faille » qui traversent nos démocraties européennes avec l’arrivée de gouvernements populistes. Un débat qui anticipait sur bien des sujets de préoccupation du moment.
Les populismes d’Europe centrale qu’ils soient Hongrois ou Slovaque ont pour caractéristique commune de jouer sur la peur de l’immigration et de s’en prendre aux minorités. L’union européenne est aussi désignée comme le bouc émissaire idéal. Fabrice Tressard s’inquiète de la volonté « d’établir un régime » où la police serait totalement aux ordres alors que des purges sont menées par le gouvernement pour remplacer des personnes compétentes par des affidés ».
La menace de quitter l’Union a-t-elle des effets sur les Français de Slovaquie ?
Une des craintes majeures des manifestants est de voir le pays quitter l’Union Européenne. La question est au centre des débats depuis que Robert Fico a critiqué les sanctions de l’Union européenne contre la Russie. Il a indiqué plus récemment que l’orientation de sa politique étrangère pourrait impliquer de quitter à terme l’Union européenne et l’OTAN. En réplique à ces menaces, le slogan « La Slovaquie c’est l’Europe » est un des plus lus et entendus dans les manifestations.
Pour l’élu consulaire, Frédéric Vouëdec-Guéganno, il « ne voit pas une sortie de l’Union » se profiler et se pose davantage la question de la compétence de ce gouvernement sur les sujets européens qu’il semble mal maîtriser. Même analyse pour Fabrice Tressard qui voit le retrait de l’UE « comme une posture » auquel il ne croit pas. « Il y a déjà des familles slovaques qui vivent à l’étranger et donc une circulation libre des personnes. R. Fico n’a pas de majorité pour quitter l’Union Européenne ».
Le principal impact de la politique de l’actuel Premier ministre slovaque est de dégrader l’image extérieure de son pays qui apparait alors comme un pays divisé doté d’un gouvernement populiste pro-russe. L’axe politique Budapest Bratislava semble ainsi se renforcer. Le leader hongrois Viktor Orban fait figure de modèle. Sa politique de répression des opposants, ses liens étroits avec Moscou ou sa défiance affichée vis-à-vis des politiques progressistes de l’Union attirent et fascinent une partie de l’opinion slovaque. R. Fico n’est que la chambre d’écho de forces plus souterraines qui traversent l’Europe centrale et orientale.
Pas d’effet sur la volonté des Français de venir s’installer en Slovaquie
Fabrice Tressard pense que la jeunesse slovaque diplômée pourrait avoir l’envie d’aller voir ailleurs du fait de l’atmosphère politique clivée. Mais il ne voit pas d’effet négatif réel sur les Français qui ont pour projet de venir s’installer dans le pays. Que ce soit parmi les familles franco-slovaques de l’étranger qui cherchent à se rapprocher de leurs parents, ou pour les personnes qui sont en quête d’une première expérience de travail, la Slovaquie et son marché libéral offrent encore des opportunités pour les jeunes diplômés comme pour les professionnels plus expérimentés.
Ces manifestations mettent surtout un coup de projecteur sur un pays qui reste relativement méconnu des Français de France. Le moment est jugé historique. Les mobilisations d’aujourd’hui rappellent celles de mars 2018. Quand c’était déjà Robert Fico qui était dans le collimateur de manifestants lui reprochant son implication supposée dans le meurtre du journaliste d’investigation Jan Kuciak.
La diaspora slovaque s’est mobilisée vendredi dernier de façon symbolique devant les représentations diplomatiques slovaques. On a vu des groupes manifester à Prague, Londres, Stockholm, Copenhague ou New-York. Les Slovaques de Paris ont pu aussi se faire entendre à cette occasion directement ou sur les réseaux sociaux.
Un durcissement du conflit pourrait faire réagir la communauté française attachée aux valeurs démocratiques.
Si la petite communauté française de Slovaquie reste circonspecte à ce stade, un durcissement du conflit pourrait avoir peut-être des effets de mobilisation plus nets. Robert Fico a ainsi dénoncé une tentative de coup d’État de l’opposition. Si une répression violente advenait, nul doute que les réactions de nos compatriotes seraient sûrement plus nettes. L’attachement aux valeurs démocratiques est une donnée transpartisane. Et nos compatriotes sont surtout désireux de voir ce pays d’ordinaire très calme retrouver sa quiétude perdue.
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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