Suspension des trajets du week-end pendant trois semaines, annulations le jour du départ… Le train de nuit Berlin-Paris, relancé en décembre dernier après dix ans d’absence, connaît un démarrage pour le moins compliqué, et ce, malgré l’engouement des voyageurs.
Les chemins de fer autrichiens (Österreichische Bundesbahnen, ou ÖBB), exploitants des « Nightjet », ont suspendu pour trois semaines, jusqu’à la mi-mars, les liaisons entre les deux capitales le vendredi et le samedi, a indiqué à l’AFP leur porte-parole Bernhard Rieder. En cause : des travaux sur l’infrastructure ferroviaire en Allemagne. « Pendant ces nuits-là, nous ne pouvons pas faire rouler les trains car la Deutsche Bahn ne nous met pas de voies à disposition », a expliqué Bernhard Rieder. Questionnée à ce sujet par l’AFP, la compagnie ferroviaire allemande n’a pas répondu.
Grèves, travaux, déraillements
Au moment du lancement en grande pompe, le 12 décembre, trois liaisons par semaine étaient prévues avec départ les mardis, jeudis et samedis de Paris et les lundis, mercredis et vendredis de Berlin. Le service devrait devenir quotidien à partir d’octobre 2024. « C’est un symbole dont on a besoin en ce moment. C’est un symbole positif, écologique et européen », avait lancé Clément Beaune, alors ministre délégué aux Transports, lors du voyage inaugural. Outre cette suspension temporaire, les difficultés rencontrées sur cette ligne s’accumulent.
« Nous avons eu de nombreuses annulations dernièrement et nous le regrettons », a confirmé ÖBB à l’AFP. « Les clients seront indemnisés conformément aux règles générales relatives aux droits des passagers et seront bien entendu remboursés », a-t-il assuré. Du côté de la SNCF, on invoque « une conjonction de raisons », les travaux sur le réseau mais aussi un « mouvement social des conducteurs en Allemagne ». « Se sont ajoutées des perturbations temporaires liées au déraillement d’un train de fret en Grand Est », a indiqué également le groupe ferroviaire français.
Ont ainsi été annulées des liaisons entre le 9 et le 11 février en raison de travaux à Mannheim, puis entre le 12 et le 16 après le déraillement du train près de Metz. Et les grèves en France, puis à nouveau des travaux en Allemagne ont eu raison du trafic entre le 16 et le 20 février.
Lignes intérieures ? Même combat
Suivant la dynamique européenne, la SNCF avait promis la mise en place d’allers-retours quotidiens durant les vacances scolaires, puis les vendredis et les dimanches le reste de l’année sur de nombreuses destinations de province.
Mais pour exemple, et elle n’est pas la seule, la liaison ferroviaire entre Brive-la-Gaillarde et Aurillac n’a pas été assurée certaines fins de semaine, faute de locomotive adaptée, rapporte France Info. Les machines diesel utilisées sont hors d’âge et les plannings ne prévoyaient pas de locomotive de renfort en cas de panne, ce qui est arrivé plusieurs fois ces dernières semaines.
Remise sur les rails fin 2021, la ligne du sud-ouest vers Paris a connu aussi quelques perturbations durant ses premières semaines, la liaison n’étant pas toujours assurée jusqu’à son terminus à Tarbes, s’arrêtant à Toulouse. Le train de nuit Le Pyrénéen, entre la Bigorre et Paris, a repris son itinéraire historique, celui de l’emblématique Palombe bleue, nom donné au train de nuit autrefois. C’est donc par la façade Atlantique et via Lourdes, Pau, Orthez, Dax et Bordeaux que les Pyrénées sont désormais reliées à la capitale, moyennant une rallonge au niveau du temps de trajet, qui avoisine désormais les douze heures. Ce qui semble être le chemin des écoliers vise en fait à desservir les grandes villes pour y trouver des voyageurs. Ainsi, pendant les deux premières semaines, un train de nuit sur cinq s’est révélé complet (400 clients par train) dans les deux sens durant cette période.
Vers les Hautes-Alpes, la desserte de nuit est elle aussi cahotante. Ainsi, le 24 janvier, le « train de nuit » est arrivé vers 19 h 30 avec près de 11 heures de retard sur l’horaire prévu. Doit-on toujours parler de train de nuit ? Les voyageurs du Paris-Briançon ont donc mis 22 heures pour rejoindre la cité Vauban. Leur Intercités 5787 s’est arrêté à Lyon Part-Dieu à la suite d’une panne de signalisation. Invités à rejoindre Marseille par TER, les voyageurs ont ensuite eu un autre problème avec le Marseille-Briançon. La SNCF, qui accorde à l’ensemble des passagers une compensation exceptionnelle de 200 % du prix du billet, s’est révélée défaillante techniquement mais aussi incapable d’assurer une logistique de crise efficace. Pour rejoindre Gap et Briançon, il était plus pertinent de passer par Grenoble que par Marseille, comme l’ont fait certains passagers. Ils connaissaient la géographie.
Un modèle économique intenable ?
Pour bien comprendre le modèle économique d’un train de nuit, il faut d’abord examiner le matériel utilisé par la SNCF. Quelques voitures de la famille Corail ont été adaptées aux dessertes nocturnes, équipées du wi-fi. Ainsi une voiture de deuxième classe qui, de jour, peut transporter 80 passagers dans dix compartiments, ne propose plus, de nuit, que 60 couchettes toujours dans dix compartiments. Cette baisse de 25 % a un coût qui se traduit pour le passager par un supplément de réservation de 29 euros à ajouter au prix du billet. Même punition en première classe où les 48 places de jour ne sont plus que 32 en mode couchettes, moyennant un supplément de 39 euros. Seule la voiture à sièges inclinables, offre 76 places sans supplément (prix d’une place assise normale de seconde classe). Les sièges peuvent s’incliner à 45 degrés afin de faciliter le repos des voyageurs mais pas d’oreiller ni de couverture à disposition.
À noter, l’espace « dame seule » est prévu pour les femmes, avec réservation gratuite. Mais rien n’est prévu pour une mère de famille accompagnée de jeunes enfants. À moins de privatiser un compartiment de 1re classe (4 couchettes) ou de 2de classe (6 couchettes) en cochant le service « espace privatif ». Supplément à partir de 150 euros en 2de ou 180 euros en 1re classe. Le prix varie en fonction de l’affluence à bord du train, en gros de la demande.
Pas de voiture-restaurant ou de voiture-bar. Un kit confort est offert avec une bouteille d’eau et une pochette (lingettes rafraîchissantes, bouchons d’oreilles et mouchoirs). Les Corail utilisées, bien qu’une partie soit rénovée, affichent un âge de près de quarante ans.
Les trois voitures de base d’un train de nuit offrent donc moins de 170 places, un total qui ne permet pas d’atteindre la rentabilité face aux charges (sillon, énergie, salaires du conducteur et du personnel de bord, maintenance et amortissement, frais généraux, etc.). En un mois, le Paris-Aurillac a transporté en moyenne 95 voyageurs par train. D’autres artifices doivent être utilisés, comme le jumelage des trains. Ainsi, le Paris-Nice et le Paris-Briançon font train commun jusqu’à Valence. La rame qui se dirige vers Gap et Briançon est ensuite tractée par une locomotive diesel tandis que les voitures pour la Côte d’Azur continuent à bénéficier de la traction électrique. Même schéma pour Paris-Aurillac qui circule attelé à un train de soirée Paris-Brive.
Auteur/Autrice
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Chantal Julia est maitre de conférence en Suisse. Après plusieurs années à l'Université de Lettre Paris 1, Chantal a suivi son compagnon à Lausanne où elle enseigne toujours la littérature française. Elle écrit pour différents magazines universitaires et Lesfrancais.press
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