La binationalité est un vaste chantier sur lequel l’Assemblée des Français de l’étranger se penche régulièrement. Cette fois, c’est au niveau national qu’on s’interroge sur ces citoyens un peu particuliers… à écouter les ténors du Rassemblement national ! Car ce n’est pas un regard bienveillant qui est porté sur cette population, nombreuse chez les Français de l’étranger mais aussi au sein de la communauté hexagonale, c’est encore la suspicion et la méprise qui se sont imposées. On fait le point sur les propositions faites par le parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen sur la binationalité.
3,5 millions de Français binationaux
Il existe plusieurs situations permettant à un Français d’avoir plusieurs nationalités (une double nationalité, voire plus), ou à un étranger d’obtenir la nationalité française.
Tout d’abord, la plurinationalité peut exister dès la naissance, notamment dans le cas d’un enfant dont les parents sont de nationalités différentes. Un enfant se voit reconnaître la nationalité d’un pays par application du droit du sol ou du droit du sang. C’est souvent le cas pour les enfants nés d’un ou deux parents Français à l’étranger.
De plus, il est possible d’avoir plusieurs nationalités durant la minorité de l’enfant. Un enfant mineur peut devenir français lorsque l’un de ses parents devient français. Pour cela, il faut remplir deux conditions : l’enfant doit résider habituellement ou alternativement avec ce parent, et le nom de l’enfant doit être indiqué dans le décret de naturalisation ou la déclaration de nationalité française du parent.
Pour les personnes majeures, il existe deux principales manières d’obtenir la nationalité française : la déclaration de nationalité et la naturalisation. Il est possible de devenir français par déclaration si l’on est marié ou si l’on a un lien de parenté avec une personne française (descendant, frère ou sœur, adoption…). La naturalisation, elle, est soumise à plusieurs conditions, en particulier de durée de résidence en France.
En prenant en compte, toutes ces situations, le ministère de l’Intérieur estime qu’il y a donc 3 500 000 Français qui détiennent au moins une autre nationalité.
Peut-on perdre la plurinationalité ?
La loi française n’exige pas qu’un étranger devenu français renonce à sa nationalité d’origine. De même, un Français ayant acquis une autre nationalité n’a aucune obligation de renoncer à sa nationalité française. Cependant, il est possible de perdre sa plurinationalité volontairement ou en conséquence d’une décision de l’autorité publique.
Il est possible qu’un étranger vivant en France perde sa plurinationalité, si un changement de situation modifie sa nationalité en raison de la législation des États concernés ou d’accords internationaux.
Un Français ayant obtenu une autre nationalité, quant à lui, peut perdre la nationalité française par déclaration ou par décret. Il peut également perdre sa nationalité française en cas de condamnation pour certains crimes et délits.
Enfin, il est possible de se voir retirer la nationalité française en raison de l’exercice actif d’une nationalité étrangère, ou de l’emploi dans un service public étranger. Le premier cas peut intervenir si l’on commet des actes contraires aux intérêts de la France, et le second si l’on ne cesse pas une activité dans une armée ou une organisation internationale dont la France ne fait pas partie, malgré l’ordre du gouvernement.
Expatriés, Français de génération en génération ?
Et ben non, car il n’existe pas en droit français de transmission illimitée et perpétuelle de la nationalité française par filiation en cas d’établissement prolongé à l’étranger.
Le code civil prévoit ainsi un cas où la nationalité tombe en désuétude. Cela s’applique si une famille qui possède une autre nationalité n’a manifesté aucun lien avec la France ou s’en est délibérément éloignée pendant plus de cinquante ans. Alors, ces descendants n’ont plus automatiquement droit à la nationalité par filiation.
De nombreux descendants de Français se trouvent confronter à cette situation, cependant la Cour de cassation a ouvert, en mai 2023, une fenêtre de flexibilité en décidant de prendre en compte les grands-parents et les liens qu’ils ont avec leur petits-enfants même si le demandeur ou ses parents ne résident plus en France depuis plus de 50 ans.
Les projets du RN ?
Maintenant qu’on a compris le fonctionnement de la binationalité, penchons-nous sur la proposition du Rassemblement national, soit limiter l’accès à certains métiers de la fonction publique à ceux qui auraient plusieurs nationalités.
Lors du débat télévisuel de ce début de semaine, interrogé à quatre reprises sur ce thème, au point de s’en agacer, Jordan Bardella a d’abord évoqué des postes « stratégiques », avant d’ajouter qu’il s’agirait exclusivement d’emplois dans le domaine « de la défense et de la sécurité », pour finalement ne plus évoquer que quelques citoyens « franco-russes », œuvrant dans le secteur de la Défense. Dont acte. Sauf que cette précision est en décalage avec le projet de loi référendaire construit en 2022 par Marine Le Pen. Un projet qu’elle a encore défendu à l’Assemblée nationale en janvier 2024.
Ce texte – la bible du RN – en matière de lutte contre l’immigration est bien plus radical que ce que veut bien en dire Jordan Bardella. Il vise en effet potentiellement des centaines de milliers de familles de binationaux. Lesquelles ? Dans l’article 1 figure la précision suivante : « La loi pourra interdire l’accès à des emplois dans l’administration, des entreprises publiques, et des personnes morales chargées d’une mission de service public aux personnes qui possèdent la nationalité d’un autre Etat. » Dans cette phrase, il faut s’arrêter sur chaque mot ou presque. « Ceux qui possèdent la nationalité d’un autre Etat » ? Autrement dit, les binationaux (soit environ 3, 5 millions de personnes). On remarque que sous cette forme, un tel texte ne pourrait être appliqué, car il implique de fait une différenciation entre Européens ce que le droit communautaire interdit et pour rappel, ce dernier prime sur les textes nationaux.
Pour tenter de passer outre, le RN veut que son texte soit adopté en l’état par référendum. Si une telle mesure leur permettrait donc théoriquement de se donner les moyens d’exclure les binationaux, elle s’opposera au droit européen, renforçant la fracture avec ces institutions. Une façon d’avancer vers leur autre objectif, démonter l’Europe telle qu’elle existe. Comme ils pourraient les bouter hors d’un autre secteur d’emploi, celui « des personnes morales chargées d’une mission de service public ». C’est-à-dire des entreprises ou associations œuvrant dans le domaine du social ou de la santé, mais aussi de l’enseignement privé ou même du ramassage des ordures dans les municipalités.
Entre le projet de loi référendaire écrit par le parti et les positions publiques assumées par Jordan Bardella, il existe donc un gouffre. Où est la vérité ? Est-ce que ce projet ne se fracassera pas sur le mur des réalités comme bien d’autres ? Et au final, est-ce qu’un binational mériterait un tel traitement ?
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