Le monde perd-il le nord ?

Le monde perd-il le nord ?

Les Vikings, hommes du nord, blonds, blancs, hétérosexuels dominants, voyageurs et massacreurs consciencieux, inventèrent la boussole. Les Chinois la revendiquent aussi. Normande ou chinoise, la boussole pointe vers le nord, ce qui revient aussi à pointer aussi le sud. Analystes, politologues, géographes, s’interrogent : l’Occident est-il en train de perdre le « sud global » , tendance lourde depuis l’émergence de la Chine, accentuée par la guerre d’Ukraine, chauffée à l’incandescence par la guerre du Hamas ?

Israël va donc suivre le plan du Hamas : la guerre. Frapper Gaza , détruire, envahir, et puis ? Détruire le Hamas ? On ne supprime que ce que l’on remplace.

Très jeune, pendant la première guerre du golfe, j’étais en Israël, accablé par des missiles de Saddam Hussein, que l’on croyait dotés d’armes chimiques. Chacun portait en bandoulière des masques à gaz. J’eus le privilège de rencontrer le ministre des affaires étrangères, David Levy, le Premier ministre, Itzhak Shamir, et de parler avec eux. Les Américains avaient forgé une coalition contre l’Irak, l’Irak bombardait Israël pour en détacher les pays arabes. Georges Bush I avait demandé aux Israéliens de ne pas riposter. Shamir, venu de l’Irgoun, qui ne s’était jamais fait remarquer par un excès de tendresse, avait accepté. Je l’ai vu pleurer dans un discours, alors que sonnait une alerte. Émotion, rage, intelligence. Quelques années plus tard, Sharon, Premier ministre, se retira de Gaza, évacua des colonies qu’il avait lui-même installées, osa proposer un plan de paix, expliquant à la Knesset: « L’épée seule ne peut résoudre cette dispute amère pour cette terre ». Vainqueur des élections, il tomba malade. 

Israël va donc suivre le plan du Hamas : la guerre. Frapper Gaza, détruire, envahir, et puis ? Cela a déjà été fait, en 2014, puis au Liban, contre le Hezbollah. Le Hezbollah est-il détruit ? Détruire le Hamas ? On ne supprime que ce que l’on remplace.

Le seul but de la guerre c’est la paix. On ne fait pas la guerre aux peuples. Le but est de les délivrer de leurs chefs, changer le système d’oppression, de misère, de violence. C’est vrai à Gaza comme dans bien d’autres pays qui formeraient ce « sud en révolte », mêlant anti-occidentalisme et antisémitisme.

Les chefs du Hamas ne sont pas à Gaza. Ils sont à Damas, en Iran, au Qatar. C’est pourquoi Israël et les Etats-Unis ont frappé la Syrie et les bases des Pasdarans. C’est pourquoi Poutine accueille le Hamas, comme il a protégé Bachar, comme il trafique avec l’Iran. Israël se trompe en détruisant Gaza. Personne ne peut échanger la mort contre la mort.

Faut-il échelonner les horreurs ? Jamais un soldat israélien – ni un soldat arabe – n’est allé égorger devant ses parents un enfant. Il ne s’agit pas de compter les morts. Mesurer ce qu’il y a derrière les gestes. Israël se défend. Visiblement mal. Le Hamas ne défend pas les Palestiniens : il cherche l’irréparable.

Bombardement à Gaza le 24 octobre 2023

La proposition française n’est pas sans fondement : une coalition contre le terrorisme – et la paix. L’une va avec l’autre.

C’est pourquoi la proposition française n’est pas sans fondement : une coalition contre le terrorisme – et la paix. L’une va avec l’autre. Beaucoup se moquent, expliquent que le Hamas n’est pas Daech, que la situation n’a rien à voir : ce qui est vrai – et  faux. La paix ne peut s’établir qu’une fois les organisations terroristes défaites. La France s’est engagée, parce qu’elle a une force militaire, une capacité de renseignement, des soldats au Liban, en Syrie en Irak, elle parle avec tous : Israël, Egypte Jordanie, Autorité palestinienne. Ce que n’a pu faire Biden. Sur le fond, elle a raison. Et les Américains sont d’accord.

Laisser pourrir le problème palestinien était devenu une solution, pour les pays arabes, Israël, les Occidentaux, les Russes, les Palestiniens eux-mêmes.

La paix s’entrevoyait avec les principaux pays arabes qui comptaient entrer dans la révolution du XXIème, dans laquelle Israël est de plain-pied, avec ses start-up, sans traîner les scories du siècle passé.

Une coalition internationale c’est  mettre certains pays devant leurs responsabilités : soit on lutte contre le terrorisme, soit on est complice de celui-ci. Ainsi Erdogan ou le Qatar.  

Le Hamas, actionné par l’Iran, a vu ce piège de la « modernité » honnie, celle qui pourrait détruire leur pouvoir, leur idéologie, leurs rentes. Ils ont rappelé au monde à quel point la barbarie pouvait détruire l’espérance. L’Iran utilise la guerre pour mater son propre peuple. 

Une coalition internationale contre le Hamas peut être un rêve, c’est d’abord mettre certains pays devant leurs responsabilités : soit on lutte contre le terrorisme, soit on est complice de celui-ci. Ainsi Erdogan, affidé aux Frères musulmans, lutte contre les « terroristes » kurdes, en arme d’autres. N’est il pas temps de lui faire comprendre que ce double jeu, comme avec la Russie, est fini ? 

La proposition Macron n’a de valeur que si à un moment les complices du terrorisme sont traités comme tels. Une coalition internationale peut venir au bout du Hamas, comme elle l’a fait contre Daech, en proposant un avenir aux Palestiniens. Ce ne sont pas les milliards qui manquent. Le Qatar en a tant donné ! Lui aussi, devrait choisir la  « coalition » ou les terroristes. 

Autant on peut comprendre qu’Israël ne veuille pas d’un Etat terroriste, autant les Palestiniens ne peuvent rester d’éternels apatrides. Israël vivrait mieux avec des dirigeants reconnus, comme avec la Jordanie et l’Égypte, qu’en ayant joué, soi-disant intelligemment, les factions les unes contre les autres.

Éradiquer le Hamas ne peut être réussi par Israël seul.   

Éradiquer le Hamas ne peut être réussi par Israël seul. Encore moins en punissant l’ensemble de la population de Gaza. Israël déploie sa force, mais oublie sa politique, son but stratégique. Celle de Shamir et de Sharon. Sans proposer à la population palestinienne un avenir, il ne peut y avoir de perspective de paix. Et donc de sécurité pour Israël. 

Les Arabes palestiniens qui vivent en Israël, (20% de la population) n’ont aucun terroriste parmi eux. La guerre est toujours plus facile. Mais quelle serait la victoire ? Occuper Gaza ? Se retirer d’ un champ de ruine ?

Ces Etats veulent l’état de guerre permanente, partout dans le monde, si possible.   

Il n’y a pas de guerre contre le terrorisme, il y a des guerres contre des mouvements terroristes soutenus par des états, qui les financent, dirigent, arment, soutiennent. Si la proposition française n’a pas de succès, c’est que bien peu ont intérêt à la voir s’imposer.

Ces Etats veulent l’état de guerre permanente, partout dans le monde, si possible.  Russie, Iran, Chine, Syrie, Corée du Nord, beaucoup d’autres agitent les troubles pour se maintenir au pouvoir : la guerre justifie les polices militaires et les prisons. La Chine vise délibérément à devenir la première puissance militaire en 2050. La Russie augmente son budget militaire de 78% ; les Russes ne sont-ils pas habitués aux privations ? Est-ce pour autant, comme on le dit, que l’Occident perd le « sud global » ?

50 pays sont à Malte pour étudier les propositions de paix de Zelensky, réunion dénoncée par Poutine. Parmi eux, le Brésil, l’Inde, d’autres pays qui se voulaient plus compréhensifs avec les Russes. 3,5 millions tonnes de céréales ukrainiennes ont quitté la mer noire. L’Afrique ne sera pas affamée ni soumise au chantage russe. Le Sud n’est pas uniforme. Les peuples ne sont pas aveugles. Ils n’ignorent rien de l’ambition dominatrice du  « rêve chinois », dont la dimension libératrice et humaniste est si subtile qu’elle en est invisible.

Est-ce que l’Occident perd le « sud global » ? Le risque est inverse : que le « Nord » se désintéresse du Sud.

Le risque est inverse : que le « Nord », les pays riches, se désintéresse du Sud, de son oppression, de ses guerres. L’Occident n’a pas besoin du Sud pour sa révolution digitale. L’Occident peut se transformer en forteresse. Comme Israël a cru pouvoir l’être, s’accommodant des désastres libanais, syrien, palestinien. 

Le danger n’est pas que les Chinois diffusent leur « modèle » à l’Afrique ou la Malaisie. Le risque est que les populations vieillissantes occidentales, apeurées, se désintéressent du « sud ». Le désastre du retrait afghan, le retrait de syrien, d’Irak des Américains, fut un abandon coupable. Et la passivité européenne ? A part la France, qui a des soldats, là-bas ? Qui ose un discours rappelant quelques principes ?

Ne jamais cesser de parler aux peuples, aux vraies gens, le nord n’a pas intérêt à s’enfermer et les peuples du Sud à perdre le nord. Les dirigeants, c’est autre chose.

Ne jamais cesser de parler aux peuples, aux vraies gens, qui savent que leurs dictateurs les pillent, que malgré tous ses défauts et hypocrisies, le « modèle occidental » n’est pas un ennemi, mais plutôt une chance de libération. Les peuples veulent l’ordre disent les Chinois. Chacun veut d’abord vivre libre. 

S’ils n’avaient été des marchands, des explorateurs, (ils ont inventé la comptabilité publique, celle de l’Echiquier, en Normandie), les Normands ne seraient pas allés en Amérique, fonder Kiev, atteint Constantinople, gouverné la Sicile. Ces brutes étaient aussi des chercheurs qui n’avaient qu’une boussole : ouvrir les portes du monde. Le Nord n’a pas intérêt à s’enfermer et les peuples du Sud à perdre le nord. Les dirigeants, c’est autre chose. 

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati 

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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