À l’échelle planétaire, une panne des naissances se diffuse à un rythme rapide avec la crainte d’un vieillissement bien plus rapide que prévu de la population mondiale. Le taux de fécondité par femme est passé de 2,7 à 2,3 dans le monde de 2000 à 2022.
Les 15 pays les plus riches en termes de PIB ont tous un taux de fécondité inférieur au taux de remplacement (2,1), les pays d’Europe, les États-Unis bien évidemment mais aussi la Chine et l’Inde. D’ici 2030, plus de la moitié des habitants de l’Asie de l’Est et du Sud-est auront plus de 40 ans. En dehors de l’Afrique, la population mondiale atteindra son apogée en 2050 avant de décliner. Même en Afrique, le taux de fécondité chute au point que la population mondiale pourrait commencer à décliner d’ici la fin du siècle.
L’économie n’est pas prête à faire face à une diminution de la population
Quoi qu’en ait pensé Malthus au XIXe siècle, l’économie n’est pas prête à faire face à une diminution de la population. Le premier problème à résoudre est le transfert de charges des actifs vers les inactifs. Les retraités se financent directement ou indirectement à partir du travail des actifs soit par l’intermédiaire de l’État ou des régimes sociaux, qui prélèvent des impôts ou des cotisations sur les travailleurs pour payer les pensions publiques, soit en encaissant les revenus de l’épargne constituée durant la période d’activité personnellement ou via des fonds de pension.
Les prochaines années risquent de rimer avec hausses d’impôts, report de l’âge de départ à la retraite, pression à la baisse des pensions et moindre rendement de l’épargne. L’Italie est le pays européen le plus touché par la dénatalité le plus fort au point qu’une publicité réalisée par une marque de couches met en scène, de manière ironique, en montrant des salles de classes à l’abandon et des maternités désertes, l’arrivée du dernier bébé italien de l’histoire programmé en 2050. Cette parodie traduit la baisse prévue du nombre des naissances qui devrait passer d’un million en 1964 à 346 000 en 2050.
Des coûts impressionnant de retraite, de santé et de dépendance
Le vieillissement rapide de nombreux pays génère des coûts impressionnants de retraite, de santé et de dépendance au moment même où les revenus, faute de travailleurs, diminueront. Un pays de seniors est, par ailleurs, moins ouvert au progrès technique, diminuant d’autant la croissance potentielle. Si l’Italie est beaucoup moins bien notée que la France en ce qui concerne sa dette souveraine, cela est dû en grande partie à son déclin démographique avancé.
L’Italie et le Japon sont les deux pays qui sont entrés les premiers dans l’ère du vieillissement de masse avec des taux de fécondité qui sont passés en-dessous du niveau du renouvellement des générations (2,1) dès les années 1970. L’âge médian, en Italie est de 47 ans, ce qui signifie que la moitié de la population a plus que cet âge et l’autre moitié moins. L’âge médian au Japon est de 49 ans. Il devrait rapidement dépasser 50 ans.
La Chine connaîtrait une contraction de sa population de près de 30 % tout comme l’Italie
Ces deux pays ont été, depuis, rejoints par de nombreux autres ; la Corée du Sud, les ayant même battus avec un taux de fécondité de 0,8, le plus faible du monde. La population de ce pays sera divisée par deux d’ici la fin du siècle. Sur la même période, la Chine connaîtrait une contraction de sa population de près de 30 % tout comme l’Italie. Ce ratio serait de 40 % pour le Japon.
En 2010, 98 pays et territoires avaient enregistré des taux de fécondité inférieurs à 2,1. En 2021, ce nombre était passé à 124, soit plus de la moitié des pays pour lesquels l’ONU collecte des données. D’ici 2030, ce nombre pourrait atteindre 136. Les 15 plus grandes économies du monde, dont le Brésil, la Chine, l’Inde et le Mexique, ont toutes des taux de fécondité inférieurs à 2,1.
Au niveau mondial, la fécondité converge assez rapidement au-dessous de 2,1. Le taux de fécondité est de 1,3 en Thaïlande et de 1,6 au Brésil. Celui de l’Inde est tombé en dessous de 2,1. Quel que soit leur pays, les femmes aspirent à combiner vie professionnelle et vie familiale.
La baisse de la fécondité a concerné dans un premier temps les femmes ayant le niveau d’études le plus élevé. Elle s’étend, dans un second temps, aux femmes avec un faible niveau d’études. Désormais, aux États-Unis, les femmes américaines qui n’ont qu’un diplôme de premier cycle ont, en moyenne, moins enfants que celles qui sont plus scolarisées. Les pays émergents suivent de près ceux de l’OCDE.
Une baisse programmée de la population active
Du fait d’un nombre d’entrants de plus en plus faible, les populations actives vieillissent et se réduisent dans un nombre non négligeable de pays. En 2021, au sein des 124 pays ayant un taux de fécondité inférieur à 2,1, la population de 21 à 30 ans s’élevait, à 782 millions. En 2050, ce groupe qui rassemble le nombre potentiel d’entrants locaux sur le marché du travail, devrait avoir diminué d’un cinquième, à 619 millions. Dans les pays où le taux de fécondité est inférieur à 1,5, qui comprend la quasi-totalité de l’Asie de l’Est et une grande partie de l’Europe, la baisse sera plus extrême, la même cohorte se contractant de 37 %.
Pyramide inversée
De plus en plus de pays ont des pyramides démographiques inversées, la base étant plus étroite que son milieu. En Chine, le nombre des 21 à 30 ans est ainsi passé de 232 millions à son apogée en 2012 à 181 millions en 2021. En 2050, ce nombre devrait être de 100 millions.
La population européenne de la même tranche d’âge passera de son côté d’environ 85 millions à moins de 60 millions au cours de la même période. Au-delà des tensions qu’elle génère, l’immigration est un des seuls moyens pour compenser la baisse de la population active. Néanmoins, au fil des décennies, le nombre de pays disposant d’importants surplus démographiques devrait baisser. La population indienne devrait atteindre son sommet en 2060.
Les pays vieillissants se feront une concurrence féroce pour attirer les immigrés
L’Afrique subsaharienne est la seule région du monde qui semble susceptible de rester une source d’émigration pour les prochaines décennies. Mais même dans les pays de cette région, les taux de natalité chutent plus vite que prévu. Compte tenu des besoins en population, les pays vieillissants se feront une concurrence féroce pour attirer les immigrés, sachant que les États-Unis devraient toujours bénéficier d’un afflux important.
Au sein de l’OCDE, il y a en moyenne trois personnes âgées de 20 à 64 ans pour une personne âgée de plus de 65 ans. D’ici 2050, ce ratio passera à moins de deux pour un. L’Europe, le Japon et la Corée du Sud sont les plus concernés par la dégradation de ce ratio. Une diminution du nombre d’actifs et une augmentation de celui des retraités signifient plus de dépenses publiques et moins de prélèvements obligatoires. Elles sont également synonymes de moins de production et donc de création de richesses.
Le déclin démographique a aussi des effets d’entraînement sur le capital et la productivité qui sont beaucoup moins bien compris par les économistes.
Des effets incertains sur l’inflation et les taux d’intérêt
Des économistes estiment qu’une population active en diminution s’accompagnera d’une baisse des taux d’intérêt en termes réels (c’est-à-dire après prise en compte de l’inflation), car il y aura moins d’opportunités d’investissement et un stock important d’épargne accumulé par les personnes à la retraite ou proches de la retraite. D’autres économistes pensent que l’effet sera le contraire. Pour maintenir leur pouvoir d’achat, les retraités puiseront dans leur épargne. Il y aura moins de financement pour l’investissement, ce qui fera monter les taux d’intérêt réels.
L’augmentation des dépenses publiques accroît les besoins de financement des pouvoirs publics. Pour le moment, les retraités ont tendance à maintenir un fort taux d’épargne.
Le vieillissement, un facteur de déclin de la productivité
Les faibles ratios actifs/retraités ne sont qu’un des problèmes liés à l’effondrement de la fécondité. La diminution du nombre de jeunes actifs constitue une réelle menace pour l’innovation et la productivité. Les électeurs âgés ont tendance à privilégier la sécurité au détriment de la prise de risque. Ils sont favorables au protectionnisme et sont souvent contre le progrès technique.
Au niveau de l’urbanisme, les populations âgées souhaitent le gel des constructions et plus globalement le statu quo. La croissance économique dépend de la proportion de jeunes actifs qui sont ceux qui jouent le rôle clef dans la diffusion du progrès technique. Selon les psychologues, les jeunes trentenaires disposent d’une intelligence dite « fluide», se traduisant par une forte capacité à résoudre de nouveaux problèmes et à s’engager dans de nouvelles idées. Les personnes âgées ont plus « d’intelligence cristallisée », c’est-à-dire un stock de connaissances sur le fonctionnement des choses qui s’est accumulé au fil du temps. Les deux types d’intelligence sont utiles pour les entreprises, mais les deux ne sont pas de valeur équivalente en matière d’innovation.
Les innovations de rupture sont réalisées par les jeunes actifs, autour de la trentaine
Dans une étude publiée en 2021 reposant sur une base de données de trois millions de brevets déposés sur plus de 40 ans, les économistes Mary Kaltenberg et Adam Jaffe et la psychologie Margie Lachman ont constaté que la proportion de brevets déposés culmine à la fin de la trentaine et au début de la quarantaine. Les innovations de rupture sont réalisées par les jeunes actifs, autour de la trentaine.
Le déclin de la productivité est un problème majeur pour les économies. Entre 1947 et 1973, la croissance de la productivité représentait 60 % de l’augmentation de la production par travailleur au sein de l’OCDE. Les États-Unis ont connu un taux de croissance plus rapide que celui des autres pays de l’OCDE grâce à des gains de productivité plus importants. Comme la baisse de la fécondité est générale, la productivité pourrait s’éroder à l’échelle mondiale. Ce phénomène semble avoir commencé et s’être accéléré avec la crise de covid-19.
L’économiste et démographe chinois, James Liang, a démontré que l’entrepreneuriat est plus faible dans les pays plus âgés. La proportion d’adultes créant leur entreprise diminue de 2,5 points quand l’âge médian augmente de 3,5 ans. Aussi étrange que cela puisse paraître, le taux de création d’entreprises parmi les jeunes de 18 à 35 ans recule dans les pays qui enregistrent un vieillissement accéléré de leur population. Ce phénomène est marqué au Japon. James Liang analyse cette diminution par la perte de dynamisme du tissu économique. Le vide d’entrepreneurs s’autoalimente.
L’inversion difficile de la courbe de la natalité
Les gouvernements sont largement impuissants à inverser la baisse des taux de natalité. La baisse de la fécondité est un phénomène mondial. Elle accompagne l’enrichissement des sociétés. Les politiques familiales ont peu d’effets sur le nombre d’enfants par femme. De nombreux pays d’Europe de l’Est ou du Sud ont, ces dernières années, institué des aides pour les familles sans que cela ne provoque une réelle hausse pérenne de la natalité.
Plusieurs pays d’Europe tout comme les États-Unis compensent la dénatalité par un recours à l’immigration. Mais la baisse mondiale de la fécondité signifie que, d’ici le milieu du siècle, la pénurie de main-d’œuvre se diffusera à l’ensemble de la planète. Les tentatives faites dans divers pays pour inciter les femmes à avoir plus d’enfants ont généralement donné de maigres résultats. L’abandon de l’enfant unique en Chine a été suivi d’un rebond de la natalité mais qui a été éphémère. En Hongrie et en Pologne, les gouvernements ont institué des crédits d’impôts et des prestations sociales en faveur des femmes ayant des enfants. Pour le moment, aucune remontée tangible du taux de fécondité a été constatée. Singapour a créé des allocations aux parents de nouveaux enfants (11 000 dollars singapouriens pour les deux premiers enfants et 13 000 dollars singapouriens pour les autres), auxquels s’ajoutent, en plus des abattements fiscaux et des subventions pour la garde d’enfants. Les parents sont également prioritaires dans les programmes de vente d’appartements subventionnés. Toutes ces mesures ont eu peu d’effet, le taux de fécondité restant bloqué à 1.
Pour relever la productivité, les gouvernements peuvent jouer sur le niveau de formation. Ils peuvent également compter sur la technologie pour faire face aux changements démographiques. De la télémédecine au recours croissant à l’automatisation dans l’agriculture, l’industrie et les services devraient permettre de compenser, du moins en partie, la baisse de la population active. L’intelligence artificielle offre des possibilités importantes pour réduire les besoins en main-d’œuvre. Pour compenser les effets du vieillissement et contrecarrer les pénuries grandissantes de main-d’œuvre, l’élévation du niveau de formation est indispensable.
Compter sur le progrès technique pour gérer d’ici la fin du siècle deux milliards de retraités
Les deux tiers des enfants chinois vivent encore en milieu rural et ne suivent qu’une formation sommaire. En Inde, deux tiers des 25 à 34 ans n’achèvent pas le deuxième cycle de l’enseignement secondaire. En Afrique, la situation est encore plus délicate. Quoi qu’il arrive, l’économie mondiale devra faire avec moins de jeunes et compter sur le progrès technique pour gérer d’ici la fin du siècle deux milliards de retraités. L’humanité a grâce aux progrès de la productivité réussi à donner tort à Malthus qui prévoyait le maintien de grandes famines en raison de la progression de la population. Aujourd’hui, elle est menacée non pas d’un excès de bébés mais d’un manque de bébés. Le génie humain parviendra-t-il à relever ce nouveau défi ?
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