Ecrivains et diplomates - Episode 3 : Le consul, le livre et le sage. Patrick Lachaussée publie un nouveau roman à suspense 

Ecrivains et diplomates - Episode 3 : Le consul, le livre et le sage. Patrick Lachaussée publie un nouveau roman à suspense 

Un écrivain-diplomate, Patrick Lachaussée vient de publier avec bonheur son troisième roman, « Bourama, l’arbre et le sage » alors qu’il occupe les fonctions de Consul général de France à Genève. Qui ne connaît ce grand professionnel de la diplomatie pourrait s’étonner qu’un haut cadre du Quai d’Orsay, une maison habituée à la discrétion et à l’action en coulisse, se livre ainsi sans fard dans un puissant récit de fiction qui dit beaucoup de lui. 

« Bourama, l’arbre et le sage », un roman entre sagesse et violence

Car Bourama, pourrait-on dire en forçant le trait, c’est lui, Lachaussée. Lui en qui réside de l’ADN africain – il possède un arrière grand-père malien – lui qui est passionné par ce continent où il a mené des actions humanitaires, lui le musicien qui a écrit son roman avec dans l’oreille les rythmes et sonorités de cette Afrique qu’il chérit, lui, enfin, qui est un expert de l’international, cette matière évolutive, cette marche chaotique du monde dont il fait un récit d’espionnage, de terrorisme, de lutte, mâtiné de la sagesse africaine de son personnage-titre. 

Tout commence par un massacre dans un village africain. Bourama est le seul rescapé, l’homme âgé s’est réfugié dans un baobab sacré et multi-centenaire. L’intrigue qui va se nouer met en scène des personnages qu’on sent inspirés du vécu diplomatique du Consul : Sofiane, cet informaticien engagé par le directeur du centre de crise – Patrick Lachaussée a lui même commencé sa carrière par un modeste poste d’informaticien, avant de gravir une à une les marches de la prestigieuse maison diplomatique. Bernard Millet, personnage central du roman, est lui le directeur du centre de crise, un homme d’instinct qui sait lire dans l’âme des hommes d’un seul regard et qui embauche Sofiane après une rapide discussion où il saura détecter tous les indices qui font un collaborateur fiable. L’intrigue va placer Bernard au coeur de l’action face à une bande organisée qui mène trafics et activités criminelles entre Haïti, Miami, New-York et le Mali… On pense à John Le Carré pour les personnages hauts en couleur et l’aspect géopolitique et diplomatique qui puise dans le réel son fil rouge. 

Un village malien, ses habitants ©Philippe Vincent.

Des personnages qui sont les doubles de fiction de Patrick Lachaussée

Qui a travaillé avec Patrick Lachaussée sait reconnaître derrière ces personnages des doubles ou des triples de fiction. Il serait d’ailleurs prétentieux de vouloir restituer en une seule critique littéraire la saveur raffinée d’un récit qui dit beaucoup de l’Afrique d’aujourd’hui, entre tradition et modernité, et qui fait résonance avec la culture africaine de son auteur et avec l’expérience des crises internationales qu’il a eu réellement à gérer au Ministère des Affaires étrangères.

Le roman est surtout d’une extrême sincérité. Qui a approché l’auteur sent en lui ce regard inspiré, inquiet, profond, spirituel de l’artiste qui se perd au loin, cette bonté d’âme de celui qui ne pourrait vivre sans engagement, ce désir de dire et d’écrire pour donner corps dans la fiction à son profond idéal humaniste. Son roman précédent, « Revoir Fatima », témoignait déjà d’un don pour des histoires faites de solidarité et d’amitié humaine. Bourama reprend ce fil d’humanité en le développant.

Un atypique de la diplomatie à la sensibilité d’artiste humaniste

Lachaussée est un atypique au regard de nombre de ses condisciples du Quai. Non que les diplomates manquent d’humanité en général. Mais parce que la plupart d’entre eux ont connu des trajectoires plus linéaires, des destins de bons élèves doués en langues et en dissertation. Il a eu, lui, mille et une vies, des lumineuses et des plus cabossées. Certaines sont très étonnantes pour le désormais haut-fonctionnaire :  il a connu l’engagement local comme maire d’une petite commune. Il a sillonné le Congo Kinshasa, aidé un club de boxe local à se moderniser, joué avec des musiciens chevronnés et appris la musique africaine. Il a aussi donné de son temps en France et à l’étranger dans des centres d’aide aux plus démunis. Lachaussée ? Un homme de Lyre, de luttes et de Lettres. Instinctif, travailleur infatigable, dévoué corps et âme à sa tâche, il fut appelé par le nouveau Ministre Bernard Kouchner pour créer le Centre de Crise, cet instrument moderne de secours des Français en danger à l’étranger qui oeuvre pour les évacuations, les rapatriements, les négociations en cas d’enlèvement, avec célérité et efficacité. Le French Doctor connu jusque là pour son engagement à gauche était une des prises de guerre du Président Sarkozy. Le ministre vit dans Lachaussée un homme tenace et pragmatique, un bosseur loyal capable de mettre sur pied ce centre qui, sortant de terre en 2008, venait corriger un manque face à la multiplication des crises internationales et au besoin de coordonner les moyens d’actions. Ce lieu névralgique est un personnage à part entière du récit. Il est vrai que l’ordinaire de ceux qui le servent est fait d’adrénaline, d’actions en continu, comme dans un bon roman. La lecture de Bourama dit beaucoup de ses coulisses et de son fonctionnement réel. Tout aspirant à l’entrée au Quai devrait en faire d’ailleurs sa lecture d’été. Et tout diplomate chevronné retrouvera la fièvre qui bat dans ses murs quand l’histoire s’accélère au gré des péripéties du monde. 

L’ancien directeur du Centre de Crise donne à voir les coulisses de la diplomatie

Patrick Lachaussée peut ressentir une légitime fierté d’avoir piloté une telle machine à aider les autres. Les diplomates avec un peu de mémoire se souviennent de lui veillant des nuits durant pour assurer la continuité de missions périlleuses, un homme peu économe de son temps qui a su faire aussi rayonner la langue française en tant que directeur de cabinet de Yamina Benguigui, alors ministre de la Francophonie. Les Lettres toujours. L’engagement encore. L’humain jamais abandonné.

Lire Bourama c’est lire Lachaussée, parcourir les lignes de cette fiction c’est apprendre des coulisses de la diplomatie, aller au bout du suspense proposé par ce livre c’est faire avancer un peu l’humanité car Bourama nous offre une voie de sagesse dans le tumulte d’un temps sans sagesse et parfois violent.

Procurez-vous le livre, vite. Savourez-le, lentement. Rencontrez ainsi un auteur accompli entre ses lignes. Un diplomate, un écrivain. Un homme de bien qui écrit bien. 

Rencontre avec Patrick Lachaussée

« Bourama : l’Arbre et le Sage », 470 pages, Edition Plaisir de Lire, Lausanne, 2023

Patrick Lachaussée ©Gustave Deghilage 

Boris Faure : De « Revoir Fatima » à « Bourama, l’arbre et le sage », presque trois ans sont passés mais votre plume développe toujours les thèmes qui vous sont chers : la solidarité humaine, la richesse qui naît de la rencontre des cultures étrangère. Dans Bourama il y a aussi une grande part d’autobiographie. Ma première question est simple : Bourama c’est un peu vous, et Bernard Millet, le personnage qui dirige le Centre de Crise, c’est beaucoup de vous, non ?

Patrick Lachaussée : En réalité, j’ai commencé à travailler sur ce roman à la fin de l’année 2013. C’était juste après un dernier déplacement professionnel au Mali. Un Mali, dans lequel j’avais tant voyagé et qui était alors en proie à une violence aveugle contre les populations civiles. Très vite, j’ai été frappé d’incompréhension ; comment un pays, aussi éclairé par ses traditions et ses croyances ancestrales, faites de solidarité et de bienveillance, pouvait ainsi sombrer dans la violence terroriste ? 

Boris Faure : Comment un pays de sagesse peut-il sombrer dans la violence terroriste ?

Patrick Lachaussée : Pour tenter de répondre à cette question, je me suis intéressé à la spiritualité et aux rites pratiqués dans certains villages du Cercle de Ségou. Bien que je connaisse assez bien la cosmogonie bambara et les traditions ancestrales des Dozos et des rites liés au Kǫmǫ, j’ai pris le temps de mener des recherches et c’est avec des ethnologues et des anthropologues que j’ai pu ainsi mieux connaître la grandeur spirituelle de ce pays, personnifiée en la personne de Bourama Sanogo. J’avais rencontré de tels personnages, détenteurs d’une connaissance impressionnante des rites religieux et initiatiques et capables de « sonder les âmes », de converser avec la nature et sans doute avec tous les éléments, une connaissance transmise de génération en génération depuis des siècles. Aussi, pour vous répondre, je n’ai pas la prétention de penser que je ressemble à ce sage. Je peux juste dire que telles personnalités, rencontrées au fil de mes voyages au Mali, m’ont beaucoup inspiré et que ce livre est en quelque sorte un hommage rendu à leur sagesse. Quant à Bernard Millet, directeur du Centre de Crise, là encore, il représente sans doute ce que j’aurais aimé être. Un modèle, en quelque sorte. Lui aussi est un assemblage subtil entre différentes personnalités avec lesquelles j’ai eu l’honneur de travailler ou de collaborer au sein de notre réseau diplomatique et qui, elles aussi, sont de réelles sources d’inspiration. 

Boris Faure : Vous écrivez, vous êtes musicien, vous aimez l’Afrique sans modération. Est-ce que cela fait de vous un atypique de la diplomatie ou cette maison est-elle au contraire le terrain idéal d’expression de l’atypisme humain?

Patrick Lachaussée : Je ne pense pas être plus atypique qu’un autre. La diplomatie française est composée d’hommes et de femmes passionnés par leur métier, avec cette volonté et cette curiosité d’aller au contact des cultures, des traditions de sociétés parfois méconnues. Etre diplomate, c’est en quelque sorte marcher dans les pas de Nicolas Bouvier et dans l’esprit de Claude Lévi-Strauss. Je pense aussi qu’être diplomate aujourd’hui exige de disposer d’une profonde capacité d’adaptation, d’être à la fois capable d’analyser et de comprendre une situation tout en imaginant ou en concevant des stratégies d’influence ou de coopération en constante évolution. Etre diplomate, c’est avant tout un métier de passion au service de son pays. 

Boris Faure : On sent votre plume féconde, travaillez-vous sur un nouveau roman qui puiserait dans le réel ? Allez-vous exploiter la réalité diplomatique suisse pour vous en inspirer ?

Patrick Lachaussée : Pour l’instant, je remplis d’idées des carnets d’écoliers et il est vrai que la Suisse pourrait m’inspirer bien des histoires. Je ne sais jusqu’où cela me mènera. Un nouveau roman, des nouvelles, du théâtre… On verra.

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