Facebook veut voir sa devise numérique approuvée par les régulateurs européens l’année prochaine, malgré les nombreuses inquiétudes des ministres européens des Finances.
« Nous comprenons les craintes éprouvées par le bloc », a déclaré Dante Disparte, l’un des administrateurs de l’Association Libra. Mais, selon lui, « les inquiétudes du sérail politique européen sont, à bien des égards, infondées ».
M. Disparte était en visite à Bruxelles cette semaine pour rencontrer des représentants européens et participer à un évènement au Parlement européen.
En juin dernier, la plateforme Facebook a annoncé le lancement de sa « cryptomonnaie », une devise numérique soutenue par les « devises indépendantes les plus performantes », afin d’offrir à ses utilisateurs un moyen de paiement rapide et bon marché.
Mais depuis, les régulateurs et législateurs du monde entier ont fait remarquer que le projet représentait de graves risques pour la stabilité financière et qu’il remettait en question la souveraineté monétaire des pays.
Décidés à trouver une parade, les ministres européens des Finances sont tombés d’accord (le 5 décembre) : toutes les options devraient être envisagées, notamment la mise en place de mesures pour empêcher que certaines cryptomonnaies mondiales ne provoquent des risques ingérables.
Toutefois, Dante Disparte a confirmé que l’association à l’origine du Libra avait la ferme intention d’obtenir les autorisations nécessaires d’ici à l’année prochaine.
« Nos plans demeurent inchangés : nous nous concentrons sur 2020 », a-t-il dit, ajoutant que « nous ne visons peut-être pas le monde entier », mais l’Europe fait très certainement partie de l’objectif à atteindre.
Les régulateurs sont encore en train d’évaluer les avantages et les risques que représentent les « cryptomonnaies » comme le Libra, qui est considéré moins volatile que les précédentes devises du même type.
« Depuis le début, nous avons maintenu que le projet visait à être réglementé », a indiqué M. Disparte, et ce, grâce à des dispositions sur sa disponibilité opérationnelle, sa conformité et sa gouvernance.
La gestion des risques, la conformité financière et la sécurité opérationnelle ne sont ainsi pas laissées sur la touche.
« Les promesses faites par l’association sont extrêmement positives », s’est-il réjoui.
Par ailleurs, c’est la Suisse qui lancera l’offensive de charme, car le pays arbore une « approche neutre » face aux cryptomonnaies.
Comme l’association du Libra « tente de s’installer sur ce côté de l’Atlantique », le message qu’elle transmet est clair : « ne poussez pas les innovations Fintech hors du marché européen, parce qu’à long terme, cela nuira à la concurrence économique de la région ».
Les membres de l’association réclament d’ailleurs que le principe directeur « mêmes risques, mêmes règles » soit respecté, un principe que les régulateurs défendent à travers l’Europe.
« Si nous œuvrons à la mise en place d’un système de payement du XXIe siècle, alors il est nécessaire d’en définir le cadre législatif de la même façon qu’on le ferait pour d’autres réseaux de payement », soutient M. Disparte.
Inquiétudes, scandales, manque de confiance
Les inquiétudes autour du Libra concernent en grande partie son principal sponsor. Les nombreux scandales liés à Facebook, en particulier dans l’affaire Cambridge Analytica, ont entravé la confiance que les législateurs et citoyens du monde entier plaçaient dans le réseau social.
En conséquence, le géant américain ne semble pas apte à gérer un système de payement direct qui pourrait être étendu à ses 2,4 milliards d’utilisateurs. De plus, les régulateurs et sociétés intéressées ne disposent pas d’information suffisante à ce sujet, ont précisé des représentants et sources proches du secteur.
La Commission européenne a envoyé deux séries de questionnaires pour obtenir davantage d’information sur le projet. Entre temps, un quart des entreprises qui avaient rejoint le projet à ses balbutiements ont plié bagage. Parmi elles figuraient PayPal, Visa et MasterCard. D’aucuns ont révélé que les responsables de Libra n’étaient pas parvenus à clarifier les aspects essentiels en jeu, notamment la gestion des données.
« Nous prenons en compte les craintes de chacun », a expliqué M. Disparte. Mais le Libra ne devrait pas être perçu comme autre chose qu’un système de paiement qui ne déstabilise pas le marché et s’adresse à des millions d’utilisateurs », argue-t-il.
« Je ne peux pas changer le fait que les gens n’aiment sans doute pas la plateforme utilisée pour l’implantation du Libra », a-t-il fait remarquer, se référant à Facebook, mais « il est important de transmettre le message », celui de parvenir à l’inclusion financière.
M. Disparte a aussi répondu aux détracteurs du projet qui critiquaient son manque de précision.
« Demandez à n’importe quelle autre startup de répondre aux questions qui nous ont été posées pour satisfaire la communauté internationale. C’est impossible à l’heure actuelle », maintient-il.
« Je leur dirais : revenez dans un an, pour juger de ce que nous avons accompli », a-t-il ajouté.
Une bataille sur trois fronts
Le projet progressera sur trois fronts pendant les six à neuf mois prochains : la gouvernance, la technologie et l’approbation du cadre législatif.
L’organisation compte désormais 21 membres, mais elle souhaite en attirer 100 au total.
Pour M. Disparte, les membres détiendront tous les mêmes droits et profiteront des mêmes avantages. « Facebook est sur le même pied que les autres membres du projet ».
Tout grand changement relatif, entre autres, au panier de devises, au code de l’organisation, à la technologie utilisée, devrait passer par le conseil général et être accepté à majorité qualifiée, soit l’approbation de 66 membres.
Mais, c’est le conseil d’administration (CA) composé de cinq membres exécutifs qui s’occupera de la gestion quotidienne. Il sera chargé de « l’action opérationnelle », au vu des mandats des membres exécutifs, a admis Dante Disparte. Et, l’un de membres du CA sera le représentant de Facebook, David Marcus.
Business plan
Pour les promoteurs du Libra, cette initiative est une façon de garantir l’inclusion financière.
Les actions lancées par la communauté internationale ne sont pas suffisantes pour assurer un accès financier, car « nous utilisons des instruments surannés pour fournir des services à des gens du XXIe siècle », a déploré M. Disparte.
Environ 1,7 milliard de personnes n’ont pas de compte bancaire et pas moins de 1,3 milliard manquent actuellement de services fournis par les institutions financières, alors qu’un milliard d’entre eux ont un téléphone qui bénéficie d’une connexion internet.
Derrière ces chiffres et les objectifs altruists avancés, se cache une étude de cas.
« Si l’on pense à la taille de ce marché, le Libra représente une opportunité de l’étendre. Il s’agit de fournir les services de base grâce auxquels un téléphone devient un moyen de paiement. »
En outre, l’association n’entend pas offrir d’options directes pour ses utilisateurs, mais elle souhaite plutôt établir un cadre institutionnel et un réseau mondial de paiement dans lequel les entreprises pourraient offrir leur propre portefeuille numérique.
« Le plan initial de l’association est de façonner un réseau qui peut soutenir ce type de paiement d’un point à un autre et à moindre coût », a expliqué M. Disparte.
Les entreprises actives dans le Libra décideraient elles-mêmes des services additionnels qu’elles fourniraient et des tarifs qu’elles appliqueraient.
Les banquiers centraux
L’arrivée du Libra a également été un signal d’alarme pour les banquiers centraux, car leur souveraineté monétaire était en jeu. La Banque centrale européenne et d’autres banques centrales étudient la possibilité de lancer leur propre « cryptomonnaie ». « C’est une idée fantastique », s’enthousiasme Disparte.
« L’effet Libra a été de forcer les gens à se regarder longuement dans le miroir et à se demander à quoi devrait ressembler l’innovation si nous voulons mieux servir nos citoyens au XXIe siècle », a-t-il indiqué.
Mais, il a ajouté que les banquiers centraux tentaient principalement de soutenir un service de gros, afin de connecter les banques centrales aux systèmes banquiers plus efficacement.
« Ils ne pensent pas vraiment à la mise en place de ces technologies au niveau des ménages. Pourtant, c’est là que nous aurions le plus d’impact », a-t-il conclu.
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