Et si la guerre en Ukraine était spirituelle ? Le patriarche Kirill a béni l’opération militaire de Poutine, dénoncé les « forces du mal » occidentales, qui veulent « rééduquer mentalement les Ukrainiens ». Il y a du vrai dans tout cela : quel est le démon qui pousse les Ukrainiens à s’opposer aux chars russes ?
Dans l’Occident décadent, on parle sanctions et gros sous, prix du pétrole et de la baguette. En Ukraine, Zelenski réclame « de la poudre et des balles ». Les Occidentaux ne donnent pas d’avions, mais envoient des missiles portatifs. L’Europe ne coupe pas le gaz, mais augmente son aide, sanctionne la Russie, accueille 2 millions de réfugiés. L’Europe s’est plus unie en dix jours qu’en dix ans. Seulement l’émotion ?
Le bombardement d’une maternité à Marioupol a été plus qu’un choc : un fait politique. Le ministre des affaires étrangères russe, Lavrov, justifie: « Dans cet hôpital, il y avait des nationalistes ukrainiens ». Qu’il y ait des nationalistes ukrainiens en Ukraine légitime donc de bombarder un hôpital. Pourquoi y aurait-il des nationalistes en Ukraine, puisque l’Ukraine n’a, en fait, pas droit à l’existence ? « Dénazifier » l’Ukraine signifie la purifier de tout ce qui s’oppose à son appartenance à la Grande Russie.
Poutine et Kirill sont sincères, comme cet éditorialiste de Novosti : « Qui, dans les vieilles capitales européennes, à Paris ou à Berlin, pouvait réellement croire que Moscou renoncerait à Kiev ? Que les Russes seraient à jamais un peuple divisé? ». Il s’agit pour « la Russie de retrouver son unité. »
Les Ukrainiens ont dit non.
L’invasion devait donc durer trois jours. Un gouvernement pro-russe s’installer, l’armée ukrainienne garantir l’ordre en échange de la paix. Le monde aurait salué Poutine, constaté la fin de l’ordre mondial occidental, moqué la décadence « spirituelle » des démocraties libérales.
Les Ukrainiens ont dit non. Kharkov la russophone a chassé les soldats de Poutine. Son artillerie, en représailles, la bombarde. Le chef de la brigade tchétchène, Kadirov, se plaint : « La tactique russe ne fonctionne pas ». La colonne de 60 km de long (6000 véhicules) est immobilisée. Les tanks n’ont plus d’essence, les soldats cherchent des vivres, rentrent à pied, abandonnent des centaines de véhicules, que brûlent ou récupèrent les Ukrainiens. Les Russes ont perdu entre 500 et 800 véhicules, entre 5000 et 10 000 hommes, entre 30 et 50 avions. Leur aviation ne contrôle toujours pas le ciel.
Poutine ne peut plus gagner.
L’armée russe encercle Kiev, mais une armée n’avance que d’un km par jour face à une guérilla urbaine. Marioupol n’a plus d’eau, de chauffage, de vivres. Les Ukrainiens seront-ils soumis, comme du temps de Staline, par la famine ? Dans les villes occupées, les civils demandent aux jeunes soldats russes de rentrer chez eux. Par téléphone, les mères russes sont appelées à venir chercher leurs fils prisonniers.
Poutine ne peut plus gagner. Le front nord a dû reculer. L’armée préparée en Biélorussie reste immobile. Loukachenko craint une nouvelle révolte contre son régime s’il intervient. Un mauvais esprit démocratique pourrait revenir à Minsk.
Peu de temps avant d’envahir l’Ukraine, Poutine a dissout « Mémorial », l’association créée par Sakharov sur la mémoire du Goulag. La police a saisi les archives, les traces du mal. Depuis, elle a arrêté plus de 10 000 manifestants russes contre la guerre. La Russie de Poutine serait-elle incompatible avec sa mémoire ? La naissance d’une Russie libre était possible en 1991. A cette date, l’indépendance avait été votée par plus de 90% des Ukrainiens, indépendance reconnue et garantie dans ses frontières trois fois par la Russie depuis. La Russie serait-elle incompatible avec l’Ukraine libre ? Les Ukrainiens veulent vivre libres dans un pays libre, les Russes pourraient vouloir la même chose. Des Russes libres dans une Russie libre, voilà le cauchemar. Voilà en quoi ce combat fratricide en Europe est une guerre « spirituelle ».
Le Kremlin est cerné : par le fantôme de la liberté ?
Attribuer les mêmes responsabilités aux victimes et aux bourreaux n’est pas qu’une faute « morale », c’est un manque de réalisme. Selon certains, Zelensky aurait dû céder, l’Otan refuser les demandes ukrainiennes (ce qu’elle a fait). Il serait encore temps. Illusion : la paix est possible et souhaitable, la reddition n’est pas la paix.
Oter à un pays le vœu de ses alliances, c’est lui enlever son indépendance. Voir dans cette guerre un affrontement entre les États-Unis et la Russie est une courte vue. L’Otan n’est pas en Ukraine. Elle a diminué ses troupes en Europe. La Russie, pays le plus étendu du monde, ne peut être encerclée. Mais c’est vrai, le Kremlin est cerné : par le fantôme de la liberté.
Poutine n’a pas réveillé que l’Otan ou l’Europe, il a ranimé « l’Alliance des démocraties », proposée dans l’indifférence générale par Joe Biden. La concentration du pouvoir qu’incarne un régime autoritaire, effraie. Surtout avec des bombes nucléaires, l’arme du gaz et des céréales. Tous les régimes plus ou moins despotiques de la planète font courir un risque. L’Allemagne s’arme. Même la Suisse sort de sa neutralité.
Quant à la France, elle tient sa ligne : Maintenir le dialogue, ne pas céder, ni faiblesse, ni surenchère, ni provocation. Ceux qui la souhaitent « équidistante », « non alignée », font semblant d’ignorer ce que cela veut dire d’abandon, de reniement, de danger. Agiter le souvenir de De Gaulle oblige à rappeler qu’il n’a jamais été non aligné, ni équidistant. On peut reprocher mille choses aux Etats-Unis, de là à se vouloir aussi proche de Poutine ou de Xi Jinping que d’eux, c’est un risque absurde, suspect.
La résistance ukrainienne construit la paix.
D’ailleurs, l’adversaire des États-Unis n’est pas la Russie, c’est la Chine. Et le principal adversaire de Poutine n’est pas les Etats-Unis, mais l’Europe démocratique et libérale, parce que la Russie est européenne, qu’elle n’est ni démocratique ni libérale. Les Européens avaient raison de vouloir séduire la Russie, et Poutine d’empêcher ce mariage, quitte à se donner aux Chinois.
Peut-on espérer que la tragédie finisse bien ? Par le principe même de la leçon tragique : le courage. Parfois le courage gagne. Parfois il ne suffit pas. Il a besoin d’aide. Mais toujours le manque de courage appelle la défaite. La résistance ukrainienne construit la paix. La vraie paix, fondée sur l’échec de la violence, de la guerre, de la sujétion.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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