Le système monétaire international issu des accords de Bretton Woods a pris fin le 15 août 1971. Il a été légalement remplacé par le système des changes flottants en 1976. Les Accords de Bretton Woods reposaient sur un mécanisme à deux niveaux, les monnaies étaient reliées à l’or à travers leur convertibilité au dollar (qui était ainsi as good as gold).
Ce choix était la conséquence de la concentration du stock d’or mondial après la Seconde Guerre Mondiale aux États-Unis (plus des deux tiers) et de la nécessité de financer la reconstruction ainsi que la guerre froide. Dans le « Gold Exchange Standard », les États-Unis avaient entre leurs mains une partie de l’étalon monétaire. Le déficit permanent de la balance extérieure américaine a incité certains États à faire jouer la clause de convertibilité, les États-Unis peinant à maintenir la parité à 35 dollars malgré les pressions exercées sur leurs alliés.
Jacques Rueff, économiste et conseiller du Général de Gaulle a écrit, en 1964 : « Le Gold Exchange Standard a accompli cette immense révolution de livrer au pays pourvu d’une monnaie bénéficiant d’un prestige international le merveilleux secret du déficit sans pleurs qui permet de donner sans prendre, de prêter sans emprunter et d’acquitter sans payer ». Le système de Bretton Wood a fonctionné une grosse décennie, les monnaies européennes n’étant redevenues convertibles qu’au milieu des années 1950.
Pour certains, il a permis, grâce à la diffusion des dollars tout autour de la planète, la reconstruction et les Trente Glorieuses. Pour d’autres, il a contribué à la dollarisation du monde et à la généralisation des déséquilibres financiers qui ont abouti à l’inflation des années 1970 et à son explosion.
Le dollar fortifié par la fin du Gold Exchange Standard
La fin de la convertibilité du dollar en or n’a pas sonné le glas de la monnaie américaine. Elle a, au contraire, conforté sa position de devise mondiale et d’étalon monétaire.
Le dollar est depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale la monnaie internationale. Il est la principale devise de facturation et la devise de référence pour un très grand nombre de matières premières et produits. Il permet le règlement des transactions commerciales. Il demeure un instrument d’interventions sur le marché des changes. Plus de la moitié des échanges commerciaux et plus de 60 % des réserves de change sont libellés en dollars. La deuxième devise est l’euro qui représente 20 % des réserves de change, le RMB chinois ne pesant que 2 %.
La crise des subprimes de 2008 née aux États-Unis a renforcé la devise américaine, aussi étrange que cela puisse paraître. Dans un monde de plus en plus instable, le dollar bénéficie de son statut de valeur refuge. Dans un contexte de faible inflation, la préférence pour des actifs sûrs au niveau mondial s’est accrue, aidée en cela par les rachats massifs d’obligations d’État par la Réserve Fédérale.
Le déclin relatif de l’économie américaine n’a pas, pour le moment, de conséquences sur le rôle du dollar. La Chine et les pays émergents représentent certes 57 % du PIB mondial en parité de pouvoir d’achat, contre moins de 20 % pour les États-Unis.
Si le monde devient multipolaire, il repose essentiellement sur une seule devise, le dollar. Le large marché financier, la sécurité juridique, la forte attractivité du pays et sa force militaire permettent aux États-Unis de compenser leur recul économique. Ce dernier est peut-être surévalué en raison des pratiques comptables des multinationales américaines. Certains avancent l’idée que les coûts de domination du dollar sont supérieurs aux gains de la coordination et de la régulation que ce dernier assure par défaut. D’autres estiment que le changement de doctrine des Américains qui, ont opté pour le hard power, surtout sous la présidence de Donald Trump, nécessite de passer à un autre système monétaire.
L’économie mondiale dépend de la politique monétaire voire de la politique tout court des États-Unis. La crise financière asiatique en 1997 ou la crise russe en 1998 sont en partie liées à la hausse des taux pratiqués aux États-Unis. Les pays émergents s’endettent essentiellement en dollars, ce qui les rend vulnérables en cas de hausse des taux ou d’appréciation de la devise américaine.
Une hausse des taux par la FED affecte plus de 9 000 milliards de dollars de dettes et de dépôts
Les variations d’émission de la monnaie américaine qui dépend de la politique monétaire et du résultat de la balance des paiements courants entraînent des conséquences sur les marchés domestiques de nombreux pays qui peuvent être confrontés à des hausses des prix et à un manque de liquidités. Selon l’économiste Michel Aglietta, une hausse des taux par la FED affecte plus de 9 000 milliards de dollars de dettes et de dépôts, le réseau des banques à l’échelle mondiale et le shadow banking les amplifiant en permanence.
Depuis la crise financière de 2008, le marché du dollar offshore a doublé de volume. Les contraintes imposées par les États-Unis sur l’utilisation des dollars n’ont pas freiné la croissance américaine. Les sanctions au nom de l’extraterritorialité de la législation américaine à l’encontre des entreprises qui commercent avec l’Iran, l’embargo sur la Russie, et les sanctions commerciales infligées à la Chine ont été dénoncés sans pour autant provoquer de réelle modification au niveau de l’utilisation du dollar. Le rejet par les Américains de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran avec l’arrivée au pouvoir de Donald Trump s’est imposé aux entreprises non-résidentes qui dépendent pour leurs échanges internationaux du dollar.
L’euro, des atouts et des petites faiblesses pour supplanter le dollar
Malgré ses défauts, le dollar reste incontournable. Il n’a pas de concurrent de substitution. Les créateurs de l’euro ne lui avaient pas assigné comme objectif de supplanter le dollar. Si en vingt ans, il est devenu la deuxième devise mondiale, sa progression s’est fait en toute discrétion. L’euro avait comme objectif premier était l’instauration d’une zone monétaire commune permettant de s’affranchir des fluctuations de change et des coûts qu’elles génèrent. Cette zone monétaire visait, certes, à s’affranchir de la monnaie américaine mais pas à la remplacer au niveau international. La vision de ses fondateurs était avant tout interne sachant que les États membres réalisaient à l’époque plus des deux tiers de leurs échanges au sein de l’Union européenne. La dimension internationale de l’euro reste peu mentionnée lors de sa création.
Compte tenu du poids des États membres, l’euro a obligatoirement un rôle international. Les dissensions ou les désaccords sur la politique économique ont freiné son expansion. Les responsables de la Banque centrale ont veillé, surtout durant la première décennie, à forger la crédibilité de la monnaie européenne en fixant des objectifs clairs en matière d’inflation. Dans les institutions internationales comme, en particulier au FMI, la BCE n’a pas de voix au chapitre. Les représentants de l’Union européenne proviennent des différents États membres. L’euro demeure une monnaie incomplète ne pouvant pas compter sur un État, une armée, un véritable budget. La crise grecque a souligné la fragilité de la zone euro même si elle a débouché sur la mise en place de mécanismes de soutien (Mécanisme Européen de Stabilité créé en 2012, successeurs du Fonds Européen de Stabilité Financière).
L’euro pâtit de la segmentation du marché financier européen
L’euro pâtit de la segmentation du marché financier européen. À la différence des États, la zone euro ne peut pas compter sur l’émission en masse et permanente d’obligations européennes. Le Plan de Relance pour l’Europe prévoit l’émission de 750 milliards euros d’obligations européennes sur trois ans. Ce montant reste modeste par rapport aux États-Unis (plus de 1 800 milliards de dollars d’obligations en 2020) ou même par rapport aux États membres de l’Union (la France devrait émettre pour 260 milliards d’euros d’obligations nettes de rachats en 2021).
Au niveau des échanges internationaux, l’euro a réussi à s’imposer à l’exportation mais pas à l’importation. Plus de la moitié des exportations hors zone euro sont facturés en euros. Les États membres de l’Union européenne qui n’ont pas intégré la zone euro l’utilisent pour leurs importations issues de cette dite zone.
En revanche, pour les importations, en particulier en ce qui concerne l’énergie et les matières premières, la monnaie américaine reste dominante.
L’euro peine également à être une monnaie d’échanges entre les États qui ne sont pas membres de l’Union européenne. L’euro a réussi malgré tout à devenir une devise de référence sur le marché des changes. 22 pays hors zone euro ont un taux de change fixe avec la monnaie européenne dont 16 en Afrique. Deux pays ont renoncé à leur monnaie pour utiliser l’euro, le Monténégro et le Kosovo. Plusieurs États d’Europe de l’Est ont « euroïsé » leur économie en acceptant une double circulation (Bulgarie, Bosnie-Herzégovine).
Le choix de l’euro comme monnaie pivot pour les États extérieurs à la zone euro se justifie par la recherche d’une crédibilité internationale et la lutte contre l’inflation. L’euro est devenu la deuxième monnaie du système monétaire international. Il sert de devise de diversification mais n’est pas en position de suppléer, pour le moment, le dollar.
Les autorités chinoises ont cette ambition mais elles partent de bien plus loin, leur monnaie le RMB jouant actuellement un rôle marginal au niveau international.
Le RMB, le long chemin de la conquête de la puissance monétaire
Compte tenu de son poids au sein de l’économie mondiale, de sa première place dans les échanges internationaux et de ses relations de plus en plus délicates avec les États-Unis, la Chine entend que sa monnaie, le renminbi, puisse jouer un rôle plus important. L’internationalisation de la devise chinoise s’inscrit dans le cadre d’une politique d’ouverture internationale. Cette stratégie a été formulée lors du Comité central du Parti Communiste Chinois du mois de novembre 2013.
Pour faciliter la diffusion de leur monnaie, les autorités chinoises ont retenu plusieurs priorités : la libéralisation des taux d’intérêt, la banalisation des relations entre les grandes entreprises et les banques, la convertibilité totale d’ici 2024, la création d’une industrie de la finance compétitive en faisant appel à des experts étrangers et la mise en place d’établissements d’investissement ayant une dimension mondiale. Les autorités doivent également rendre plus indépendante leur banque centrale.
L’internationalisation du renminbi est un des objectifs de la Belt and Road Initiative (BRI) qui correspond à la nouvelle route de la soie qu’entend créer la Chine. En prévoyant avec des États d’Afrique, d’Asie, du Moyen Orient et d’Europe, des infrastructures cofinancées, le gouvernement chinois entend ainsi développer sa sphère financière. Entre 2013 et 2017, plus de 400 milliards de dollars ont été investis dans le cadre de cette route de la soie. À titre de comparaison, le Plan Marshall qui a contribué à la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale portait 135 milliards de dollars en valeur actuelle. La BRI ne permet pas néanmoins l’émergence d’un marché offshore du renminbi car la quasi-totalité du financement est réalisé par les Chinois au profit d’entreprises elles-mêmes chinoises.
Les fonds d’investissement chinois n’obéissent pas aux règles de transparence et de gouvernance en vigueur à l’échelle internationale. Or, la pratique importante du shadow banking est un sujet d’inquiétude majeur pour les agents économiques non-chinois.
Par ailleurs, la Chine refuse le multilatéralisme en matière de gestion de la dette des pays en difficulté. Elle n’est pas membre du Club de Paris en charge de mettre en place des plans pour les États étant en incapacité de rembourser leurs dettes. En revanche, la Chine s’est investie dans le processus de concertation internationale sur le financement de la transition énergétique en participant au réseau de banques centrales travaillant sur ce sujet. Le retrait temporaire des États-Unis a incité le gouvernement chinois à s’engager sur ce terrain. Considérant en outre que les Occidentaux sont en grande partie responsables du réchauffement climatique, la Chine se veut être le défenseur des pays en développement. Fin 2018, la Chine est devenue le deuxième émetteur d’obligations vertes au monde après les États-Unis.
38 accords d’échanges bilatéraux de devises avec la Chine
Afin de favoriser l’internationalisation de leur monnaie, les autorités chinoises ont multiplié les accords d’échanges bilatéraux de devises. Plus de 38 accords avaient été signés fin 2018 portant sur plus de 3 700 milliards de RMB. Pékin a mis en place également un réseau de centres de clearing en RMB offshore, permettant l’échange contre d’autres devises en dehors du territoire national. L’objectif est de créer un marché des changes en RMB ouvert 24 heures sur 24. Les actifs financiers chinois sont désormais admis dans les indices internationaux ce qui valorise la participation étrangère sur les marchés locaux.
Toutes ces mesures prolongent l’intégration du RMB dans le panier des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) du FMI, réalisée en octobre 2016. Pour le moment, les efforts des autorités chinoises ont été couronnés de peu de succès. La devise chinoise demeure marginale à l’échelle internationale. L’immaturité des infrastructures et la faible transparence du processus de décision des politiques sont pointées du doigt par les investisseurs internationaux. Le marché des obligations locales qui représente plus du quart des émissions obligataires publiques constitue une menace en raison de la faible solvabilité des collectivités territoriales.
Dans ce contexte, la part des RMB reste limitée à 1,65 % pour les échanges internationaux et à 2 % pour les réserves.
Demain, le tout digital
L’émergence d’un nouveau système monétaire international est incontournable dans une économie mondiale de plus en plus multipolaire. Les difficultés des pays avancés et l’accroissement de leurs dettes publiques pourraient accélérer le processus. Les autorités chinoises y travaillent en avançant sur la diffusion d’un RMB digital. Elles ne sont pas les seules à parier sur l’avènement des monnaies digitales. La BCE et la FED mènent également des expériences en la matière.
Qui contrôle l’argent, contrôle l’économie mondiale.
Ce fut le cas pour le Royaume-Uni au XIXe siècle et c’est le cas pour les États-Unis depuis 1945. D’ici le milieu du siècle en cours, le centre financier se déplacera-t-il à nouveau ou deviendra-t-il totalement virtuel ? Il est possible également que l’antagonisme entre la Chine et l’Occident aboutisse à une partition avec deux grands espaces financiers. La seule limite à ce scénario est que désormais les pays émergents et en développement représentent 57% du PIB mondial.
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