Le difficile changement de cap budgétaire 

Le difficile changement de cap budgétaire 

Depuis le début de la crise de la Covid en 2020, les États européens ont pris l’habitude de gérer leurs dépenses sans tenir compte ou presque des déficits publics avec l’abandon des règles budgétaires et grâce à la politique monétaire de la BCE. Cette période un peu folle est en train de s’achever avec la hausse programmée des taux directeurs et la fin des rachats des obligations par la BCE. 

Les États sont confrontés à une hausse des taux qui renchérit le coût du service de la dette. Le retour à une certaine orthodoxie budgétaire apparaît incontournable. Or les populations risquent de ne pas comprendre ce changement de cap. Elles ont intégré l’idée que l’argent public pouvait être abondant. La crise sanitaire a réveillé un certain nombre de demandes sociales qui pourraient buter sur la contrainte budgétaire retrouvée. 

Depuis le début de la crise de la Covid, toute restriction budgétaire a disparu ou presque, les déficits publics évoluent entre -6 et -2,5 % du PIB. La dette publique dépasse 110 % du PIB pour la Grèce, l’Italie, l’Espagne ou la France. Les dépenses publiques ont augmenté de 2019 à 2022 de 15 à 25 % selon les États de la zone euro. Depuis 2022, la hausse atteint 58 % pour l’Espagne, 40 % pour la France, 32 % pour l’Allemagne et 20 % pour l’Italie.

L’inflation en Europe est passée à 8% en douze mois 

Cette envolée des dépenses et des déficits publics a été rendue possible par la mise en place de politiques monétaires non conventionnelles. Les taux de la Banque centrale ont été amenés à 0, le taux de dépôt devenant même négatif. Plusieurs programmes de rachats d’obligations ont été mis en œuvre. L’encours total des obligations détenues par la Banque Centrale Européenne est passé de 3 000 à 5 200 milliards d’euros. Cet encours ne dépassait pas 200 milliards d’euros avant la crise financière. Cette politique a permis une baisse des taux d’intérêt sur les obligations d’État. Les taux de la zone euro (hors Grèce) pour les emprunts d’État à 10 ans sont ainsi passés de 5 % en 2012 à 0 % en 2020 et 2021. Cette situation évolue rapidement. 

La forte reprise de l’économie, dopée par les plans de relance, a amené un surcroît d’inflation qui avait été mal apprécié. La crise ukrainienne en créant plusieurs chocs d’offre alimente cette inflation résurgente. En moins de douze mois, l’inflation est passée de 0 à près de 8 % dans la zone euro. Face à ce changement, les pays de la zone euro sont en majorité convaincus de la nécessité de réintroduire des règles budgétaires dans une union monétaire. Sans règles budgétaires, certains pays pourraient être tentés d’avoir une attitude de passager clandestin et de recourir à des déficits publics excessifs mettant en danger la monnaie. La nécessité de freiner l’économie est jugée nécessaire afin de casser les anticipations inflationnistes qui menacent de s’installer. En quelques semaines, les taux d’intérêt des obligations d’État ont augmenté de manière non négligeable, même s’ils restent nettement inférieurs aux taux d’inflation. Pour la zone euro, début mai, ils étaient en moyenne de 1,6 %. L’évolution des contrats Euribor à 3 mois témoignent que les investisseurs envisagent la persistance de l’inflation durant plusieurs mois. Le taux du contrat à échéance 2023 était début mai de 1,6 %. Le taux d’intérêt des emprunts d’État à 10 ans pour la zone euro dépasse désormais 2 % quand il s’élevait à 0,2 % en janvier 2021. 

Le recours aux impôts apparaît comme une voie fortement probable

Les États européens seront confrontés à une hausse du coût de la dette avec une augmentation des taux d’intérêt nominaux et réels et à l’arrêt des achats de dette publique par la BCE. Les États membres devront réduire leurs déficits publics, soit en réalisant des économies, soit en augmentant les prélèvements. Compte tenu des besoins en matière de retraite, de santé, d’éducation et de transition énergétique, le recours aux impôts apparaît comme une voie fortement probable. Les populations pourraient mal réagir face à ce revirement d’autant plus que les gouvernements continuent à promettre de nombreuses aides ou revalorisations de prestations. 

Les populations ont intégré l’idée que le financement public n’a pas de limites. Le Japon semble le prouver depuis les années 1990. Cette faculté est rendue possible par un fort taux d’épargne des agents économiques. Les Japonais financent le déficit aidé en cela par un abondant excédent commercial. Ce financement monétaire de la dette au Japon se traduit également par une hausse des prix des actifs, actions et immobiliers.

Quand interviendra l’heure de vérité : à la fin de 2022 ou en 2023 ?  

En zone euro, si certains États dégagent d’importants excédents commerciaux comme l’Allemagne, d’autres, comme la France, connaissent des déficits en augmentation. Cette divergence constitue également une menace pour la cohésion de la zone euro. Le retour des critères budgétaires pour 2023 ou 2024 donnera lieu à d’importants débats entre les membres de la zone, certains exigeront du temps et de la flexibilité quand d’autres par crainte d’une perte de compétitivité demanderont le retour rapide à la rigueur. 

La rémanence de la crise de 2008 est encore élevée, conduisant les gouvernements à maintenir un volant de soutien élevé. Face aux chocs nés de la guerre en Ukraine, ils n’ont pas hésité, en sortie de crise sanitaire, à multiplier les dispositifs de soutien retardant d’autant l’engagement de l’assainissement des comptes publics. 

Les pouvoirs publics craignent une réaction violente des populations lors de l’instauration de politiques restrictives. La question étant de savoir quand interviendra l’heure de vérité : à la fin de 2022 ou en 2023 ?

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