Dans sa déclaration du 16 mars 2020, le Président de la République a martelé que la France était en guerre contre le coronavirus, ce dernier étant désigné comme un ennemi invisible. Cette guerre a conduit à la mobilisation générale de l’ensemble du système de santé. Elle a ses premières lignes avec le personnel soignant, ses deuxièmes lignes en charge de la logistique d’un pays confiné et ses lignes « arrières » avec notamment des millions de télétravailleurs.
La France dans une nouvelle guerre…
Cette guerre d’un nouveau type ne s’est pas accompagnée comme pour les précédentes de la mise en place d’une censure au niveau de l’information. Les médias n’ayant plus qu’un seul sujet à traiter ont multiplié les émissions spéciales, les reportages, les interviews avec comme thème unique le covid-19. Les soldats, les médecins, les professeurs, les chefs de service, les infirmiers, les aides-soignants ont été appelés à témoigner sur les très nombreuses chaînes d’information. Les anciens ministres de la santé, de multiples experts ont été sollicités afin de donner, en direct, leur point de vue. La guerre du coronavirus est un phénomène médiatique.
Plus de 94 % des téléspectateurs ont suivi l’allocution du Président de la République le 13 avril dernier (36,7 millions de Français, soit un million de plus que lors de l’allocution du 16 mars dernier). Chaque soir, le Directeur Général de la Santé, Jérôme Salomon, ou le Ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, communiquent les dernières données du front comme des généraux du Commandement général feraient le point sur l’état des troupes et le champ de bataille. Compte tenu de l’état évolutif des connaissances sur ce virus, les informations délivrées par les différents médias sont bien souvent contradictoires, voire incohérentes, pouvant contribuer au scepticisme de la population. La sévère concurrence entre les différents moyens de communication, presse traditionnelle, chaînes et radios d’information, réseaux sociaux, favorise la diffusion d’informations brutes, sans filtre.
…D’experts?
La multiplication des experts aux positions tranchées, une nécessité pour devenir un bon client des médias, ne leur permet pas de remplir une fonction d’intermédiaire. Bon gré, mal gré, les média deviennent ainsi bien souvent des catalyseurs des oppositions. En visioconférence ou sur plateaux, des grands professeurs exposent leurs positions et leurs divergences et prennent en témoin l’opinion publique. La surenchère informative brouille et embrouille la communication. Elle est également un élément intégré par les politiques d’information des pouvoirs publics.
La relative transparence des pouvoirs publics qui n’ont pas masqué leur ignorance et leur errance sur le sujet est à mettre au crédit des démocraties. En 2003, lors de la crise de la canicule, le Gouvernement avait été, à tort, accusé de ne pas communiquer le nombre réel de décès. À l’époque, la remontée des données en la matière était assez archaïque et lente. Nul n’avait imaginé la nécessité d’avoir un décompte en temps quasi réel des décès. En 2020, cette remontée au niveau des Agences régionales de santé a été effectuée de manière assez précise. Elle s’est révélée plus délicate pour les EHPAD dont le nombre est élevé et qui peuvent être de nature diverse (publique, privée, associative). La crise de la canicule qui était intervenue après l’affaire du sang contaminé a créé en matière de santé publique une rupture. L’exigence de transparence, d’immédiateté s’est imposée, aidée en cela par la puissance des réseaux sociaux et des chaînes d’information en continu.
La forte sensibilité de la population aux questions de santé en lien avec son vieillissement accentue la pression sur les pouvoirs publics. Le succès des séries télévisées françaises et américaines ayant pour thème la santé traduit bien l’importance de ce thème pour l’opinion. Cette sensibilité est à mettre en relation avec le changement du rapport à la mort au sein des sociétés occidentales. À l’exception des décès des personnalités, la mort est devenue une affaire privée. Intervenant plus souvent que dans le passé à l’hôpital ou en maison de retraite, elle est moins visible.
Contrôler les informations au temps du net ?
Durant les derniers conflits militaires auxquels la France a été confrontée, le contrôle de l’information a été plus ou moins bien réalisé. Lors de la Première Guerre mondiale, le contrôle de la presse s’est très rapidement imposé. Le 2 aout 1914, le décret sur l’état de siège permet aux autorités militaires d’interdire toute publication jugée dangereuse. Le 3 août 1914, le bureau de la presse du ministère de la guerre est créé afin d’organiser la censure. Les journaux sont alors soumis à un régime de contrôle préalable afin de supprimer toute critique et empêcher la diffusion de renseignements à l’ennemi. Les journalistes doivent soumettre leur travail à l’administration et éventuellement procéder aux modifications exigées. L’État-major publie quotidiennement trois communiqués donnant la version officielle des opérations en cours. Ces restrictions ne prendront fin qu’avec la levée de l’état de siège le 12 octobre 1919. Le contrôle des médias en 1914 était la conséquence des indiscrétions de la presse en 1870 qui avaient contribué à la défaite de Sedan et à la démobilisation rapide des troupes et du pays. Le quotidien « Le Temps » avait relayé les orientations stratégiques de Mac-Mahon et modifié les plans de l’Etat-major prussien.
En 1939, le contrôle des communications et de la presse fut moins poussé qu’en 1914. Le contrôle postal, télégraphique et téléphonique est néanmoins activé dès la fin août 1939 avant même la déclaration de la guerre (3 septembre 1939). Le 26 août, les journaux d’obédience communiste sont interdits, le 28, la censure de la presse est instituée. À la différence d’août 1914, peu de journaux disparurent et la presse s’installa, sans enthousiasme, dans la drôle de guerre : ses rapports avec la censure furent beaucoup moins difficiles qu’en 1914. Le 24 mai 1940 furent instituées 28 l’autorisation préalable et une réglementation des conditions matérielles de la publication.
Durant la guerre d’Algérie, les gouvernements de la IVe République s’appuyèrent sur la loi du 3 avril 1955 instituant l’état d’urgence pour réduire la liberté de la presse. Cette loi permettait aux autorités de «prendre toutes les mesures pour assurer le contrôle de la presse et des publications de toute nature ainsi que celui des émissions radiophoniques, des projections cinématographiques et des représentations théâtrales ». Les écrits imprimés visés par le décret étaient passibles de saisies administratives et judiciaires, de mesures de police et de peines complémentaires. Jusqu’à la fin de la guerre en 1962, les saisies de journaux et de livres furent nombreuses.
La communication en temps de conflits a profondément évolué avec la guerre du Golfe en 1990/1991. Les autorités militaires américaines ont organisé très précisément la communication en fournissant les images aux chaînes d’information et en embarquant des journalistes au sein de leurs équipes. Elles ont souhaité ne pas rééditer les pratiques de la Guerre du Vietnam qui avaient donné lieu à des reportages à charge contre l’armée américaine, contribuant à l’hostilité croissante de l’opinion vis-à-vis de ce conflit. La systématisation des pratiques de contrôle de l’information lors de la guerre en Irak en 2003 s’est, en revanche, retournée contre l’exécutif américain.
La gestion de la communication en temps de crise est pour tout pouvoir une épreuve, surtout quand le théâtre des opérations est mouvant. Au niveau sanitaire, le nombre important d’acteurs qui ne sont pas des militaires soumis à une obligation de réserve, est une source évidente de complications pour tout gouvernement en place.
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