Au Royaume-Uni gouverne un Premier ministre sans majorité, qui n’a pas été désigné par les électeurs. L’Espagne, sans gouvernement, retourne aux élections, pour la quatrième fois en quatre ans. Celles qui ont eu lieu en Israël ne donnent toujours pas de majorité. L’Allemagne ne vit que de grandes coalitions, ce qui favorise les partis populistes. L’Italie invente la coalition d’un parti antiparti avec le parti ennemi pour empêcher l’autre parti antiparti de provoquer des élections. En France, les gilets jaunes, qui ont monopolisé le débat l’an dernier, ont présenté trois listes aux élections européennes : aucune n’a dépassé 1%.
Les élections ne serviraient-elles donc à rien ?
Ce n’est pas ce que pensent les Tunisiens. Des deux candidats arrivés en tête, l’un est sans parti, l’autre est en prison : les électeurs ont condamné les juges et le pouvoir sortant. Ni les Algériens : l’armée veut un vote, les manifestants de vraies élections. A Taïwan, à Hong Kong, la question « nationale », celle de l’obédience chinoise, doit se résoudre par le vote. En Russie, le pouvoir de Poutine a reçu une gifle électorale aux élections locales, alors qu’il met ses opposants en prison. Au Venezuela, au Honduras, en Argentine, l’espérance du vote contient la violence, même si chacun sait qu’il ne résoudra pas tous les problèmes.
La marque des pays forts
Le Belgique avait montré l’exemple : elle qui resta sans gouvernement pendant plus d’un an, fut, durant ce temps, bien géré. Le fait de changer les dirigeants, de les soumettre à la question démocratique, de les obliger à composer, à s’organiser de telle sorte que les institutions fonctionnent montre que le pays n’est pas à la merci d’un gouvernement, d’un Président, d’une majorité. C’est la marque des pays forts.
La Russie sans Poutine est un abime d’incertitude. Le Maroc sans M6 aussi. La France sans Macron resterait le même pays. « Moi ou le Chaos », disait De Gaulle. Depuis, grâce à l’enracinement de la République, il n’y a ni De Gaulle ni chaos. Même si parfois, on est gagné par un brin de nostalgie, regrettant la hauteur de vue des politiques d’avant le Twitt.
Pourtant, la France n’apporte pas encore la stabilité requise. Son pouvoir est fort et faible à la fois, parce que trop concentré, rigide. Tout remonte au sommet. Un sommet vite débordé, impuissant, qui n’en finit pas de se concerter en concertations tant son pouvoir le dépasse. Ici comme ailleurs, les intermédiaires, dans une société de l’immédiat, partis et syndicats, sont dévitalisés.
La révolution en cours
Il faut apprendre à vivre ainsi, retenant ce qui est positif dans cette instabilité, en corrigeant ses impuissances. Comment ? En s’appuyant sur la révolution en cours. Celle d’un désordre créatif, qui, tel le chaos, quand on le modélise, cache un ordre réel.
Dans le baromètre annuel de « fractures françaises », de l’Ipsos, la défiance des Français vis-à-vis des dirigeants atteint des sommets. 73% des Français pensent que le pays est en déclin. Heureusement, la moitié pense que ce déclin n’est pas irréversible. 54%, contre 46%, pensent que l’humanité évolue vers plus de progrès. Il y aurait régression sur la protection de la nature (55%), les libertés (68%), la justice sociale (73%), la tolérance (81%).
Une société de défiance
La France est devenue une société de défiance. 21% seulement des Français pensent que l’on peut faire confiance à la plupart des gens. Et cette crise confiance touche toutes les institutions politiques, mais aussi les syndicats, les banques, les grandes entreprises.
46% des Français pensent que le « système » ne fonctionne plus. 84% en Pologne. 78% au Brésil. Bref, le monde est devenu incompréhensible, illisible.
Hélas, 77% des Français pensent que la prise de pouvoir d’un leader fort serait « une solution pour améliorer la situation du pays ». Comme si la force permettait de simplifier un monde en révolutions. C’est l’inverse : une société est forte parce qu’elle est capable de changer et de s’adapter aux soubresauts du monde. Le recours à l’homme fort est le signe des pays faibles, qui s’abandonnent à l’illusion du pouvoir.
La solution n’est pas dans le mythe du « pouvoir fort »
La solution n’est pas dans le « pouvoir », qui n’en peut mais, il est dans la vitalité de la société, dans son autonomie par rapport aux pouvoirs. C’est que disent les Algériens, les Tunisiens, les Européens aussi, quand ils veulent plus de règles, plus de justice en somme, et moins de pouvoir, moins d’idéologie.
Le monde est en ébullition, il n’y a pas une solution, qui se sublimerait en un homme providentiel, mais des solutions qui obéissent partout à un ordre démocratique. La bataille idéologique reste celle là, y compris en France, entre ceux qui y croient et ceux qui n’y croient pas. En quoi ? En la démocratie et l’état de droit, qui ont plus d’ennemis qu’on ne le croit. Y compris en Europe, y compris en France, et dans tous les partis.
Laurent Dominati, Président de la Société éditrice « Lesfrancais.press », a été Ambassadeur de France, Député et Conseiller de Paris.